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Tous nos textes, Fidèle, sont déposés à la Société des gens de lettres, Paris. Sois gentil, tu t’en inspires dans la vie si tu veux mais sur papier ou à l’écran, cherche ta muse ailleurs. Bonne lecture !
La pièce se déroule dans un songe, quelque part entre 2004, 2005, Aix-en-Provence et Marseille, dans le Sud de la France. Fier de notre ingérence, nous surprenons une conversation entre deux garçons qui ne se sont encore jamais vus. Êtres de cire que la vie consume à perte, ils sont assis chacun sur une chaise et se parlent à travers une toile obscure. Nous les écoutons…
« Nous ressentons un besoin de sincérité, de partage et d’affection. À défaut d’avoir réussi à nous convertir, il nous fit comprendre que bâtir une relation sincère avec quelqu’un pouvait être plus enrichissant que d’en bâtir d’éphémères avec beaucoup ! »
Ael . Le théâtre te permet-il de t’évader ?
Peran . Il me permet de hurler… J’ai toujours eu la sensation que ce monde n’était pas le mien et, quand je crée, que je suis le seul qui dicte les règles. Alors je peux vivre l’espace d’un instant la vie qui me ressemble le plus au fond.
Ael . Peut-être n’est-ce pas libérateur, peut-être qu’au contraire le théâtre t’enferme-t-il…
Peran . C’est possible ! C’est même fort possible, d’autant plus que j’utilise chacune de mes souffrances pour écrire, pour donner vie à ce que je fais. Je ressasse toutes mes peines à chaque fois. Mais voilà c’est ma passion, c’est un besoin et il ne me reste que le théâtre pour imaginer ma vie avec un être aimé mais inaccessible…
Ael . Tu es enfermé dans deux mondes alors. Celui de la représentation, du miroir déformant, et celui de l’amour tragique, impossible, sur lequel balance un Damoclès contrit mais impuissant devant telle gabegie. Au milieu que faire ? Continuer à vivre sans doute, vivre à moitié sans pouvoir mieux… Alors nous comprenons-nous, mais nous comprenons-nous seulement ?
Peran, affichant un petit sourire tendre et amical . Tu es quelqu’un dont la discussion et très agréable… Tu me poses ces questions que d’autres ne me poseraient pas, se contentant de lire ce que j’écris avec un sourire satisfait mais tellement crétin. Peut-être as-tu l’âme d’un artiste et que tu n’y penses même pas, si âme d’artiste existe !
Ael . Dans ce cas, je suis sacrément dans la merde ! Déjà que je ne m’en sors qu’à moitié en ne me pensant pas artiste, mais si en plus je dois l’être et traîner ainsi mélancolie, solitude et pauvreté inhérentes à cette nature, la prochaine fois que je le peux, je me jette…
Peran . C’est comme ça que tu me vois, ou que tu imagines la vie que je me projette ? Je veux être et serai artiste, avec son bagage de masochisme !
Ael . La mélancolie, la solitude, la peine et la pauvreté sont sœurs de créativité… Oui, peut-être est-ce ainsi que je te vois plus tard si c’est le chemin que tu choisis. Les amoures, la passion, la joie, l’amitié sont d’autres sœurs de créativité cependant, mais là est-ce un chemin plus ardu car il demande une chose que l’on accorde que trop peu, par réserve, méfiance (ou ignorance parfois) : la confiance. Je sais de quoi je parle ! En ce moment, je me complais plus que je ne me plais…
Peran . Charmant Ael, quiétude vaporeuse semblant mimer pour les yeux des nouveaux arrivants le drame dans sa splendeur : posée, lourde comme un corps et si merveilleuse d’énigmes. C’est un peu comme ce paysage sous la pluie que l’on admire derrière une vitre voulant comprendre pourquoi le ciel semble le taper de ses petits poings mouillés. Et pourtant ça n’en a que le bruit mais pas l’odeur… Tu es étrange comme garçon !
Ael . Qu’est-ce qui t’amène à penser cela ?
