Florimon-Louis de Kerloar

Noir & Blanc

Épisode II - Journal d'un soldat abusé


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Tous nos textes, Fidèle, sont déposés à la Société des gens de lettres, Paris. Sois gentil, tu t’en inspires dans la vie si tu veux mais sur papier ou à l’écran, cherche ta muse ailleurs. Bonne lecture !


Prologue

Il y a un an, en octobre 2001, nous entrâmes à la faculté de Lettres et Sciences Humaines d’Aix-en-Provence avec un inutile baccalauréat économique et social en poche et un enthousiasme de marmotte. Nous y choisîmes histoire (civilisations antiques en Europe) et un UV découverte de géographie. Et dire qu’il y en a qui tiennent huit ans ! Nous voulions étudier les civilisations celtiques de Hallstatt et de la Tène, pas les merdes dont on nous bourra le mou avant. Hélas cette première année ne nous laissa-t-elle guère le choix. Les cours généraux ne nous plaisant donc pas, nous n’assistâmes pas aux partiels et les résultats furent probants : nous plantâmes lamentablement notre année. Pour nous punir, notre frère nous invita à Orlando (Floride), où il vivait depuis plusieurs années ; nous avons le sens de la punition dans la famille… Nous partîmes en août et bossâmes avec lui dans son agence de voyages le temps de notre visa touristique. Pendant trois mois, nous visitâmes les parcs d’attraction, traversâmes la côte est en voiture, nous promenâmes dans Washington D.C., nous baignâmes dans le golfe du Mexique, parcourûmes les réserves naturelles en hovercraft, assistâmes à la terrible avant-première des deux tours, etc. Cette leçon laissa une marque indélébile dans notre esprit ; c’est promis, nous ne raterons jamais plus une année de fac… Nous revînmes seul en France et retournâmes chez nos parents à Aix-en-Provence où nous glandâmes – il faut bien l’avouer – pendant près d’un an : sorties, boîtes, rencontres, etc. Bref, tu l’auras compris, Fidèle, ce ne fut pas le boulot qui nous tua cette année-là encore, au grand dam de nos parents qui ne savaient plus quoi faire de nous… Nous sommes un éternel blasé ! Nous nous emmerdons dans la vie et pour la supporter, puisque nous ne sommes pas suicidaire et que nous l’avons donc dans le cul, nous sommes obligé de l’agrémenter de quelques folies impulsives. Ce sont elles qui nous poussent à partir quand notre vie devient trop poussiéreuse. Nous avons toujours navigué entre exil et errance ; nous l’admettons volontiers. Pour beaucoup, nous ne sommes qu’un garçon irresponsable ; pour d’autres, nous fuyons en avant ; pour d’autres enfin, nous buvons trop. Nous sommes un peu tout cela sans doute, mais avant tout, nous ne sommes pas un garçon heureux et de toutes nos expériences, simples ou complexes, solitaires ou accompagnées, nous ne tirerons jamais qu’un certain contentement éphémère qui ne nous satisfait pas.

Nous-même . Ah ! la bonne excuse de l’instabilité. Cachez-vous derrière, Florimon, vous êtes un lâche !

Peut-être bien, nous avons nos démons… Depuis plusieurs années, nous cherchons donc à rendre notre vie plus intéressante, plus excitante. Lorsque nous étions en 1ère scientifique, nous décidâmes d’orienter notre Quête dans l’humanitaire auprès d’ONG telles que la Croix-Rouge, le Secours Catholique, MSF, Enfants du Monde, etc., mais sans succès hélas. Si nous avions été spécialisé dans un domaine utile pour elles, nous aurions sans le moindre doute trouvé une place en tant que bénévole – ce que nous voulions faire – afin de venir en aide aux populations menacées par la famine, la maladie, la guerre ou les catastrophes naturelles. Seulement ne possédions-nous qu’un diplôme général complètement sans valeur au sein de telles organisations (et même ailleurs…). Et puis, si les ONG avaient recours à des gens avec pour seul moteur leur bonne volonté, cela se saurait !

Nous-même . Comme vous êtes naïf, Louis !

Oui, nous l’étions. L’humanitaire devenait donc pour nous exclu à moins de recourir à une formation académique longue et coûteuse sans garantie de succès. Nous nous souvînmes un jour cependant de la Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD), des séances d’information que nous avions pu y recevoir, de la possibilité d’acquérir une formation spécialisée dans l’Armée. Nous allâmes donc nous renseigner à la permanence du Centre d’information et de recrutement de l’Armée de terre (CIRAT) de Marseille, où nous trouvâmes l’adjudant-chef R., un homme sympathique mais, nous l’apprendrons plus tard, un bouffon sous-officier dont l’unique objectif était du faire du chiffre ; nous fûmes abusé ! Nous entrâmes dans le local, il nous reçut, nous parlâmes de notre projet humanitaire et lui demandâmes si nous pouvions trouver cela dans l’armée.

Adjudant-chef R. . Mais certainement, Monsieur de Kerloar ! Sachez qu’un militaire n’est pas seulement un soldat fait pour la guerre, il nous arrive aussi de secourir des hommes et des femmes dans le besoin, de les protéger lors d’un conflit, de leur apporter nourriture, vêtements ou médicaments.

À ce moment-là, par manque cruel d’information, nous n’avions pas encore de projet bien précis en tête, mais signâmes quand même pour passer les trois jours d’épreuves de sélection et d’information dans le but de nous engager par la suite comme Engagé volontaire de l’Armée de terre (EVAT). Nous attendîmes trois mois notre convocation et, deux semaines plus tard, nous étions dans un TGV pour Lyon.


28 octobre 2002

Lyon (Lyonnais, France).

Le traditionnel retard SNCF de dix minutes nous fit débarquer à Lyon vers 17 heures. Le trajet se déroula bien. Nous suivîmes le plan d’accès jusques au Centre de sélection et d’orientation (CSO) sans encombre. Il nous fallut quinze minutes sans nous presser. Le CSO nous ouvrit ses portes vers 18 heures ; une dizaine de candidats attendait déjà. Notre convocation fut vérifiée au poste de garde, pour peu qu’elle fût fausse et qu’un malade mental eût une envie subite de suivre une formation militaire en plein hiver à Lyon ! Nous suivîmes ensuite un brigadier-chef qui nous demanda d’attendre le reste des candidats dans le foyer. Au début, l’ambiance était timide : on buvait un café ici, on fumait une cigarette là. Nous retrouvâmes tout le monde autour de la table dans l’attente de nous ne savions quoi, peut-être de ce qui nous attendait. Le temps passa et les présentations commencèrent : « Moi, je viens d’ici ! », « Moi de là ! », « J’ai 18 ans ! », « J’ai 21 ans ! », « Je souhaite faire ceci, cela… », « Je n’aurais jamais dû écouter mes parents et venir ici ! », etc. L’atmosphère devint rapidement proche de celle d’un hall de lycée ou de fac. Le repas du soir n’était pas pris en charge par le CSO qui ne fit que nous accueillir pour ne pas arriver demain matin et commencer les épreuves sans être déjà installé. Aux environs de 21h30, le brigadier-chef qui s’occupera de nous pendant notre séjour au CSO, sonna le rassemblement afin de nous présenter le programme des festivités qui débutera demain à 6h45. Nous fûmes installé dans la chambre 108 avec cinq autres candidats. Le temps de nous débarrasser de nos affaires et nous redescendîmes au foyer avant de remonter nous coucher, n’ayant trouvé personne d’intéressant. La journée de demain sera longue.


29 octobre 2002

Lyon (Lyonnais, France).

