Florimon-Louis de Kerloar

Noir & Blanc

Épisode V - Carnet d'errance


Droits d'auteur ©
Tous nos textes, Fidèle, sont déposés à la Société des gens de lettres, Paris. Sois gentil, tu t’en inspires dans la vie si tu veux mais sur papier ou à l’écran, cherche ta muse ailleurs. Bonne lecture !


Prologue

Un nouveau psycho-trip débute. Sac sur le dos, à pattes, vers l’est en longeant la côte, sans destination précise, sans retour prévu, des rêves dans la tête, de l’air dans les poches. Bohème !
Il est des personnes qui ne tiennent pas en place et qui ne se trouvent bien nulle part plus de quelques mois. Nous en sommes et la vie relatée dans nos carnets en est témoin. Le changement, l’inconnu, apologie, peut-être, du romantisme. L’époque lointaine d’idéaux envolés, l’origine de la pensée des poètes, les récits de ces nombreux paumés qui ont toujours cherché on ne sait quoi, on ne sait qui… Et si la vie ne menait pas, et si elle ne conduisait à rien, et s’il nous était seulement permis de l’apprécier, et si tu y pensais, Fidèle, plutôt que d’admettre la marginalité comme inféconde. Nous enculons et produisons, plus que beaucoup ! Nos pérégrinations nous amènent aux confins de la conscience de soi. Nous avons choisi notre sort et il nous convient. Le bonheur est là, peut-être… sinon merde !


30 septembre 2005

L’aventure, c’est comme une boîte de chocolats… Non, sérieusement ! L’aventure, nous en héritâmes le goût – de qui nous ne savons. Elle est en nous, cette onde qui nous pousse à diverses tribulations, à des coups de folie destinés sans doute à nous enseigner ce que nulle part ailleurs nous ne pourrions apprendre. En fait, l’aventure, nous ne la choisissons pas, elle nous tombe dessus. Si nous partons et la tentons, c’est un peu parce que nous n’avons pas le choix. Il n’y a plus rien pour nous ici et nous tînmes deux ans et trois mois ; c’est considérable ! Nous avons l’intention de poursuivre notre chemin et nous le sentons aller vers l’est. Nous allons donc descendre dans le Var et longer la côte. À terme : Shanghai, peut-être, cinquante-mille kilomètres, quarante pays, un horizon pour le moins indistinct. Et puis nous nous en foutons, l’important est de partir ! Nous allons changer notre manière de voir le monde également. Nous n’avons plus besoin de porter la critique sur les inepties de notre société, nous la quittons pour de meilleurs hospices auspices. Comme nous nous sentons bien ! Ce doit être l’air du temps. Il se trouve que le hasard nous fit tenir jusques en automne qui est, comme tu le sais, Fidèle, notre saison. Nous faillîmes partir en juin, ce sera finalement en octobre. Quel bonheur ! Adieu vie matérielle tant chérie ! Nous t’avons bradée ou donnée ; tu nous manqueras. Tous ces déjeuners à La Rotonde, ces mélanges de Bollinger, de Bombay Sapphire, de Martini Bianco, de vodka et autres, nos éternels bains au monoï, notre vie pépère de lady ruinée qui s’en sort toujours… Tout cela est terminé. Le jour-J approche à grands pas et nous ne sommes toujours pas prêt ; n’importe, aucun retour n’est désormais plus envisageable. Nous laissons derrière nous, dans cette mare de vomi bilieux et encore chaud, beaucoup, beaucoup de créances – nous nous plaisons même à en profiter. Qui nous en tiendra rigueur ? Qui nous suivra pour nous les réclamer ? Personne, nous le savons. Et puis après tout ne s’agit-il que d’organismes qui ne nous attendent pas pour engendrer des bénéfices qui nous débectent. Voici une anecdote pour illustrer :
Un jeudi, nous nous rendîmes à Marseille en train depuis Aix-en-Provence et ne payâmes pas notre ticket. La contrôleuse nous le demanda inévitablement et nous nous permîmes de lui donner notre ID avec ce mot : « Pour moi, ce sera une contravention, merci ! » La pauvre ne sut que répondre quand nous acceptâmes tout sourire son amende de quatre-vingt euros en lui souhaitant la journée bonne. Oh ! Il y a également Monsieur Viriot., notre connard de propriétaire dont nous parlons dans Snob et hystéro-éthylique. Nous nous foutîmes tellement de sa gueule lors de sa dernière visite qu’il n’ose même plus nous approcher et nous envoie depuis son épouse. Un « Ouais… Ta gueule en fait ! » résout beaucoup de choses, quoi qu’on en dise.
Tout cela est au passé. Place au baroud ! Florimon-Louis de Kerloar conduit en mode survie. Sac sur le dos et à pattes, c’est le grand périple que nous attendons depuis des mois. Enfin ! On s’étonne de nous voir partir ainsi, sans vraiment être préparé, sans garantie, sans rien. D’Épicure à Descartes, nous avons besoin de vivre nos envies tout en mettant nos convictions à l’épreuve ; l’évolution sans doute… Qu’on nous croit naïf, rêveur, immature nous est égal. Nous l’écrivîmes plus haut : nous sommes plus fécond que beaucoup. Les personnes auxquelles nous tenons sont prévenues de ce départ, les autres aussi, ou presque, mais que sont les « Aurevoir ! » sinon des mythos potentiels ?! Nous ne savons même pas où nous serons demain ; les donner semble dès lors bien inutile. Nous sommes incohérence, nous écrivit-on récemment et il semblerait, nous nous en rendons compte, que nous le soyons effectivement. Et bien, comme toujours, l’avenir est à venir et nous le dira !