Peran . Tu me fais penser à ce ciel brouillé d’automne… Je me souviens d’une image me marquant vers l’âge de 7 ans : la pluie s’était abattue sur les Cévennes de façon diluvienne – la terre semblait noyée, entièrement perdue – et en quelques heures, ou minutes je ne sais plus, le ciel s’était dégagé. Je suis allé au cimetière pour regarder le village de Saint-Jean-du-Gard depuis les hauteurs et le ciel était rouge orangé ; des énormes vapeurs comme des feux de cheminée sortaient des collines. Il y avait ces petits craquements qu’il y a après un déluge dans les campagnes, ces gouttes d’eau timides qui ne tombent qu’après. Tu me fais penser à ce moment précis, ce moment où la terre se réchauffe seulement de l’intérieur, où le ciel est encore marqué par un passé peut-être violent ou du moins très agité et où les échos de la pluie se font encore entendre. Mais je viens à peine de faire ta connaissance et je n’arrive pas encore à savoir quels sont ces échos et qu’elle est l’histoire qu’ils racontent.
Ael . Et pourtant est-ce là la plus imagée, la plus charmante, la plus agréable, la plus belle et peut-être la plus juste des définitions que l’on m’ait jamais accolée !
Peran . Je vivrai de ce que Dieu me mettra entre les mains et si je galère, tant mieux.
Ael . Pourquoi ne t’installes-tu pas ?
Peran . Parce que j’ai besoin de partir, de me retrouver face à mes propres jambes, à rien d’autre, sans attache pour me sauver.
Ael . Ne pars pas à l’aventure sans savoir où tomber parce que tu auras toujours besoin de te raccrocher après à quelqu’un et ce n’est pas toujours glorieux de se raccrocher…
Peran . Je ne demande pas une vie glorieuse ! Pour le moment, j’ai besoin de la consumer, j’ai besoin de confronter ma rage, ma peine, à un néant.
Ael . Tu as besoin de te prouver que de toi-même il peut sortir quelque chose, que tu es un être capable et que tu peux gérer ton existence.
Peran . J’ai besoin de fuir plus loin que moi-même.
Ael . Je ne peux pas te conseiller, Peran, parce que mon expérience n’est pas généralisable. De mon côté, j’ai fui loin pour me rendre compte que je pouvais aussi me perdre tout près et être heureux… Mais loin, au moins ai-je trouvé la personne qui m’a enseigné cela ! C’est le sens de ma phrase, celle que tu as citée au début : peut-être as-tu simplement besoin de confiance aussi.
Peran . Je ne sais pas ce dont j’ai besoin ; je veux partir, c’est tout ce que je sais ! J’ai besoin de perdre ma vie avant.
Ael . Qu’entends-tu par là ?
Peran . Perdre mes repères, avoir peur de ne plus pouvoir vivre, être seul face aux choses que je ne connais pas.
Ael . Tout laisser derrière.
Peran . C’est dur de ne pas vouloir vivre sans vouloir se donner la mort…
Ael . Je n’ai jamais réussi à déterminer cet état que par un mot : asthénie !
Peran . Je ne suis pas sûr que ce soit ça… J’ai l’impression d’être agonisant mais éternel, comme ces maudits des légendes grecques.
Ael . Et je suis fait pour te comprendre !
Peran . Je sais.
Ael . Quelle est cette chose qui t’a tant choqué ?
Peran . Que tu avais un passé comme toutes les personnes que je connais. Je suis capable de jalouser un passé !
Ael . Mais nous avons tous un passé, nous ne descendons pas des cieux, Peran !
Peran . Je sais mais c’est si triste !
Ael . Non ! Sans passé, nous n’avons pas de présent et sans présent, nous n’avons pas d’avenir. C’est dans l’ordre des choses.
Peran . Je sais mais c’est comme ça ! Toutes ces choses que tu as connues sans moi, je trouve ça triste. Je n’ai pas suffisamment de vies pour vivre toutes les vies que j’aurais aimé voir.
Ael . Nous n’en avons qu’une et devons la vivre au mieux. Sans vouloir simplement en vivre une autre, nous devons faire en sorte d’avoir le moins de regrets et remords possibles lorsque nous nous retournons pour la contempler. C’est pour cela que je t’ai dis de partir si c’est ce que tu souhaitais.