Le petit-déjeuner est obligatoire pour tout le monde. Nous dûmes nous lever à 6h15 pour être à l’heure et en rang avec les autres ; l’angoisse ! Environ quatre-vingts candidats sont ici : il y a des Engagés volontaires sous-officier (EVSO), des EVAT et probablement aussi des Volontaires dans l’Armée de terre (VDAT). Une fois en rang, deux par deux comme à l’école, direction la cantine, en silence. Les derniers arrivés au CSO, dont nous faisions partie, n’avaient pas encore été regroupés en section, les autres portant déjà des insignes numérotés. De retour de la cantine, nous nous alignâmes donc avec les sans-numéros et attendîmes les consignes : « Dans quinze minutes, tout le monde en bas des chambres ! » On nous emmena dans une salle où nous dûmes remplir quelques documents personnels ; on nous attribua également la section 1 et le numéro 8. Ensuite, on nous dit que nous avions du temps avant le déjeuner pour commencer la visite médicale. En rang (plus ou moins droit), nous nous dirigeâmes tous vers le bâtiment médical du centre. Première source d’angoisse pour les plus anxieux, la visite médicale est éliminatoire. Il est préférable d’être apte à tout pour mettre toutes les chances de son côté. Nous étions relativement nombreux et l’attente entre chaque médecin fut parfois longue. Tout fut vérifié : le cœur, la vue, les dents, l’ouïe, l’urine, tout. Nous commençâmes par le test urinaire. Vint le tour du cardiologue. Quelques-uns eurent le temps de passer mais pour nos camarades de chambrée et nous-même, il fallut attendre après le déjeuner. Il ne trouva rien d’anormal chez nous, pas même le souffle au cœur que nous traînons depuis notre enfance. À l’audiométrie, nous obtînmes la note maximale. Dents : OK. Vue : oups, problème. Nous n’assimilions pas un certain exercice. Nous n’allons pas le décrire, ce serait inutile, mais nous nous dîmes à ce moment-là : « Florimon-Louis, cet après-midi, vous rentrez chez vos parents ! » Nous voyons parfaitement (x=10) mais pour le “y”, rien à faire. L’ophtalmo s’énerva, il en avait marre ! Il nous demanda d’attendre l’avis de son collègue. Finalement, il s’avère que certaines personnes n’assimilent pas cet exercice. Sans doute savait-il pourquoi mais il ne nous en fit pas part. Le généraliste approuva nos tests médicaux et nous nota apte à tout ; nous pouvions continuer les épreuves. Deux candidats n’eurent pas cette chance : l’un avait du sang dans l’urine et l’autre était trop petit. Ils furent recalés. Avec cela, la journée passa. Nous eûmes encore une petite séance d’information et là, c’est quartier libre jusques à demain.


30 octobre 2002

Lyon (Lyonnais, France).

Toutes les journées se ressemblent plus ou moins dans un régiment. Au CSO, c’est pareil : réveil à 6h15, petit-déjeuner, etc. La salle de cours se trouve à deux minutes de marche de l’hébergement. Nous y entrâmes ce matin et prîmes une chaise. Le capitaine nous donna le premier cours sur les armes / les spécialités. Pour celles et ceux qui n’avaient pas encore de projet, il était temps de s’y mettre. Après ce cours, les épreuves proprement dites débutèrent. La lecture au son n’était ni plus ni moins qu’un exercice de morse. Il s’agissait de reconnaître, comme son nom l’indique (test I.N.T.), les lettres “i”, “n” et “t” en morse. On nous passa une cassette vieille de 1986 – pourquoi la renouveler, le morse a-t-il changé depuis ? – et nous dûmes noircir les bonnes cases. Ce fut tout simple jusques à ce que la lecture s’accélérât car après, beaucoup furent dépassés. Le test I.N.T. achevé, nous passâmes l’entretien. En attendant notre tour, une salle d’info libre fut mise à notre disposition et le caporal-chef B., qui s’occupe de notre section, répondit à nos questions. C’est là que nous élaborâmes notre projet. Nous fîmes un peu le tour des plaquettes des régiments, des spécialités et trouvâmes celle que nous étions venu chercher de si loin : la plaquette de la santé. Nous la parcourions à peine lorsque vint notre tour ; dommage ! Nous patientâmes un petit moment devant la pièce de l’entretien et un autre caporal-chef, une femme, se présenta pour nous le faire passer. À cet instant se jouaient 75% de nos chances d’entrer dans l’armée, et nous merdâmes, évidemment, histoire de prouver une fois de plus, tel un chat, que nous retombions quand même à chaque fois sur nos pattes agiles. Nous exposâmes mal notre projet, sans doute parce que nous ne le connaissions pas encore assez bien, par manque d’information aussi. D’entrée, elle nous dit clairement : « Ici, on ne fait pas d’humanitaire, Monsieur ! Ici, on fait la guerre, on tue des gens ! » Elle resta très courtoise mais ferme. Naturellement, nous acquiesçâmes et continuâmes à exposer le peu de choses que nous savions sur la spécialité choisie : aide soignant. Là, elle nous répondit que n’ayant pas de diplôme spécialisé, nous devions commencer de toute manière comme brancardier-secouriste, ce qui nous allait parfaitement aussi. Nous lui expliquâmes que nous souhaitions à l’armée acquérir une expérience professionnelle afin de pouvoir plus tard nous en servir pour entrer dans une ONG et faire de l’humanitaire. GRAVE ERREUR ! Elle pensa de suite que nous voulions utiliser l’armée comme tremplin mais nous ne le comprîmes pas de suite. L’entretien se termina, nous retournâmes à la salle d’info libre et discutâmes avec le caporal-chef B.. C’est lui qui nous fit remarquer notre erreur. Comment la réparer ? Nous lui dîmes que telle n’était pas notre intention. Nous sommes certes plus versé dans l’humanitaire que dans le militaire, mais l’idée de nous servir de l’institution comme tremplin ne nous avait jamais traversé l’esprit – quoi que… Il le comprit heureusement et donna la réponse à tous nos problèmes. Il nous informa sur l’existence d’un service qui venait d’ouvrir à Lyon, l’Action civilo-militaire (ACM), qui s’occupe exclusivement d’humanitaire. Grâce à lui et à cette nouvelle donnée, nous pûmes affiner notre projet. Notre but n’était plus alors de rechercher une ONG après quelques années passées dans l’armée mais l’ACM. Il ne restait qu’à rattraper le coup auprès du caporal-chef qui nous avait fait passer l’entretien. Heureusement, elle sortit pendant notre pause et nous pûmes lui parler furtivement. Elle semblait satisfaite de notre rapide plaidoyer. Nous sentîmes qu’un autre problème la tracassait mais elle ne nous en parla pas alors. Après le déjeuner, l’après-midi que tout le monde redoutait arriva : les épreuves sportives (mieux valait manger peu !) L’adjudant-chef R. du CIRAT de Marseille n’avait prévenu personne sur les détails de cette journée – trois d’entre nous eurent affaire à lui. Laisse-nous donc t’informer, Fidèle, des fois que tu t’engages :
– Connais-tu le test du luc léger ? Il est simple à expliquer, pas à réaliser. Vingt mètres de pistes délimitées par deux bandes blanches. Premier bip, tu pars en courant, le but étant d’arriver à l’autre bande avant le second car au second, tu repars, etc. Le test dure dix minutes, chaque palier compte une minute et est plus rapide que le précédent. Nous arrivâmes à 7 paliers 30, ce qui n’était pas génial en soit.
– La seconde épreuve est la course d’obstacles. Un petit parcours à réaliser deux fois en deux minutes et trente secondes. Le saut d’obstacle de quatre-vingt-dix centimètres et le dessus-dessous sont des agrès non notés car éliminatoires ; il faut donc les passer absolument pour continuer. Les treize tractions dorsales doivent être comptées à voix haute. Le porter de sac sur quinze mètres ne se fait qu’à la fin du second tour et selon une technique bien déterminée auparavant.
– La dernière épreuve physique est la force brute : dix soulèvements menton au-dessus de la barre. Nous n’en fîmes que six, à nous demander pourquoi nous allions à la salle de sport tous les soirs lorsque nous étions au lycée – les mecs, sans doute…
Après tout cela, nous étions crevé, comme tout le monde d’ailleurs. La journée n’était pourtant pas achevée. Il fallut en effet vite se doucher avant d’aller dîner au mess des officiers, comme chaque soir.


31 octobre 2002

Lyon (Lyonnais, France).