5 octobre 2005

Vendredi dans la nuit, l’Internet, c’est fini pour nous ! En tout cas tel que nous le connûmes ces deux dernières années. Nous nous séparons de notre cher ordinateur que nous irons aujourd’hui confier aux bons soins de nos parents au château. L’air des Basses-Alpes lui fera grand bien et vu l’intérêt que porte notre mère à l’informatique, un peu de repos également. Nous reviendrons dimanche soir pour signer notre état des lieux lundi matin et à midi, l’aventure débutera. Nous nous cassons ! L’un pense que nous fuyons nos responsabilités et que nous sommes un malade mental ; l’autre que nous ne nous assumons pas et que nous ne sommes encore qu’un gamin rêveur qui vit dans son monde ; un autre enfin que nous essayons de trouver bonheur ailleurs alors qu’il se trouve souvent à notre porte. Ce dernier a sans doute raison mais nous ne pouvons nous résoudre à attendre qu’il nous tombe dessus après nos nombreux essais infructueux pour le cueillir nous-même ; état masochiste. Quant aux deux autres, les pauvres, s’ils savaient comme nous sourions en lisant une critique qui s’apparente davantage à la jalouse intervention d’un passé révolu. Mais lisez donc avant d’écrire des conneries ! Ils n’entendent pas et restent enfermés dans leur vérité ; nous sourions encore. Nous partons justement parce que nous le pouvons, parce que rien ne nous retient ici. Nous fuyons la connerie et l’ennui, pas les responsabilités – nous n’en avons aucune présentement. On nous reprocha également récemment notre manque d’aptitude à la remise en question. Nous sourions une dernière fois, toute notre vie étant tournée vers un seul horizon : l’évolution. Nous ne cessons de l’écrire, de nous en revendiquer peut-être. Naturellement, telle critique ne peut naître que dans un esprit ignorant. Trêve de justifications, ils n’en méritent finalement pas. Nous partons réellement les mains dans les poches et cette idée ne sera pas facile à suivre. Notre sac à dos manque d’à peu près tout et nous devrons nous équiper en route au fil des opportunités et de nos moyens. Nous n’avons pas non plus trouvé l’appareil photo numérique que nous voulions tant – un carnet manque de saveur sans illustration. C’est fort regrettable mais nous devrons là encore nous en accommoder. Il y a des choses importantes auxquelles nous tenons : être lu ou pas honnêtement est-ce flatteur mais nous nous en foutons dans un premier temps ; en revanche, pouvoir témoigner convenablement nous tient à cœur. Nous avons donc avec nous deux fioles de gin, du papier et une plume, un bagage d’idées à développer, de convictions à éprouver, de rêves à réaliser. Nous avons besoin de cette thérapie, ce travail de mémoire car il nous est utile et nous fait du bien. Toujours ce problème d’argent mais une certaine somme devrait bientôt tomber ; nous serons déjà en route. Toutefois ne pouvons-nous décemment pas partir sans même un sac de couchage. Nous irons donc à Marseille demain, il le faut : shopping. Ce sera peut-être une nouvelle occasion de désabuser une autre contrôleuse de la SNCF. Amusons-nous !