Peran . Alea Jacta Est…
Ael . Je n’y crois guère !
Peran . Moi non plus !
Ael . Qu’attends-tu pour partir, Peran ?
Peran . Je ne sais pas ; pendant un moment je t’aurais répondu un compagnon de voyage…
Ael . Qu’est-ce qui a changé ?
Peran . On m’a déçu alors je ne sais plus. Je veux bien qu’on me suive mais je ne le demanderai plus.
Ael . C’est tout de même un engagement réciproque…
Peran . C’est vrai mais je ne parle même pas d’engagement, je parle de partir sans rien de plus. Je me fous des promesses ou de quoi que ce soit ; celui qui veut partir, qu’il me suive !
Ael . Si tu pars, tu en reviendras changé mais pas forcément plus heureux…
Peran . C’est exactement ça : je veux revenir différent ! Je veux regarder ceux qui m’ont tourmenté, je veux qu’ils ne reconnaissent pas mon regard !
Ael . Et leur dire : « Je vous emmerde, regardez ce que moi j’ai vécu pendant que vous vous encroûtiez dans votre sordide existence pépère ! » Crois-tu que je ne sais pas ce que c’est ? Cela ne change rien… Pour autant est-ce à toi d’en juger, Peran ! Pars et tires-en ta propre expérience, mais ne jette pas ce qu’il y a derrière toi pour autant…
Peran . Ce n’est pas tant pour leur dire : « Vous vous êtes embourbés et pas moi ! », mais davantage : « Vous avez compris comment me faire souffrir, vous m’avez vu pleurer pour vous… Et aujourd’hui qui suis-je ? Suis-je plus fort ? Plus fou ? Plus faible ? Cette fois c’est différent, je ne m’ouvrirai pas à vous ! »
Ael . Pour comprendre plus tard que finalement c’est la confiance qui te sauvera ! N’est-ce pas paradoxal ? C’est elle qui te détruit, mais elle qui te sauve également…
Peran . Possible ! En tout cas, je le verrai je suppose.
Ael . Oui, tu le verras !
Peran . Ça ne me choque pas et ça ne me dérange pas ; je t’assure, Ael !
Ael . Mais je ne peux pas t’en parler…
Peran . Si tu veux m’en parler, tu peux, mais tu connais ma réaction vis-à-vis de ça. Je trouve que c’est dommage !
Ael . J’aimerais tellement pouvoir… pas me justifier, pas expliquer, juste… je ne sais pas. Je n’ai pas envie d’attirer de la compassion non plus. J’aimerais… j’aimerais juste que l’on comprenne que si je ne fais pas ça, ou des trucs dans le genre, je suis malheureux. C’est con d’ailleurs, parce que je le suis profondément… J’oublie ainsi… Laisse tomber, je dis que des conneries ! C’est de ta faute ça, je n’ai pas bu une goutte aujourd’hui, je suis empreint à la mélancolie ce soir !
Peran . Si tu ne veux pas te justifier, pourquoi le fais-tu ?
Ael . Parce que, toi, tu trouves ça dommage…
Peran . Mais c’est dommage pour toi parce que ça ne t’aide pas ! Ne me dis pas que ça te fait évoluer ou aller mieux car j’ai connu des mecs à qui ça faisait plaisir et tu n’es pas l’un d’eux !
Ael . Non ! Ça me fait oublier ! C’est fun aussi. Pour le plaisir… je n’irai pas jusque là !
Peran . Fun ? Qu’est-ce qui est fun ? Toucher à ce qui choque les images populaires ?
Ael . Sonder l’âme humaine… C’est enrichissant de savoir ce que l’Homme peut faire de plus vile. Choquer, peut-être aussi. Mais c’est dans la même optique. Enfin, peu de gens le font et cela flatte mon orgueil, je suppose…
Peran . On ne sonde pas l’âme des gens ainsi mais soit… Comme je te disais, je n’ai aucune envie de juger cela, pas plus qu’autre chose d’ailleurs ; je trouve ça dommage, c’est tout ! Après, si c’est la route que tu choisis, c’est la tienne et ça ne me choque pas.