Ce dernier jour fut moins dur physiquement que le précèdent, mais plus stressant. La matinée débuta avec les tests psychotechniques et s’acheva en début d’après-midi par la conclusion de nos orienteurs qui nous donnèrent leur avis sur notre candidature. Ils n’étaient là que pour cela, le CIRAT prenant la décision de suivre ou non leur avis. Les tests psychotechniques se déroulèrent dans une salle informatique. Plusieurs épreuves, plus ou moins évidentes, nous y attendaient. Après deux heures trente de réflexion, de calculs et de logique, nous pûmes sortir. Le dernier déjeuner au CSO approchait. L’après-midi, le caporal-chef B. nous conduisit à la salle d’info libre afin d’affiner notre projet dans le but de convaincre pendant l’entretien final que nous savions ce que nous voulions et que l’Armée de Terre avait tout intérêt à nous prendre. En parfait fainéant que nous sommes, nous n’avions jamais passé d’entretien de notre vie. Dans la salle d’info libre, chacun attendait son tour et beaucoup appréhendaient le résultat de leurs épreuves. Pour notre part, c’était comme pour le baccalauréat : stress nul. Après environ une heure trente, vint notre tour. Nous ne fîmes pas attention au nom du caporal-chef qui s’occupa de notre dossier. Lors du premier entretien, nous en tirâmes une assez mauvaise impression mais elle se révéla finalement très efficace. Nous avions réussi tous les tests et étions donc classé E1 ; apte à tout et pas trop con. En lecture du son, nous obtînmes 18/20 – va donc savoir par quel miracle ! Aux épreuves physiques, nous aurons certes quelques efforts à fournir mais nous nous en sortîmes plutôt bien. Nous fûmes très surpris lorsqu’elle nous expliqua notre personnalité. Elle tomba pile dessus grâce aux tests psychotechniques. Nous sommes posé, calme, serein, non émotif ; nous réagissons très bien au stress et nous disons toujours ce que nous pensons avec diplomatie (sauf quand il s’agit de remettre quelqu’un à sa place, naturellement). Nous avons également tendance à nous retirer du monde ; nous sommes rêveur. Elle nous questionna un peu sur notre ambition, nos motivations, etc. Selon elle, notre projet était très bon mais elle nous fit part de ses craintes à notre égard. En effet, elle pensait que nous pouvions être déçu par la vie dans un régiment car nous nous intéressions davantage à l’humanitaire qu’à la vie militaire. Nous nous défendîmes du mieux que nous pûmes et elle nous proposa d’entrer dans l’armée en tant que VDAT plutôt qu’EVAT afin d’avoir une première année d’expérience et de voir si la vie dans un régiment était faite pour nous. La première chose qu’il faut afficher lors d’un entretien, nous semble-t-il, est sa franchise ; nous lui dîmes par conséquent que l’aspect humanitaire nous intéressait plus que la guerre, que nous souhaitions sauver des vies plutôt que d’en détruire. Elle conclut que nous possédions effectivement le profil de notre spécialité et que si la vie au sein d’un régiment nous convenait, nous ferions un bon militaire car notre projet tenait la route et que nous savions de quoi nous parlions (« Ah ouais ?! »). Le caporal-chef B. avait auparavant insisté pour nous faire faire un VDAT médical qui privilégie plus la spécialité que l’aspect militaire. Nous poussâmes la porte du bureau soulagé. Encore environ deux heures d’attente et nous pûmes sortir du CSO pour aller fêter cela dans un pub toute la nuit au son de pintes entre-choquantes et de poésies nimbées. Hélas, non ! Le caporal-chef B. informa la section qu’elle avait été l’une des meilleures qu’il avait jamais eues (nous le soupçonnons de le dire à toutes !), nous sortîmes et prîmes notre TGV.
Nous retenons de ces trois jours une formidable impression. Nous les passâmes, ce qui n’est pas rien tout de même ! Dans deux semaines, nous recevrons une convocation du CIRAT, et donc une réponse définitive. Nous devrons alors exposer à nouveau notre projet et surtout demander une incorporation. Il nous fut dit au CSO que nous pouvions choisir n’importe quel régiment de l’Hexagone puisque nous souhaitions entrer dans le médical. L’Armorique nous attire et nous aimerions beaucoup entrer au 3ème régiment d’infanterie et de marine (R.I.Ma.) de Vannes, dans le Morbihan, car c’est un régiment très actif et ouvert sur le monde. Il ne nous reste plus qu’à attendre et nous verrons bien ce que l’adjudant-chef R. du CIRAT nous proposera. De toute manière, avant de choisir notre régiment d’incorpo, nous serons obligé de suivre une formation. Nous allons sans doute nous retrouver au 1er régiment médical (R.Med.) de Metz… en plein hiver !


3 décembre 2002

Metz (Lorraine, France).

Comme nous nous y attendions, nous fûmes bel et bien affecté au 1er R.Med. de Metz ! Ce matin à 8h30, nous avions rendez-vous au CIRAT de Marseille afin de signer notre contrat et recevoir notre ordre de mission. Dans la salle, nous étions le seul à partir pour la Lorraine. Après deux heures d’attente et de paperasse, nous nous rendîmes à la gare et, à 12h08, nous étions dans le TGV. Le trajet fut agréable mais long puisqu’il nous fallut changer de rame à Dijon. Nous en profitâmes pour lire le livre que nous nous étions acheté à la Librairie de Provence : Lord of the Ringards, une excellente parodie du Seigneur des Anneaux. Nous arrivâmes en gare de Metz à 18h33 ; il pleuvait. Nous décidâmes d’appeler le Quartier Serret afin de savoir comment nous y rendre par nos propres moyens. La permanence nous indiqua la ligne 5 du bus collectif dont la destination finale était Maison-Neuve. Après quinze ou vingt minutes, nous passâmes le portail de Serret et l’officier de garde nous signala, comme si nous avions eu le choix, que ce n’était pas une heure pour venir se présenter. Son boulot devait l’ennuyer ; voilà tout ! Il nous laissa quand même entrer et nous amena au poste de permanence. Un sous-officier sympathique nous accueillit et annonça qu’en fin de compte il fallait nous rendre au quartier Colin. Il appela donc pour que l’on vînt nous chercher ; nous attendîmes là environ vingt minutes qu’un 1ère classe vienne en Peugeot P4. Nous apprîmes pendant le trajet qu’il était réunionnais, que sa femme vivait également à Metz, qu’il n’aimait pas ce coin – sans blague ! – et qu’il souhaitait au plus vite partir en opération extérieure (OPEX), voire carrément sur son île au régiment interarmes. Pourquoi faire venir des îliens en Lorraine ? Va comprendre, Fidèle ! Une fois à Colin, nous nous rendîmes compte que nous n’étions pas le seul à être arrivé à cette heure-là ; nous discutâmes avec les autres devant un sachet-repas offert par le régiment. Le hasard fait bien les choses dit-on : Mélanie (1ère classe), l’une des filles présentes, venait du 3ème R.I.Ma. de Vannes et une autre, Estelle, avait fait le trajet Lyon / Metz dans le même wagon que le nôtre, quelques sièges plus en avant. Après un moment d’attente, le reste de la section nous rejoignit dans une salle de cours où le caporal-chef S. nous expliqua comment allaient se dérouler les festivités. On nous montra ensuite les chambres de la compagnie dans lesquelles nous passerons notre formation générale initiale (FGI). Sept autres soldats sont dans la chambre 9 avec nous : Rodrigue (chef de chambre), Antoine, Marcel, Cyril, Sylvain, Laurent et David. Notre chambre est faite de stéréotypes, nous compris, naturellement :
– Rodrigue, qui vient de Martinique, est le pseudo-chef qui dit : « Soyez sérieux les gars ! », quand il est le premier à foutre le bordel le soir après 22 heures pour une histoire sans importance sur laquelle nous reviendrons peut-être. Il se croit tout permis car il a déjà été militaire et possède la distinction de 1ère classe.
– Vient ensuite Antoine, la racaille de base un peu sale et beaucoup mythomane. Ce mec nous écœure et nous n’en parlerons pas davantage.
– Marcel est le grand débile qui pense tout savoir et qui ramène toujours tout à sa personne.
– Laurent est le mec drôle qui est en manque au bout d’une heure… Il a certes du mal à accepter la discipline mais c’est le seul dans la chambre que nous voyons vraiment militaire. Il est sérieux lorsqu’il le faut, possède un formidable esprit de camaraderie et le plus important, comme dirait le sergent A., il a en lui le chromosome kaki. Nous l’aimons bien !
– Sylvain est le bon copain avec lequel nous nous entendons le mieux. Nous pensons qu’il doute de son bord…
– Cyril est le gamin sympa qui veut absolument adopter le niveau du groupe pour se faire une place.
– David, enfin, est le mec amoureux de sa voiture qui passe tout son temps libre accroché à son mobile avec sa copine.
Bref, tu l’auras compris, il est inutile d’être devant la télévision pour voir le Loft car ici, on le vit ! Pourtant, si l’un d’entre eux a besoin de nous un jour, nous répondrons présent car ils font partie de notre aventure – en fait non, précisons : présent pour certains seulement. Nous ? Et bien, de la chambre, nous sommes le seul qui relate suffisamment sa vie pour que tu t’en fasses une idée !


5 décembre 2002

Metz (Lorraine, France).

Depuis hier, nous parcourons le circuit d’incorporation à Serret. Pour nous y rendre, deux GBC dans un piteux état (camions Berliet) sont à notre disposition. Il faut environ vingt minutes depuis Colin. Le circuit d’incorpo consiste par définition à faire entrer un militaire dans son unité d’affectation. Habillement, infirmerie, trésorerie, bureau des ressources humaines (BRH), coiffeur… Trois jours pour en faire le tour ! Nous reçûmes ce matin pour environ huit-mille francs de paquetage. C’est à l’infirmerie que l’on nous fit les deux vaccins dont nous avions besoin : anti-méningococcique et anti-typhoïdique. La trésorerie est l’endroit incontournable si nous souhaitons recevoir la solde chaque fin de mois. Au BRH, nous remplîmes encore des papiers : carte de transport, ID militaire, demande de passeport pour partir en OPEX et conventions de Genève qui garantissent à chaque personnel médical en temps de crise à l’extérieur une certaine protection. Quant au coiffeur, certains pleurèrent de voir ainsi leurs cheveux partir sous la tondeuse. Heureusement de notre côté avions-nous prévu le coup quelques semaines plus tôt afin de nous habituer. Étant le suppléant de la chambre 9, nous prîmes hier en charge la clef qu’il faut remettre à la Semaine (le sous-officier qui est de permanence dans la compagnie) après avoir soigneusement fermé la porte. Ce matin, alors que tout le monde attendait dans le GBC, nous ne la retrouvions plus. Cela constitue une faute et nous en assumâmes de suite la responsabilité.