8 octobre 2005

Aix-en-Provence (France), 3h40.

Nous sommes-nous fabriqué une illusion ou avons-nous mal joué ? Nous ne savons ! La somme d’argent que nous espérions tant ne tombera finalement pas et nous partons avec moins de cinquante euros en poche. Ce périple n’est plus ni une aventure, ni un défi, il est devenu pure folie – cela nous excite davantage ! Nous nous en allons et nous n’aurons que nous-même sur qui compter, nous et notre chance, naturellement. L’onde dont nous parlons souvent nous presse à nouveau et notre quête recommence. Réfère-toi à notre carnet de voyage Farang si besoin est, Fidèle, nous écrivons beaucoup sur elles. Naturellement feignons-nous de nous y vraiment intéresser pour ne pas une fois de plus tomber d’un haut nuage vaporeux. Ainsi ne nous attendons-nous à rien, donc à tout ! Joindre le Var à pattes ne sera pas mince affaire. Notre horizon court entre Sainte-Victoire et Sainte-Baume ; voilà tout.
Aujourd’hui, nous allâmes confier Ophélie (notre ficus mélomane) à Nanou, au Tholonet, qui se proposa pour nous déposer lundi en début d’après-midi à Roques-Hautes, la colline ; nous partirons donc de là avec pour nous guider une carte IGN sommaire. Si nous parvenons jusques à la côte, notre nouvelle adresse sera : « entre ici et ailleurs » sans plus de précisions, inutiles du reste. Nos sentiments sont jaspés. Nous voguons entre joie émancipatrice et appréhension malsaine ; les deux nous conviennent et nous terrifient. Notre décision fut soudaine, notre manque de préparation est plus qu’évident mais notre résolution est neuve, noble et aventureuse. Nous emportons avec nous, suivant quelque conseil suisse que nous croyons sincère, les œuvres complètes de Lautréamont, aux éditions José Corti*, que nous achetâmes hier chez Vent du Sud. Ce livre est à découper, comme avant ; le papier est tactile, impur, vrai. Il nous plaît et si nous en parlons, c’est qu’il est comme notre vie : imparfait, rugueux, biscornu et charnel. Le lire sera un plaisir, nous le savons maintenant. Vivre prend pour nous aujourd’hui un autre sens !


10 octobre 2005

Saint-Antonin-sur-Bayon (Provence, France), 14h47.

C’est finalement depuis la maison Sainte-Victoire que ce périple débutera. Nanou vient de nous laisser, l’appréhension au cœur, se demandant sans doute quels nouveaux vents de folie pouvaient bien nous pousser cette fois-ci. Nous pensons qu’elle espérait nous voir changer d’avis jusques au bout. Nous passâmes le week-end au château à préparer presque activement notre sac. Nous n’avions pas réussi à obtenir celui que nous voulions mais avec un savant mélange d’astuces, de reprises et de couture, notre bienveillante mère nous fabriqua l’idéal. Nous emportâmes avec nous environ vingt kilos de ce que nous considérerons après quelques lieues de marche dans la forêt comme bien inutile. Les choses indispensables si jamais restèrent au château – nous ne pouvions pas nous payer le luxe de l’encombrement et du confort. Dans la pièce, un homme et une femme d’un certain âge – celle-ci trop parfumée ! – hésitent à la machine entre café long ou court, sucré ou pas. Un jeune couple vient d’entrer et les deux hôtes d’accueil s’ennuient derrière un comptoir chargé pour rien et pas grand-monde. Sur notre table, au milieu d’eux, sont étalés notre sac, notre carte, notre carnet, notre plume, nos clopes, une de nos deux flasques de gin et nous nous posons la ô combien existentielle question : « Et merde, Louis, comment allez-vous bien pouvoir enlever l’énorme tâche qui sangle votre chemise Hugo Boss blanche ? » Ce psycho-trip semble-t-il ne sera pas stylisé. Nous laissons une trace de notre passage sur le livre d’or de l’exposition en cours sur les mandalas :

« Le mandala est essences ;
« Il est la représentation fugitive ;
« Il a une histoire, il est
fait de.
« Le mandala est vie.
« En ce lundi 10 octobre 2005,
« Je débute la plus grande, peut-être, aventure de ma vie.
« À pieds, sac sur le dos, du papier, une plume,
« La poche trouée et l’esprit dégagé,
« Les vents me portent vers un horizon indistinct sans retour prévu.
« Sainte-Victoire, je ne pouvais partir sans un adieu.
« Ceci fait, adieu donc et merci pour cette illustration. »

Plateau des Cengles (Provence, France), 16h22.