Ael . J’ai arrêté de choisir ma route depuis longtemps tu sais. Tu l’as très bien défini d’ailleurs : je n’ai moi non plus pas envie de vivre, et pas envie de mourir…
Peran . Alors fais comme tu le sens. Tant que tu ne te mens pas, c’est le principal pour moi ! Ça me dérangera quand je sentirai que tu te mens !
Ael . N’as-tu pas remarqué encore que je suis une âme perdue ? Je suis assez éclairé cependant pour m’en rendre compte. Je ne me mens pas, tu peux en être sûr. Je ne sais pas où j’en suis, je ne sais pas ce que je veux – sauf partager ma solitude peut-être… – mais je ne vais pas crier à l’acatalepsie une fois de plus, ce serait inutile.
Peran . Voilà que tu veux partager ta solitude… Ton discours a changé depuis notre première discussion, l’as-tu remarqué, Ael ?
Ael . Non, j’ai dis que j’avais peur de le faire, pas que je ne le voulais pas.
Peran . Es-tu sûr d’être aussi instable que tu le dis, Ael ?
Une bouteille de Martini Bianco repose, presque morte, au pied de la chaise d’Ael. Il tient une coupe à la main et joue avec l’olive, le regard dans le vide. Il ne semble pas être pris dans la conversation et répond à Peran sans conviction.
Peran . Qu’est-ce qu’il t’arrive, Ael ?
Ael . Je suis fatigué !
Il finit sa coupe d’un trait.
Peran . Tu es sûr qu’il n’y a que ça ?
Ael s’intéresse de nouveau à la conversation, il se ressert une coupe.
Ael . Je ne crois pas que m’attacher à quelqu’un qui part soit très indiqué en ce moment.
Peran . Je ne suis pas encore parti et tu peux toujours partir avec moi, ou moi aller chez toi…
Ael . Tu as très bien compris ce que je voulais dire.
Peran . Tu es adorable, mon petit Ael !
Ael . Je suis sérieux, Peran ! Je ne peux pas partir, et tu ne veux pas venir chez moi.
Peran . Pourquoi dis-tu d’abord que je ne veux pas ? Nous ne savons pas encore quel avenir nous aurons en commun, nous verrons, tu veux bien ?
Ael . Tu veux vivre ta vie et partir, c’est ton rêve et nous n’avons dès lors pas d’avenir, mais tu as raison, cela ne nous empêche pas de vivre l’instant.
Peran . Je veux voir de la route ; je reviendrai, c’est presque sûr ! Enfin… Profitons alors, je ne suis pas encore parti et les choses peuvent changer d’ici là.
Ael . Elles ne changeront pas, mais profitons…
Peran . Tu t’es attaché ?
Ael . J’aime bien parler avec toi… Je crois que derrière cette toile, c’est le mieux que nous puissions espérer.
Peran . C’est vrai de ce point de vue. Je ne pensais pas que tu aurais ce discours-là avec moi un jour. La première fois que tu m’as parlé, tu as mis une barrière entre nous, enfin, un espace plus qu’une barrière !
Ael . Il n’est pas pour me protéger moi cet espace…
Peran . Je n’en suis pas sûr !
Ael . Serais-je en train d’écouter Keren Ann si je me protégeais tant que tu sembles le penser ?
Peran . Tu es triste, Ael ?
Ael . Oui ! Je ne suis donc pas aussi insensible qu’il y parait…
Peran . Je ne t’ai jamais trouvé insensible ! Pourquoi l’écoutes-tu, elle, et particulièrement ce soir ?
Ael . Mon ex vient de me la proposer. Tout m’arrive à terme ; je n’y peux rien, c’est ainsi.
Peran . Tu es encore amoureux de lui ?
Ael . D’Arthur ? (rire) Non, pas du tout !
Peran . Était-ce si ridicule comme question ?
Ael . Pour moi oui. J’en ai marre des gens qui jouent un rôle ! Dans un couple, on ne joue pas et lui jouait trop. Mais ce n’est pas important…
Peran . Si ça l’est !