Caporal-chef S. . Et la tête, elle est toujours là ?
Nous . Elle est là, chef !
Caporal-chef S. . Laisse ça pour le moment, tu la chercheras plus tard. On n’a pas de temps à perdre, on doit partir !

C’est au BRH, à Serret, en cherchant notre ID, que nous la retrouvâmes ; nous l’avions glissée dans notre besace.


6 décembre 2002

Metz (Lorraine, France).

Comme nous l’écrivîmes plus haut, la vie dans la compagnie ressemble un peu à celle du Loft.* Nous croyons en effet bien être tombé dans une garderie pour adolescents pré-pubères en manque de sexe. Ils font tous un complexe de McCain – ceux qui en parlent le plus qui en mangent le moins… Par ailleurs, beaucoup viennent de la cité, chantent du rap, boivent et fument – ô joie ! Tous, cependant, en l’espace de quelques jours, changèrent leur personnalité de départ – c’est assez déplorable. Nous comprenons très bien que l’on veuille s’intégrer au groupe, c’est même indispensable, mais pas que l’on change sa manière d’être. Nous avons le sentiment que le niveau de chacun a considérablement baissé – et il est bas, tu peux nous croire, Fidèle ! Nous avons en tête plusieurs anecdotes. Prenons pour exemple la douche. Afin d’éviter tout problème, l’adjudant-chef S. ordonna à notre arrivée que les filles couchassent au premier étage et les garçons au rez-de-chaussée. Chaque soir, tout le monde prend une douche, rapide ou pas. Le matin, après la petite séance de course à pied, c’est déjà moins évident. Le temps manque et les douches aussi, même si, grâce aux groupes de force, tout le monde n’arrive pas en même temps à la compagnie. Dans la semaine, trois mecs eurent la fausse bonne idée de monter au premier étage. Gaëlle (la satanique) en surprit un et le rapporta au caporal J.. Tous eurent naturellement droit à de vives remarques de sa part et comme à l’armée on applique le système de la cohésion, tout le monde en prit plein la gueule pour trois crétins qui ont du mal à accepter les règles de vie en communauté. Les rumeurs vont également bon train. Entre celle qui serait passée dans le lit de la Semaine, celui qui ne se laverait pas, celui qui serait amoureux d’une fille, tout le monde y passe. De vraies collégiennes ! Si l’on met de côté ces petits détails, la vie dans la compagnie est réglée comme une horloge suisse. Nous nous levons à 5h15 car il nous faut du temps pour faire notre toilette et le lit en batterie jusques au rassemblement du petit-déjeuner. À 6h20, nous devons mettre en place les Travaux d’Intérêt Général (TIG) – faire le ménage en somme ! La Semaine décide la veille de qui fait quoi. À 6h50, elle passe pour voir si tout est propre. À 7h15, il y a revue des chambres. Ceux qui ne sont pas de TIG s’occupent de nettoyer leur chambre. Chaque armoire militaire doit être identique. Tout doit être carré. Après cela, nous devons nous présenter au rapport devant l’adjudant-chef avant de nous changer pour aller courir ; la tenue doit là aussi être réglementaire. Pour les garçons : short court et haut de survêtement. Pour les filles : la même chose avec un cycliste. L’adjudant nous autorise quand même à prendre des gants. Nous courrons dans le groupe de force du sergent A.. Notre problème au cœur et notre manque d’entraînement se font largement sentir quand nous forçons trop sur l’endurance. Le reste de la journée se partage entre cours théoriques, Ordre Serré (OS), chant et autres activités ludiques. Il y a des avantages à vivre en communauté. Nous fûmes Scout de France et nous savons ce que c’est – même si cela remonte à une époque de notre vie dont nous ne gardons pas les meilleurs souvenirs… Cependant aimons-nous cela et nous intégrons-nous facilement sans trop toutefois nous dévoiler. Il y a aussi des inconvénients. Rien de grave bien entendu mais ils sont chiants quand même ! Dans la chambre, Antoine nous rappelle sans cesse que l’humanité n’est pas aussi civilisée qu’elle le prétend. Dormir relève également de l’exploit entre ceux qui ronflent et celui qui tousse à s’en arracher les bronches parce qu’il a attrapé la grippe (encore Antoine), avec son crachoir au pied du lit. Il y a aussi David qui une fois avec son : « Et les gars, ça coule ! », pendant qu’il dormait, nous fit allumer la lumière pour vérifier s’il avait des fuites… Il y a aussi les toilettes collectives qui naturellement ne restent jamais propres plus de trois heures. Ajoutons à cela les prises de têtes quotidiennes pour de petits trucs sans importance et nous aurons fait le tour. Honnêtement, le confinement ne réussit à personne et heureusement que nous sommes blasé car nous aurions nous aussi depuis longtemps pété un câble. Nous sommes coupé du monde durant la semaine. Les mobiles ne sont pas autorisés – personne ne se gêne ! – et nous n’avons hélas pas accès à notre si précieux courriel. Heureusement qu’il y a le courrier. Pour la Poste, nous passons par le caporal C. qui, soit dit en passant, est bien charmante ! Nous nous égarons, mille excuses ; nous sommes en manque également…


7 décembre 2002

Metz (Lorraine, France).

La première sortie sur le terrain est prévue en janvier et pour le moment, nous ne reçûmes que des cours théoriques. Autant ne pas te le cacher, Fidèle, ils sont souvent soporifiques ! D’ailleurs, certains s’endorment – à leurs risques et périls, du reste. C’est pour cette raison que nous te ferons grâce des détails. Nous commençâmes par l’organisation du régiment, son histoire, sa mission et les moyens mis à sa disposition pour la mener à bien. Vinrent ensuite les fondements et les règles de discipline, les devoirs et les responsabilités du militaire, celles du subordonné, évidemment moins nombreux, les règles de politesse, les récompenses et les punitions, etc. Bref, du bourrage de crâne pour faire de nous un bon petit soldat, membre d’une fourmilière gigantesque qui doit être prête à se défendre contre le méchant tamandua. « Être discipliné, c’est appliquer le règlement ! » C’est aussi et surtout fermer sa gueule même si quelque chose pose problème. On appelle cela "Devoir de réserve” et on chapeaute le tout d’une œillère imbécile. Et puis, c’est quoi cette neutralité qu’on nous impose ? Nous nous y plions car nous sentons que c’est important mais c’est, pour nous, le plus dur. Nous demandâmes un après-midi pendant un cours sur les règles du Salut si nous le devions également autant aux drapeaux et hymnes amis qu’ennemis mais on ne sut pas nous répondre. Est-ce si incohérent comme question que personne ne sache ce que le mot fair-play signifie ? Que diable ! nous ne sommes pas un barbare. Nous apprîmes également à nous présenter. En plus des pas et positions à respecter, il faut accompagner le tout de la phrase magique :

« Soldat …
« Compagnie de base et d’instruction
« Deuxième section
« À vos ordres (mon) … [blablabla, léchage de fesses] »

Il y a enfin la grande règle du secret mais nous en réservons la critique pour l’épilogue…


9 décembre 2002

Metz (Lorraine, France).

Tout le monde passa le premier week-end au quartier. Samedi, nous fîmes connaissance avec le sergent A. qui passa dans notre chambre pour discuter un peu, histoire de connaître ses soldats. Hier, nous nous levâmes à 8 heures pour aller petit-déjeuner dehors. Étaient présents avec nous Sylvain, Mélanie, Aviva, Nathalie, Delphine et Gaëlle. Nous nous rendîmes au bar le plus proche de Colin. Là, nous vîmes entrer deux individus étranges : un travesti et une fille plutôt louche avec un œil au beurre noir. Nos camarades les regardèrent d’un air amusé et nous trouvâmes cela assez dérangeant, sans doute parce que nous en avions l’habitude – on voit de tout dans les rave-parties. À ce propos, nous nous levâmes pour leur demander s’il n’y en avait pas à Metz. Hélas, non ! Même le barman ne sut pas quoi nous répondre. Nous rentrâmes ensuite au Quartier et chacun vaqua à ses occupations. Comme nous étions compté mangeant à l’Ordinaire, il fallut nous changer en treillis pour y aller vers 11 heures. L’après-midi, nous visitâmes le centre-ville. Le bus était trop tard alors marchâmes-nous : il suffit d’aller tout droit jusques à la place de la République. Nous fouillâmes les Galeries Lafayette à la recherche de quelque vêtement intéressant, puis d’autres rues, etc. Nous quittâmes quelques minutes les autres au centre Saint-Jacques pour les perdre en sortant. Oups ! Nous continuâmes seul un moment et finîmes par rentrer au Quartier en espérant qu’ils ne nous chercheraient pas trop longtemps et décideraient d’en faire autant. Ils arrivèrent une heure après nous. Hier soir, le caporal J. nous fit à tous un petit speech sur le haschisch et nous donna quartier libre jusques à ce matin. Pourquoi faut-il absolument faire de l’herbe sacrée une bette noire ? C’est vrai quoi ! Il y a pire en ce monde : les ecstasys par exemple, l’héroïne, la connerie, la corruption, la médiocrité, l’orgueil… Foutez-nous la paix avec la weed, merde !