Ael . C’est passé ! J’ai beaucoup souffert de cette relation, parce que j’étais amoureux et que pour la première fois je le vivais pleinement… Mais c’est passé ! Crevasse inondée de larmes, redevenue voie navigable pour les cœurs en perdition. J’ai décidé pendant longtemps de ne plus m’attacher, et depuis quelques semaines, je reconsidère la question… Brique par brique je me construis un pont, encore fragile j’en ai peur…
Peran . J’ai eu beaucoup de mal à me reconstruire après mon premier grand amour, je suis encore très fragile aussi mais il faut s’y faire !
Ael . Je ne parle pas de me reconstruire là, Peran… Je pense depuis quelques semaines à construire quelque chose à deux, vaine idée.
Peran . Pourquoi vaine ?
Ael . Parce que cela vient de moi, de ce que je fais, de comment je fonctionne. Parce que cela vient des garçons que je rencontre ou veux rencontrer aussi. Parce ce qu’il semblerait que je ne sois pas prédisposé à me suffire de simplicité et je m’en rends compte tous les jours.
Peran . Ael, il n’y a pas de raison… Tout vient à celui qui le veut !
Ael . Je ne cherche pas de réconfort. C’est un constat plus qu’une interrogation.
Peran . Ce n’était pas pour te réconforter, je suis trop mal placé pour ça ! C’était une constatation de mon côté aussi…
Ael . Lorsque nous voulons certaines choses et que certains paramètres que nous ne contrôlons pas s’en mêlent, que pouvons-nous faire à part subir ? Espérer ? L’espoir est mère d’illusion et l’illusion mère de chagrin.
Peran . Tu vises quoi en disant ça ?
Ael . Tu le sais bien.
Peran . Exprime-toi, Ael ! Ne te cache pas derrière ta rhétorique.
Ael . Je suis fatigué ce soir, ma rhétorique a ses limites. Si je commence à m’attacher à toi et que tu pars, je vais en souffrir inéluctablement et je ne peux assurément pas attendre de toi que tu renonces à ta vie pour une histoire qui, convenons-en, ne durera sans doute pas pour la vie, si déjà elle débute !
Peran . Savons-nous combien de temps elle pourrait durer ? Je crois aux relations qui durent pour la vie. Et puis je ne pars pas encore, je ne partirai pas toujours et peut-être décideras-tu de me suivre… Rien n’est fixe et tu n’as pas à avoir peur !
Ael . Ce n’est pas de la peur mais une prise de tête inutile, bien que présente… Je me prostitue donc déjà c’est niqué ! Je veux dire par là que ma vie n’a rien de conciliable avec une vie de couple, donc pourquoi y penser ?
Peran . Arrête, Ael ! Je n’ai pas dis que ça me gênait !! J’ai dis que c’était dommage mais pour toi, pas pour moi…
Ael . Et bien justement, moi ça me gêne ! Je ne suis pas un salaud pour partager cela avec un copain !
Peran . Arrête ! Tu n’es pas une salope ou quoi que ce soit ! Tu as fait un choix !
Ael . Oui, heureusement et je l’assume ne t’en fais pas.
Peran . Maintenant, si tu ne peux pas le concilier avec une vie sentimentale, arrête et vois ce qu’il te manque le plus pour vivre !
Ael . Face à ce choix, je reste sans réponse…
Peran . Vois sur quoi tu veux tirer un trait, il n’y a que toi qui puisse prendre cette décision… Vois dans l’éternité ! Veux-tu aimer et être aimé ou veux-tu gagner de l’argent pour ne plus en manquer ?
Ael . C’est marrant, la conversation était identique mais inversée il y a peu encore ! Argent et amour… Là n’est pas le choix, Peran ! Le choix est : vie compliquée ou vie simple. L’une m’abîme, l’autre m’élève mais j’ai besoin des deux. Je pense trop ce soir, ce n’est vraiment pas bon ! Vive les dérivatifs !
Peran . Tu es un garçon que j’apprécie beaucoup, Ael.
L’esprit déjà embrumé, et face à une telle déclaration, Ael se lève et rejoint le bar d’où il sort la dernière bouteille de Saint-Joseph. Il l’ouvre, se sert un verre et revient s’asseoir près de la toile avec.
Ael . C’est vrai, tu m’apprécies beaucoup… ?