15 décembre 2002

Metz (Lorraine, France).

Notre premier vrai week-end de permission ! Nous ne pûmes rentrer sur Aix car le trajet en train est bien trop long pour si peu de temps. Cela n’eut pas d’importance car nous n’étions pas le seul à rester en fin de compte. Dans la chambre, Antoine était là, hélas, pour cause de fausse grippe – pauvre petit, il tousse ! Nous décidâmes avec Sylvain de passer ces deux jours ensemble. Hier matin, nous nous mîmes en quête d’une laverie à l’extérieur du quartier. Après être passés devant au moins trois fois, nous la trouvâmes ; cela nous prit la matinée. Pendant que lui allait manger à l’ordinaire, nous restâmes dans la chambre pour réfléchir à notre avenir – genre… À son retour, nous n’avions rien résolu et partîmes pour le centre-ville. Au passage, nous aimerions signaler que Metz a beaucoup d’effort à faire en ce qui concerne les loisirs dans le centre. Même pas un seul cybercafé ; nous dûmes nous contenter d’un vendeur de micro-informatique qui possède deux ou trois connexions à l’Internet. Sur le chemin, nous rencontrâmes des manifestants qui distribuaient des tracts contre la guerre en Irak. Nous nous dîmes que, deux semaines plus tôt, nous en aurions fort probablement pris un… Le soir, nous allâmes au cinéma Le Palace. Théoriquement, nous devions voir Ah, si j’étais riche car Sylvain n’avait pas vu le premier épisode de Harry Potter mais, une fois dans la salle, le film commença et nous nous rendîmes compte que la vendeuse s’était trompée de ticket. Il subit donc Harry Potter et la Chambre des secrets. Nous n’allons pas nous plaindre car nous nous régalâmes ; bel opus ! Ce soir, c’est seul que nous y retournâmes ; nous avions besoin de nous changer un peu les idées alors allâmes-nous voir Meurs un autre jour, un James Bond plutôt réussi. Le week-end est terminé, une nouvelle semaine identique à la première va commencer.


20 décembre 2002

Metz (Lorraine, France).

Mercredi dernier, le sergent A. souhaitait nous parler dans la salle de cours. Elle nous demanda si nous voulions être volontaire pour une mission spéciale aujourd’hui, ne voulant pas nous en dire plus. Instinctivement, nous acceptâmes. N’étions-nous pas ici pour vivre des expériences ? Par ailleurs, peu importait ce qui nous attendait alors : tout était préférable à la course à pattes de dix kilomètres et aux TIG du vendredi… Nous nous retrouvâmes donc le seul con la main levée et, quelques instants plus tard, quatre autres soldats furent désignés volontaires : Cyril, David et deux dont nous nous foutons pas mal. Nous apprîmes enfin que nous devions jouer la victime à Serret pour quinze personnels qui avaient à passer leur C.F.A.P.S.E. (brancardage, A.F.P.S. et assistance respiratoire). À 7h20 ce matin donc, nous partîmes pour Serret en P4 de 1984 avec le caporal J.. Nous nous portâmes de nouveau volontaire pour jouer une victime à brancarder dehors, malgré le froid, le crachin et le verglas, toujours par intérêt, sachant par avance que dedans les victimes seraient barbouillées de faux sang et de fausses plaies. Nous savons ce que c’est et nous n’aimons pas l’odeur. Nous descendîmes avec le premier groupe à passer. Cyril nous accompagnait. Nous jouâmes la première victime : un mec qui en voulant réparer seul une gouttière était tombé de son échelle ; il avait mal au dos et ne sentait plus ses membres inférieurs. Les secouristes arrivèrent, nous prirent en charge, posant des questions sur ce qu’il s’était passé, sur ce que nous ressentions, etc. Finalement, ils conclurent à une paralysie et décidèrent de nous mettre sous assistance respiratoire. Ils disposèrent ensuite une minerve autour de notre coup et nous portèrent sur un brancard, allongé sur le dos (naturellement). Un petit parcours était prédéfini par les jurés et le but pour les secouristes était de le passer sans nous faire tomber ni trop bouger ; ils y parvinrent sans accroche. À la conclusion des examinateurs (un sergent et un adjudant-chef), nous apprîmes que lorsque l’un des secouristes nous avait pincé, demandé si nous ressentions quelque chose et que ce n’était pas le cas, nous aurions dû paniquer ! Nous venions de rater une chance de prouver nos talents profondément cachés de comédien… La seconde mise en scène fut pour Cyril : un piéton renversé par une voiture qui avait mal à sa jambe droite. Enfin, pour la dernière, nous dûmes jouer le crétin de service qui en voulant jeter les poubelles s’était pris le couvercle de la benne à ordures collective sur le bras et l’avait cassé ; il se sentait mal et était prêt à tomber dans les pommes. Bref, on ne choisit pas son rôle ! Les secouristes arrivèrent et comme nous simulâmes à merveille le malaise, il en fallut deux pour que nous ne tombassions pas. Ils installèrent une couverture sur le sol, nous assirent dessus et nous demandèrent ce qui n’allait pas. Ils décidèrent de nous mettre sur le brancard et de nous poser un atèle gonflable au bras. Ensuite, ils nous demandèrent dans quelle position nous nous sentions le mieux et, puisque nous avions passé notre A.F.P.S. en novembre, nous sûmes que dans un cas comme celui-ci la position semi-assise est idéale et surtout que sur un brancard non adapté, bah… cela emmerde les secouristes ! Nous vîmes du coin de l’œil l’adjudant-chef esquisser un sourire. Nous en apprîmes quelques instants après la raison : les secouristes n’avaient pas encore vu ce cas de figure mais ils firent preuve d’ingéniosité en disposant leur sac à l’avant du brancard afin de nous relever un peu. Comme pour la première fois, ils attachèrent les sangles, nous couvrirent avec une couverture et transportèrent vers l’ambulance sur un parcours différent. Nous n’assistâmes pas à la conclusion des examinateurs mais au retour des secouristes dans le bâtiment, ils nous remercièrent car avoir fait preuve d’ingéniosité sur la position semi-assise avait joué en leur faveur et donné bonne impression au sergent et à l’adjudant-chef. Cool ! Au retour, chacun raconta sa petite aventure au caporal J. et lui la sienne… Mais là, c’est secret défense !


21 décembre 2002

Metz (Lorraine, France).

Nous signâmes notre contrat de VDAT pour voir si la vie militaire était faite pour nous. Au bout de trois semaines d’acclimatation, nous pouvons déjà répondre à cette question : nous ne sommes pas fait pour les ordres. Notre grand-père nous dit d’une manière bien à lui par téléphone, hier, de bien réfléchir avant de prendre une décision aussi importante, ce que nous fîmes. Ce n’est pas la formation qui nous dérange – au contraire savons-nous ce que nous pouvons y gagner – mais nous avons l’esprit trop volage (inconstant) pour cette vie-là. Par ailleurs, nous rentrâmes dans l’armée afin de voyager, ne jamais rester au même endroit, partir à l’aventure et au 1er R.Med. afin de faire de l’humanitaire tel que l’on semblait nous l’avoir recommandé. Lorsque nous arrivâmes au régiment, lorsque nous vîmes tous ces personnels, nous nous rendîmes vite compte que leur vie était trop paisible à nos yeux (Playstation, ping-pong ou guitare). Nous nous rendîmes compte que nous ne voyagerions pas autant que nous l’espérions en signant notre contrat. Nous nous rendîmes compte enfin que nous avions approuvé que notre esprit soit pendant un an enfermé ! Nous prîmes par conséquent la décision cette semaine de dénoncer notre contrat dans les règles. Nous en parlâmes au sergent A., ainsi qu’à l’adjudant S. et au major W.. Nous leur expliquâmes nos raisons et ils semblèrent comprendre que nous nous étions trompé dans notre choix. À l’heure actuelle, ce sont les vacances et nous pensons qu’à la rentrée nous pourrons nous entretenir avec le capitaine P. pour, à nouveau, lui expliquer les raisons de cette dénonciation et en finir avec ce chapitre de notre vie. Cette démarche peut prendre du temps toutefois. Nous passâmes trois semaines assez intéressantes. Nous fîmes certes une erreur en choisissant cette voie (une de plus) mais nous apprîmes quelques chose : ce n’était pas la bonne. Qu’allons-nous bien pouvoir dire à notre mère ? Nous ne le savons pas, le plus important étant ce que nous allons bien pouvoir faire maintenant ! Notre avenir dépend de beaucoup de choses. Une partie de notre vie est manquante et jamais nous n’arriverons à trouver une stabilité. Dans le pire des cas, nous déciderons pendant ces vacances de partir à l’aventure quoiqu’il advienne, comme nous le voulûmes toujours. Réjouis-toi, Fidèle, les histoires ne vont pas manquer dans le futur !


4 janvier 2003

Marseille (Provence, France).

Il est 23h08 et nous sommes à la place que nous réservâmes cette fois-ci – pas comme pour le retour Metz / Marseille où nous dûmes passer la nuit sur notre sac car la SNCF avait jugé bon de vendre plus de tickets que de places disponibles, nous obligeant par la même occasion à nous séparer d’une de nos serviettes de bain pour couvrir une petite fille qui était dans la même situation que nous et qui dormait par terre. Bref… Cette fois-ci, nous sommes bien assis et pouvons passer la nuit tranquillement.


5 janvier 2003

Metz (Lorraine, France).

Nous arrivâmes dans un Metz habillé de blanc à 8 heures pétantes. Pas de bus en vue, nous nous rendîmes au quartier Colin à pattes avec notre énorme sac sur le dos. En effet, nous partîmes d’Aix avec un maximum d’affaires civiles en prévision d’un départ que nous souhaitons le plus proche possible.


6 janvier 2003

Metz (Lorraine, France).

Que des cours aujourd’hui, c’est d’un monotone ! Nous perçûmes également dans l’après-midi la bouffe à l’ordinaire pour le mardi midi, soir et le mercredi matin, deux jours que nous passerons sur le terrain. Le reste de la journée, tout le monde prépara son sac ; ce qui consiste à faire entrer dans un sac F1 (sans la cheminée) l’inrentrable. Nous dûmes également passer au foyer nous acheter une bâche camouflée qui nous sera toujours utile même après l’armée.


7 janvier 2003

Metz (Lorraine, France).

Ce matin, nous achevâmes de remplir les deux GBC et les deux P4. David, Cyril (qui dénoncent leur contrat également) et nous-même aidâmes les autres mais ne montâmes pas avec eux ; nous attendîmes notre sort sur le côté. En fait, personne ne savait exactement si nous allions ou non sur le terrain. Finalement, nous demandâmes à l’adjudant qui nous assura que nous devions poursuivre l’instruction comme tout le monde. Toujours est-il que nous eûmes droit à un traitement à part. C’est en P4, avec le caporal J. et le 1ère classe H., que nous nous rendîmes avec les autres à Serret. Là, nous perçûmes notre F.A.Mas, pour le rendre deux minutes plus tard. Nous devions en effet voir le commandant. C’est le caporal J., toujours, qui nous prit en charge. David et Cyril passèrent les premiers. Après environ trente minutes vint notre tour. Comme l’adjudant et le major, le commandant nous demanda quelles étaient les raisons de notre dénonciation, ce que nous pensions de l’armée, ce que nous comptions faire désormais, etc. Dans la majeure partie des cas, les soldats qui dénoncent leur contrat ne peuvent plus revenir dans l’armée ; ce n’est pas le nôtre ! Il semblerait selon lui que nous disposions du profil nécessaire pour faire l’ENSOA à Saint-Maixent. Il y a tout de même peu de chances que nous y revenions et si toutefois nous décidions du contraire, ce serait dans la Marine nationale et nous nous serions renseigné avec précision sur ce que nous y ferions. De toute manière, en témoignant ici, nous nous grillons auprès de l’armée ! À la fin de l’entretien, nous retournâmes dehors et y retrouvâmes Aviva qui avait eu un petit problème de respiration. Nous attendîmes quelques quarante minutes le retour du reste de la section qui effectuait sa marche de dix kilomètres dans le très froid messin. À leur arrivée donc, l’adjudant les rassembla pour le compte rendu : « C’était carrément nul à chier ! », fut sa conclusion. Beaucoup tombèrent à cause du verglas, certains eurent des ampoules et durent s’arrêter, d’autres eurent faim, se plaignirent, etc. Très honnêtement, le sac n’étant pas si lourd que cela, nous aurions pu le faire car, à la Sainte-Victoire, c’est une journée entière que nous partons parfois en randonnée. Dans ce froid cependant rien n’est-il sûr… À nouveau, nous montâmes dans la P4 et les autres dans les deux GBC pour nous rendre cette fois-ci au champ de tir. Nous ne savions toujours pas si nous allions sur le terrain. L’exercice dura tout l’après-midi. Par série de quatre, nous passâmes devant une assemblée de cadres qui nous donna les ordres à suivre en nous observant, nous engueulant si nous faisions une connerie et notant nos résultats. Il ne faut pas croire que l’on tire comme cela, aussi facilement que dans les films, lorsqu’on est en exercice ; il y a des instructions à respecter. Lorsque l’on entend : « En disposition de combat », il faut enfiler le casque anti-bruits, se placer couché, porter le fusil sur bipied à l’épaule, mettre le chargeur, charger et surtout ne rien faire de plus. Ensuite, l’adjudant explique quel tir à effectuer (nombre de cartouches, distance du tir, coup par coup ou rafale) et à ce moment seulement, lorsqu’il dit de commencer, on peut tirer, à son rythme, tout en gardant à l’esprit qu’on n’est pas le seul à passer. Dans un premier temps, nous eûmes à tirer cinq cartouches au coup par coup à deux cents mètres. Comme nous n’avions pas perçu de nouveau F.A.Mas à Serret, nous demandâmes avant d’entrer le sien à Laurent, un fusil pour droitiers ; c’est ce qu’il nous affirma ! Nous eûmes tort de ne pas vérifier la tête amovible par la chambre. Nous tirâmes un premier coup et le fusil s’enraya. Le caporal-chef G. vint auprès de nous et regarda ce qu’il se passait. Il ne vit rien, enleva la balle de la chambre et rechargea. Nous tirâmes une seconde fois et la même chose se produisit. Là, il s’aperçut que c’était un fusil pour gauchers et nous eûmes droit à un coup dans la jambe droite. Nous lui expliquâmes alors ce qui avait dû se passer. Toujours est-il que nous niquâmes deux balles, un appui joue et probablement un peu aussi le F.A.Mas. Aucune importance, nous dit-il, mais nous dûmes tirer nos trois dernières cartouches à gauche, ce qui était sensiblement la même chose. Nous ne nous aperçûmes pas que nos résultats figuraient sur un écran à côté de nous et nous ne connaissons pas le résultat du carton au premier tir. En sortant, nous dûmes démonter le fusil de Laurent et le remonter en droitier. Quant à lui, le caporal-chef G. lui infligea pour punition de porter son arme à bout de bras jusques à complet épuisement. C’était injuste, nous aurions dû vérifier, ne le fîmes pas. Nous aurions dû porter nous aussi notre arme à bout de bras jusques à complet épuisement mais non : on ne discute pas les ordres, si ineptes soient-ils ! Une chance pour nous, le soldat P., qui eut un petit problème, dut être évacuée sur Serret puis à l’hôpital militaire Legouest ; le 1ère classe H. nous confia donc son F.A.Mas. Le temps que tout le monde passât, nous dûmes marcher pour ne pas mourir de froid. Dans un second temps, nous eûmes à effectuer un tir de dix cartouches au coup par coup à deux cents mètres. Sans nous vanter, nous croyons avoir massacré la cible. Nous regardâmes cette fois-ci l’écran avant de sortir et nous pûmes observer que seulement deux balles se trouvaient légèrement à gauche de sa tête. Enfin, pour le troisième exercice, nous eûmes à effectuer un tir de quinze cartouches en rafale de trois à deux cents mètres. Encore une fois, nous oubliâmes de regarder l’écran. Le recul était au début plus impressionnant qu’avec le coup par coup mais nous comprîmes vite qu’en appuyant fortement le fusil sur notre épaule, nous évitions en grande partie ce problème sans nous fatiguer. Un autre se posa toutefois : la fumée dégagée était aveuglante. Les tirs effectués, les canons huilés et les mille deux cents douilles ramassées (!), le caporal-chef S. nous annonça que nous devions rentrer avec le sergent (une autre du secrétariat) car, jeudi et vendredi, notre circuit de départ débutera. Cyril nous accompagna et David, quant à lui, resta et alla se geler sur le terrain ; sans doute aurait-il dû réfléchir un peu plus avant de signer pour cinq ans ! Nous prîmes donc notre paquetage et montâmes dans une autre P4 en direction de Colin où nous avons quartier libre jusques à demain. À la compagnie, nous retrouvâmes Gaëlle qui s’était foulée le pouce en faisant son sac ; quelle armée ! Pour la première fois depuis que nous sommes ici, nous allons pouvoir dormir tranquillement, sans entendre les autres ronfler ou parler pendant leur sommeil, sans attendre que Marcel ait achevé de parler pour ne rien dire (« Putain, j’ai pas sommeil moi les gars ! ») et sans Antoine en face de nous ; que du bonheur !