Peran . Oui, parce que nos discutions m’ont touchées et que j’aimerais que cela dure encore et encore et puis nous avons beaucoup de choses à faire ensemble : l’opéra, les films, les thés d’Orient, les bains aux monoï, les douceurs vanillées…
Ael . Tant de choses en effet…
Peran . Alors tu vois, je ne vais pas partir tôt et je reviendrai…
Ael . Tu es vraiment gentil !
Peran . Toi aussi tu es adorable, n’hésite pas à ouvrir ton cœur !
Ael . Certaines choses sont bien là où elles sont… Elles ne feraient que plus de dégâts une fois dehors !
Peran . Et si nous commencions avec le thé d’Orient ?
Ael est bien habillé, maquillé au crayon noir mais chancelle. Il parvient cependant à s’asseoir près de la toile. Une autre bouteille de Martini Bianco est déjà bien entamée.
Peran . Tu vas bien ?
Ael . Je vais me coucher, je suis fatigué.
Peran . Quoi ? Attends ! Tu me fais quoi, Ael, depuis hier ?
Ael, riant de dépit . J’ai attendu tout l’après-midi ton coup de téléphone, pour savoir si je devais ou non me préparer à venir ce soir, ce qui semblait de toute manière presque sûr vu comment nous en parlons depuis trois jours. Finalement ai-je pris un bain, me suis-je préparé, dans le doute… Mais ce n’est pas mon genre de me faire des scènes ! (rire ironique) Je suis juste fatigué !
Peran . Tu es déçu plutôt, n’est-ce pas ?
Ael . Bel euphémisme…
Peran . Tu es adorable… Je ne voulais pas te décevoir mais c’est vrai que je n’ai pas la tête sur les épaules en ce moment.
Ael . À quoi crois-tu que serve le champagne, à fêter la joie ?
Peran . Quoi ?
Ael . Rien, ce n’est pas grave !
Peran . Tu avais acheté du champagne ?
Ael . J’ai toujours une bouteille à la maison pour les soirées DVD au chaud dans mon lit quand ça ne va pas !
Peran . Ael, s’il te plaît, je n’aime pas te savoir comme ça !
Ael . Tu aurais dû me prévenir dans ce cas… Là, j’ai vraiment l’impression de passer pour le gros débile qui se fait une scène alors que ce n’est pas le cas ! Je vais juste dépuceler une Veuve, me coucher et regarder un DVD. Ce n’est pas grave, je t’assure…
Peran . Tu ne t’es pas fais de scène, c’est moi qui ai été con. De plus, je ne voulais pas que tu me voies mal.
La conversation est coupée, Ael ne répond plus, le bouchon saute et les bulles agissent. Peu de temps plus tard, il revient chancelant derrière la toile et fait les cents pas devant, agité mais la parole douce et pensive.
Ael . Je ne sais si c’est le fait d’avoir vidé une Veuve qui me fait dire ceci ainsi ; mon esprit est tellement troublé ce soir… T’ai-je déjà parlé des signes ? Je crois que je ne suis pas prêt en fait à rencontrer quelqu’un. Suis-je fait pour la solitude ? Je ne sais pas ; en ce moment, oui, sans doute ! Enfin… nous resterons copains de conversation à travers cette toile comme je l’espère. Je crois que je ne suis pas prêt à re rencontrer quelqu’un, à réessayer une relation, même éphémère !
Ael va pour s’étendre sur le grand divan pourpre. Peran l’interpelle un peu plus fort.
Peran . Tu te contredis, Ael ! (moins fort, presque pour lui) Mais ce n’est pas grave…
Ael revient et se laisse tomber sur sa chaise, avec un air abattu.
Ael . J’allais m’étendre… En quoi me contredis-je ?
Peran . Tu me disais avant-hier que tu ne voulais pas te consacrer à quelqu’un, puis tu le prends mal qu’on ne se voit pas ce soir et te revoilà parti à me dire que tu veux rester seul… Mais, Ael, j’ai toujours respecté ton choix de vouloir rester seul et je ne t’ai jamais parlé d’une histoire sentimentale mais d’une rencontre simplement.