8 janvier 2003

Metz (Lorraine, France).

Ce matin, nous nous réveillâmes à 5h15, comme d’habitude mais en bien plus cool. Dans la nuit, deux filles rejoignirent le régiment pour y suivre la même instruction que nous, en février ! Le soldat P. revint également de Legouest et dut retourner à Serret puis probablement sur le terrain. Le caporal de semaine D. nous demanda d’aller à l’Ordinaire petit-déjeuner sans lui et de revenir. Les TIG furent très vite fait. À la liste de celles et ceux qui partent, il faut ajouter Téhani, une fille qui vient de Tahiti. Elle ne supporte plus le froid et franchement ne pouvons-nous que la comprendre. Elle revint donc elle aussi à la compagnie avant les autres et le médecin lui dit par la suite qu’elle avait bien fait car elle aurait eu de sérieux problèmes si elle était restée. Ce n’est tout de même pas normal que les territoriaux aient à venir aussi loin de chez eux, dans le froid et la neige, pour effectuer une formation sur le terrain ! Quelle armée (bis) ! Vers 9 heures environ, le caporal-chef responsable du matos vint nous faire la revue de paquetage. Un à un, tout ce que nous avions perçu en arrivant fut répertorié pour voir si nous n’avions rien perdu. Il nous indiqua que nous pouvions garder le survêtement de sport et le short, les t-shirts, les sous-vêtements (évidemment). Tout ceci va encore alourdir notre sac. Le reste de la journée se passa dans la tranquillité. Nous eûmes le temps d’écrire une lettre pour la chambre 9 et nous pensons la donner au sergent A., si nous la voyons, pour qu’elle la remette aux copains après notre départ. Nous eûmes également le loisir de discuter avec les filles revenues du terrain ainsi que les deux nouvelles : Indiana et une autre au prénom déjà oublié. Gaëlle nous prêta son lecteur de CD portable pendant qu’elle était à l’infirmerie de Serret, ce qui nous permit d’écouter une dernière fois avant longtemps nos musiques. La musique fait partie des choses dont nous ne pouvons nous passer trop longtemps. Nous venons d’apprendre qu’une fille a disparu sur le terrain : soit elle s’est perdue, soit elle a déserté. Dans les deux cas elle risque sa vie ! Nous n’en savons pas plus pour le moment…


10 janvier 2003

Metz (Lorraine, France).

Pour nous, ce sont les deux derniers jours ; le circuit de départ débute véritablement. Il consiste à faire le même parcours qu’à notre arrivée mais à l’envers. Nous rendîmes notre paquetage militaire ce matin. Cela ne traîna pas, le sergent qui nous accompagnait voulant faire au plus vite, de même que le caporal-chef responsable du matos. Nous passâmes donc en coup de vent dans une dizaine de services, dont le Bureau recrutement reconversion et condition du personnel (BRRCP) qui ne cessa de nous bourrer le mou, nous affirmant presque que notre choix était une grave erreur… Ce midi, nous étions civil. En arrivant au quartier Colin, nous rencontrâmes le reste de la section, de retour du terrain, rassemblé dans le couloir de la compagnie, devant l’adjudant qui leur faisait son compte-rendu. Nous rentrâmes en silence dans la chambre et Cyril ne perdit pas une seconde pour faire son sac de départ afin de pouvoir rentrer chez lui au plus vite. De notre côté, nous demandâmes à l’adjudant si nous pouvions rester ce week-end, le temps de nous organiser ; il n’y vit heureusement aucun inconvénient. Nous ne mangeâmes pas à l’Ordinaire ce midi, pour partir en ville dès que nous le pûmes avec le ticket que Cyril nous avait gentiment donné. La première chose que nous fîmes en arrivant dans le centre fut de consulter notre compte en banque afin de savoir si nous disposions de suffisamment de fonds pour partir. Nous avions décidé de consacrer au plus quatre-cents euros pour un aller simple en avion, peu importait la destination, et nous mîmes donc à la recherche d’une agence de voyage. Au bout de la troisième, nous en avions marre et c’est à contrecœur, sachant que nous ne pouvions plus reculer, que nous entrâmes chez Frantour. La voyagiste nous proposa Bangkok avec une escale de trois heures à Bahreïn, lundi à 11h50, arrivée prévue le lendemain à 9 heures ; parfait ! Cela nous laissera le temps de nous organiser ce week-end, d’écrire nos correspondances, de ne pas nous retrouver quelques jours à la rue en sortant du Quartier et surtout d’avoir le temps, mardi, de trouver quelque chose à faire sur Bangkok. Le billet simple ne valait en plus que trois-cent-soixante euros sur Gulf Air. Notre second arrêt fut le Virgin Megastore pour nous y acheter l’indispensable – parait-il ! – Guide du Routard de Thaïlande. Enfin, nous nous rendîmes à la gare y acheter un billet pour Paris. Avant cela, nous eûmes l’intuition de nous arrêter à la BNP pour vérifier une nouvelle fois notre compte en banque. Heureusement que nous le fîmes car ils nous avaient prit des prévisionnels et ainsi mis à découvert. Nous allâmes de suite nous renseigner au guichet car nous avions peur de ne pouvoir aller même jusques à Paris, ne pouvant avoir de crédit sur cette carte. La banquière nous dit que tout rentrerait dans l’ordre d’ici lundi.

Nous . Lundi ?! C’est aujourd’hui que j’ai besoin de mon billet, merde !

Elle ne sut que répondre à notre étonnement et nous rentrâmes au quartier en espérant que le lendemain fût un jour meilleur côté finances. Ce soir, nous potassâmes notre livre et commençâmes d’apprendre tout un tas de choses pratiques sur la Thaïlande.


11 janvier 2003

Metz (Lorraine, France).

Dernier week-end pour nous à la compagnie – nous sommes encore militaire jusques à minuit. Tout le monde en profita pour se lever à 11 heures ce matin. Restèrent dans la chambre avec nous Sylvain, Laurent et Antoine. Étant levé avant eux, nous en profitâmes pour parcourir à nouveau notre Guide du Routard puis nous allâmes à l’Ordinaire petit-déjeuner avec l’accord du caporal-chef S. qui était de semaine. L’après midi, nous allâmes avec Mélanie, Nathalie et Sylvain en ville faire les magasins. Vers 17 heures, Mélanie nous déposa à la gare car nous devions acheter notre billet pour Paris, gare de l’Est. Nous avions auparavant finalement pu retirer de l’argent à la banque et c’est avec cela que nous le payâmes. Nous demandâmes à la vendeuse de la caisse si elle pouvait nous trouver un hôtel pas cher où passer la nuit du dimanche au lundi à Paris. Celui de l’aéroport pouvait convenir, nous dit-elle, mais la nuit coûtait soixante-dix-neuf euros… tout de même ! Finalement, nous lui demandâmes seulement un aller simple et lui dîmes que nous nous débrouillerions très bien sans hôtel. Elle fut cependant assez gentille pour nous indiquer l’Hôtel de Strasbourg, près de la gare de l’Est – un hôtel miteux soi-disant mais amplement suffisant pour y passer une nuit. Nous rentrâmes ensuite au quartier pour mettre au point les derniers préparatifs. Notre sac est tout simplement énorme. Peut-être serait-il judicieux que nous laissions quelques affaires en route, comme les affaires chaudes, quoi que… Il semble préférable de tout prendre, ne sachant pas ce qui va nous arriver – nous allons peut-être nous tromper d’avion et nous retrouver en Moldavie ! Blague à part, nous prendrons tout et notre dos souffrira, tant pis ! Ce soir, c’est le Royal Marocain dans la chambre 9 où tout le monde se réunit ! Les cigarettes polluent l’atmosphère, les bouteilles d’alcool font le tour. Étant donné qu’une bonne fiesta ne se conçoit pas sans weed (surtout ici), il y en a donc aussi. Qui se l’est procurée ? Cohésion, tout le monde ! Bref, c’est la fête mais nous n’y participons que modérément car, demain, une longue journée nous attend.


12 janvier 2003

Metz (Lorraine, France), 19h10.

Nous ne sommes plus militaire et tout est fin prêt ! Notre thaï est appris ; nous savons compter – ce qui est bien utile pour discuter les prix avec les chauffeurs et vendeurs de toutes sortes ! – et dire quelques mots courants avant d’en apprendre d’autres dans l’avion. Cette langue nous déconcerte un peu et nous avons peur de ne pas parvenir à la pratiquer, surtout si nous ne restons pas longtemps en Thaïlande et d’autant plus que son alphabet est différent du nôtre. Cet après-midi, nous nous reposâmes quelques heures sur notre lit, histoire de nous vider un peu l’esprit sur le pari fou que nous nous apprêtions à relever – et qui était déjà engagé du reste. À 18 heures, nous nous dépêchâmes d’aller manger à l’Ordinaire, le caporal-chef S. nous ayant donné l’autorisation pour le week-end. Nous en profitâmes pour faire le plein d’oranges et de dernières petites gâteries avant assez longtemps. À 18h40, Mélanie nous conduisit à la gare ; Sylvain et Nathalie étaient également présents. Ils nous laissèrent là, face à une nouvelle aventure dont nous ne savons rien encore. C’est dans cette gare qu’elle débute ; c’est dans cette gare que nous clôturons un nouveau chapitre de notre saga ; c’est dans cette gare enfin que nous laissons notre masque de militaire. Il est possible qu’un jour nous ayons à le reprendre mais, pour le moment, celui de voyageur de grand chemin est plus approprié à notre situation. Nous voici donc seul à la gare de Metz pour une destination lointaine et exotique. Nous ne croyons pas pouvoir affirmer que nous nous sentons apaisé à cet instant mais une chose est certaine, nous sommes content ! Nous sommes en train de faire ce que nous avons toujours voulu faire : partir, comme ça, sans aucun objectif, sans aucun point de chute, sans rien d’autre que notre envie de voir le monde et un incroyable brin de folie. Nous n’avions jamais encore eu le courage d’endosser la cape du voyageur de grand chemin et une fierté non dissimulée peut d’ores et déjà se lire sur notre visage. Nous savons à cet instant que nous faisons quelque chose d’extraordinaire, quelque chose que peu de gens connaissent. Nous prostituer en 2002 étaient certes osé mais pas aussi fou, nous semble-t-il. Bref, tout cela pour dire qu’en gare de Metz, déjà, nous sommes quelqu’un d’autre ! Nous eûmes notre premier nouveau contact ici, avec un militaire, un sergent qui sortait de Saint-Maixent. Nous ne savions pas ce que signifiaient les lettres T.O.E. sur son sac alors le lui demandâmes-nous. Il nous répondit tout normalement : « Théâtre d’Opération Extérieure ». Nous lui parlâmes un peu de notre cas et il nous dit que si nous souhaitions revenir dans l’armée et partir souvent en OPEX, il nous fallait demander à intégrer le 16 en Allemagne. Il ajouta qu’il fallait nous renseigner auprès du chef C. et de nous annoncer de sa part. N’était-ce pas sympathique ?


13 janvier 2003

Aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle (Île-de-France, France), 00h25.

Nous sommes devant notre hall d’embarquement et nous avons onze heures d’attente devant nous ! Nous ne te conseillons pas, Fidèle, d’essayer les sièges de Roissy-Charles-de-Gaulle comme couchette ; c’est la misère ! Aussi en profitons-nous pour rédiger ce journal. Nous prîmes notre train en gare de Metz à 19h29 hier soir pour arriver en gare de l’Est vers 22h25. De là, nous achetâmes un ticket de RER pour Roissy-Charles-de-Gaulle, sept euros et quelques. Nous arrivâmes au terminal à minuit. Laurent nous appela il y a cinq minutes ; nous pensons que la lettre laissée au caporal-chef S. pour qu’il la leur remette après notre départ fit son effet ! Pour la comprendre, il faut savoir que dans la chambre, les bons mots sur les homosexuels et les préjugés fusaient de temps à autre. Un certain machisme régnait chez deux ou trois de nos compagnons de chambre. Ne nous mêlant que modérément à ce genre de conversations en général, nous restâmes sans soupçon. Par ailleurs, nous étions probablement bien plus apte au service que beaucoup – seul Laurent, répétons-le, faisait selon nous honneur à son uniforme. Nous leur apprenions dans cette lettre que nous avions fait partie d’un Cercle en 2002 en tant que prostitué, que nous étions bisexuel et qu’il était temps pour eux de laisser tomber ces préjugés ridicules. Nous les remerciions pour avoir passé un séjour d’enfer avec eux – au bon sens du terme – et leur écrivions qu’ils nous manqueraient sans doute. Nous leur souhaitions bonne chance, etc. Laurent semblait un peu gêné et nous dit que cela resterait dans la chambre, etc. Sacré Laurent ! Théoriquement donc, une rumeur va naître à notre sujet – bonne ou mauvaise, nous ne le savons pas par contre – et finalement la lettre va tourner, dévoilant ainsi le secret de la chambre 9. C’est ainsi que nous laissons une trace de notre passage… Nous pensons pouvoir dire avoir laissé au 1er R.Med. la nôtre, éphémère, sans prétention aucune, en plus d’être parti à l’aventure pour Bangkok. Le caporal-chef S. en fut grandement surpris quand nous lui en fîmes part d’ailleurs ! Telle est la fin de ce récit. Un autre va prendre sa place dans les jours à venir. Le théâtre de nos aventures ouvre ses portent. Seul ticket à présenter : celui de la folie !


Épilogue

Nous promîmes plus haut de te parler, Fidèle, de la grande règle du secret ; nous tenons toujours parole ! Nous recopions ces lignes bien tard. Aujourd’hui, nous sommes revenu d’Asie du Sud-Est, installé à Aix-en-Provence et de nouveau prostitué ; notre vie nous convient. Saches seulement que si nous n’écrivons rien ici de confidentiel, c’est suffisamment dérangeant pour mériter la censure. L’Armée, en la personne de l’adjudant-chef bouffon R. susnommé, nous appela il y a quelques jours pour se plaindre de notre journal en ligne. Soit il se sentit vexé par nos propos, soit l’affaire était sérieuse !

Nous . Allo ?!
Adjudant-chef R. . Monsieur de Kerloar ?
Nous . Lui-même !
Adjudant-chef R. . Bonjour ! Ici l’adjudant-chef R. du CIRAT de Marseille. Je vous appelle à propos d’un incident, mineur, dont on m’a fait part concernant votre site, qui est très bien fait du reste, mes félicitations !
Nous . Heu… merci, mon adjudant ! Quel est le problème exactement ? L’Armée aurait-elle été touchée par quelques-uns de mes propos ?
Adjudant-chef R. . Pas l’Armée, Monsieur de Kerloar. Il s’agit en fait du CIRAT de Marseille qui s’est étonné qu’on lui rapporte certaines de vos critiques. Il semblerait qu’une simple recherche sur Internet leur fasse une mauvaise publicité et l’on m’a chargé de vous prévenir.
Nous . Vous n’oseriez pas la censure ou la plainte tout de même ?! Si ?!
Adjudant-chef R. . Vous savez, Monsieur de Kerloar, toute mauvaise image en ce moment n’est pas la bienvenue pour l’Armée de Terre ; évitez juste de cibler un organisme ou quelqu’un en particulier !
Nous . Je comprends, naturellement, même si je n’ai rien écrit pour m’attirer les foudres du CIRAT qui, soit dit en passant, recrute vraiment n’importe qui à envoyer n’importe où pour grossir ses chiffres. Je n’ai écrit que ce que je pensais, voilà tout !
Adjudant-chef R. . Vous employez des termes bien durs toutefois, il faut le dire. Attendez, je reprends mes notes… Le terme « bouffon », par exemple, revient souvent lorsque vous me nommez.
Nous . C’est vrai et je le répète, ce n’est que ce que je pense !
Adjudant-chef R. . Ce genre de sites pourrait mener à une plainte pour diffamation et nous n’aimerions, ni vous ni moi je pense, en arriver là ; je suis sûr que vous comprenez notre position, Monsieur de Kerloar !

Nous reconnaissons que la Défense nationale est une nécessité, hélas ! Nous la souhaiterions même européenne, avec conscription obligatoire (mais souple). Ce qui nous n’appréciâmes pas dans cette expérience messine, cependant, est le fait que nous n’ayons pas été suffisamment informé de l’ennui que nous aurions à supporter en nous engageant. C’est vrai, quoi ! On vous promet ceci, cela, dans les CIRAT, pour remplir son quota d’engagés, depuis que la conscription n’est plus obligatoire, et voilà, on en arrive à enrôler n’importe qui pour faire n’importe quoi. Ce n’est pas la conception que nous avons d’une armée responsable et moderne.
En écrivant ce carnet, avions-nous touché l’ego de l’adjudant-chef R. ou le CIRAT de Marseille sentait-il vraiment sa réputation menacée ? Aucune idée ! Par précaution, nous dûmes remplacer les noms de nos supérieurs par des points bienvenus. Nous devînmes également paranoïaque – une tare de plus, nous diras-tu !



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