Ael . Tu ne comprends donc pas… Je t’ai dit que j’avais peur de m’engager avec quelqu’un, pas que je ne voulais pas. Désolé, j’ai un peu de mal à parler ce soir. (sourire) C’est idiot, tu as raison, je me fais des idées !
Peran . Je comprends que tu puisses avoir peur.
Ael . J’ai le cerveau en miettes.
Peran . Simplement parce que j’ai toujours eu peur moi aussi.
Ael . J’ai beaucoup trop bu.
Peran . Mais ne dis pas que tu t’es fait des idées, tout ça c’est des conneries !
Ael . Je ne suis pas apte à avoir ce genre de conversations.
Peran . Nous avons beaucoup parlé et nous avons avancé l’un vers l’autre, c’est donc normal que des liens se soient tissés.
Ael . Justement, pourquoi crois-tu que j’ai été déçu ? Parce que je m’en fous de toi ? Nan, pas vraiment… Peran, une autre fois s’il te plaît ; ce soir, c’est trop tard, je ne suis plus apte !
Peran . Justement, au moins ta rhétorique a disparu et j’en suis ravi !
Ael, toujours abattu . Si tu veux…
Peran . Je te propose qu’on essaye de se voir ce soir.
Ael . Ce soir ? Impossible !
Peran . Pourquoi ?
Ael . Tu verrais l’état dans lequel je suis, c’est pathétique ! Je ne tiens plus debout et n’ai qu’une envie : me coucher, seul évidemment…
Peran . Et moi qu’une envie : être là !
Ael . Bah tu n’es pas là et on ne se connaît pas en fait.
Peran . Je n’aime pas te savoir ivre et pas bien.
Ael . Et pourtant est-ce le cas ! Je vais aller dormir, c’est la meilleure des choses à faire.
Peran . Fais comme tu le sens ! De toute façon, à la limite rien ne me déçoit si ce n’est le fait que tu te braques, par peur certes, mais tu te braques quand même !
Ael . Tu peux venir si tu veux, je serai dans mon lit, pété comme une outre trop pleine ! Je n’y peux rien, Peran ! J’espérais une relation entre nous mais ce n’est pas possible et se voir ce soir, à moins d’un douche froide, y’a pas moyen !
Peran . Tu espérais une relation entre nous ? Pourquoi n’est-ce pas possible ?
Ael . Parce que je suis une pute et que tu vas partir, inéluctablement, pour apprendre à te connaître. C’est normal que je pense ça, tu crois pas ? Peran, je suis VRAIMENT fatigué là !
Peran . Arrête d’enchaîner les conneries, Ael ! Redis-moi que tu es une pute et ça va mal finir !
Ael, souriant de dépit . Je suis escort-boy, ça ne change pas grand-chose ! J’ai mal au crâne, je vais dormir, le Bombay Sapphire était de trop.
Peran . Ça change tout en théorie ! De plus, n’est pute que celui qui ne se respecte pas et qui le veut… J’espère bien que ce n’est pas ton cas et tant que nous ne nous connaîtrons pas plus, tant que nous n’essayerons pas, personne ne peut savoir si entre nous ça peut marcher ou pas !
Ael . Peran, je ne vais vraiment pas bien ce soir ; s’il te plaît, laisse-moi ! Si ça peut marcher, ou pas, je n’en sais rien, mais ce soir, j’ai envie de tracer mon mascara sur mes joues dans mon lit. D’ailleurs, envie ou pas, c’est ce qui va se produire au son de la Callas !
Au loin le son de la Mamma Morta. La lumière faiblit, pour n’éclairer finalement qu’Ael. Nous entendons deux voix féminines dans la nuit. Il s’agit des deux sœurs, Espérance et Mélancolie.
Espérance . Que vois-tu ?
Mélancolie . Un homme !
Espérance . Non, que vois-tu ?
Mélancolie . Je vois l’ombre d’un astre, un masque.
Espérance . Que ressens-tu?
Mélancolie . Peine, souffrance, compassion, frustration.
Espérance . Frustration ?
Mélancolie . Oui, je suis touchée mais je ne peux rien faire !
Espérance . Pourquoi cela ?
Mélancolie . Nous ne pouvons arrêter un astre qui tombe ; nous le regardons tomber dans sa splendeur et nous en gardons le souvenir éternel d’une douce traînée dans la nuit…
La lumière s’éteint, le rideau tombe.
Le lendemain midi.
Peran . Tu ne veux vraiment pas que nous nous voyions et que nous pensions à notre amitié ? Boire un verre n’engage à rien…
Ael . Cela me fera une raison de plus de regretter ma décision.
Peran . Quelle décision ?
Ael . Je te l’ai dite hier. Je sais que je n’étais pas très clair mais je m’en souviens, je ne souhaite plus ni rencontrer quelqu’un ni lier quoi que ce soit !
Peran . Non, tu ne m’as pas dis ça ! Et ça me choque d’ailleurs, je ne comprends pas… Pourquoi fais-tu ça ?
Ael . Parce qu’il y a des fois où j’ai une révélation. Nous allons nous rencontrer, je vais sans doute m’attacher à toi – je ne sais pas – et… C’est très con en fait, j’ai seulement envie d’être seul ! Je suis devenu au fil des années hermétique au bonheur car à chaque fois il a été éphémère et à chaque fois j’en ai beaucoup souffert, dans tous les domaines.
Peran . Mais arrête ! Ce n’est pas parce que ça t’a fait souffrir une fois que ça te fera sans cesse souffrir ! C’est toi là qui te fais souffrir, et tout seul ! Et ça me gonfle parce que tu décides de gâcher quelque chose, d’en souffrir quand même et pour pas un franc !
Ael . J’ai l’air dur et froid dans la vie, je suis fort, entreprenant, déjanté, snob, je me fous des gens, j’en joue, je me prostitue – chose qui prouve à quel point je peux être complètement froid et sans cœur – mais sentimentalement, Peran, j’ai un cœur d’enfant ! La moindre peine m’est devenue insupportable alors je les évite. C’est peut-être un caprice, j’en sais rien et je m’en fous, mais ça vient du cœur !
Peran . Je sais et je t’ai dit mille fois que je te comprenais mais il n’empêche que ça ne t’amènera à rien si ce n’est souffrir de regret et de solitude plutôt que d’amour.
Ael . Ma solitude, je peux la soigner par l’oubli ; de l’amour on ne se soigne pas… Belles paroles, sans fondement me diras-tu, mais c’est un fait d’expériences personnelles. Tu en as aussi sans doute de pareilles. Si je me donne une chance, comme je le fais à l’occasion de ce côté-là, j’apprends trop rapidement à la regretter. Et si cette fois c’était la bonne ? Oui… j’en conviens… et si seulement ! Je ne sais plus où j’en suis ! Moi qui me targue de ne pas me prendre la tête, c’est raté avec toi !
Peran . Bon, et bien fais comme tu le sens ; ça me fait mal au cœur ! Je trouve ça vraiment dommage, sache-le, mais je ne vais pas aller à l’encontre de ton choix !
Ael . Tu crois que je ne souffre pas moi ? J’ai déjà l’impression de faire une connerie, la peur sans doute…
Les larmes coulent le long des joues d’Ael qui, voulant se retenir, attire l’attention de Peran. Confus, Peran ne sait quoi dire, quoi faire. Il s’approche de la toile, pose ses mains dessus, colle son oreille et écoute. La toile vacille mais ne tombe pas. Doucement et la voix tremblante, il reprend.
Peran . Tu veux que je te supplie de venir me voir ? Si je ne le fais pas, c’est par respect mais au fond c’est pareil, crois-moi ! (un silence) Ael, tu es là ?
Ael prend sa tête dans ses mains et songe pendant une minute. Il se lève, s’approche de la toile et tend ses mains vers celles de Peran. Il se désiste.
Peran . Ael, parle-moi, je t’en…
Ael . Peran, ne me supplie pas… J’en ai envie et si je te rencontre, ce n’est pas par geste mais par envie. (il attend un instant) Tout cela va terriblement perturber mon existence encore une fois, je n’en sortirai pas indemne… Tu choisis le salon de thé !
Ael et Peran s’écartent de la toile qui tombe. Ils se rapprochent l’un de l’autre, se serrent dans leurs bras. La lumière s’éteint et ne se rallumera que pour les trouver séparés à nouveau…