Une première halte, à la croisée des chemins, sur une propriété privée, pensons-nous. Tant pis ! Nous n’aimons pas cela mais nous ne souhaitions pas quitter le chemin forestier – marre du bitume ! À main droite, la Sainte-Victoire ; en face d’elle, à main gauche, une colline calcaire dont nous tairons le nom par ignorance. Le spectacle est magnifique. La lumière est douce, seuls les vents nous parlent. Il nous vient l’image d’un monde que nous laissons et d’un monde qui s’ouvre à nous. Marcher avec vingt kilos sur le dos n’est pas mince affaire. Nous nous donnons dix jours d’adaptation ; si d’ici là nous n’avons pas acquis les sensations avec lesquelles nous allons devoir composer ces prochaines semaines, alors cela signifiera que nous ne nous y ferons jamais. N’y pensons pas, laissons tranquillement les choses s’installer et reprenons notre chemin.


11 octobre 2005

Rousset (Provence, France), 8h57.

Hier, nous marchâmes jusque dans un bois près de Rousset où nous passâmes une nuit à la belle étoile, sous les pins. Nous avions trouvé dans un premier temps un endroit sympathique, près d’une vieille ruine entourée de vignes et de bambous, sous un grand chêne vert, mais il était infesté de moustiques. N’ayant pas de tente pour dormir et nous en remettant toujours à notre bonne fortune pour trouver un abri sur notre chemin, nous continuâmes, dans l’obscurité tombée, jusque dans ce bois pas trop bruyant et fort agréable. La fraîche humeur du matin nous réveilla vers 6 heures. Nous flânâmes une petite heure avant de nous lever, ranger notre campement et faire notre toilette près d’un petit ruisseau courant là. Nanou nous avait appelé la veille dans la soirée pour nous dire qu’elle avait entendu à la télévision la Croix Rouge rechercher des bénévoles à envoyer au Cachemire et nous fîmes ce matin un détour par Rousset, un kilomètre après la N7, pour voir ce qu’il en était exactement. Il y avait une antenne mais, hélas pour nous, ouverte seulement le samedi. À la mairie, nous téléphonâmes au centre d’Aix-en-Provence qui n’était pas au courant. Ils nous donnèrent le numéro du siège à Paris mais ce sera pour une prochaine fois – de toute évidence, la capitale n’est pas sur notre chemin. Par ailleurs, quand on pense qu’il faut une formation spéciale pour distribuer du café et des couvertures aux SDF les nuits d’hiver avec la Croix Rouge, ce n’est pas en eux que nous plaçons nos espoirs, et ce depuis longtemps. Voudrais-tu aider les gens dans ce pays, Fidèle, qu’il serait préférable et plus avisé de le faire de ton propre chef ! Nous sommes assis en ce moment près de la D57c dans une petite prairie privée, nous mangeons des bananes séchées en étudiant notre carte IGN. Notre objectif premier est Hyères, par là-bas, peu importe le temps que nous mettrons pour atteindre la côte – c’est ce que nous nous disons.

Saint-Maximin (Provence, France), 11h26.

Alors que nous longions la N7 pour essayer de joindre le GR9 et continuer par la forêt, une superbe BMW noire à intérieur cuir s’arrêta et son chauffeur nous demanda s’il pouvait nous conduire jusques à Saint-Maximin, sa destination. Nous comptions passer par Trets mais tant pis, une expérience se proposait à nous ! Nous montâmes dans sa spacieuse et la conversation s’installa. Il s’appelait Alain, nous dit-il, et devait être indien ou d’origine asiatique – il était typé. Il voulut en savoir davantage sur nous et nous lui racontâmes succinctement les péripéties des trois – non, cinq désormais – dernières années de notre vie. Vint évidemment le chapitre Snob et hystéro-éthylique et son intérêt grandit encore lorsque nous lui apprîmes que notre penchant allait vers les mecs.

Alain . Comment ça se passe ? C’est aussi bon ?

Pourquoi ces questions connes doivent-elle nécessairement toujours revenir ? Il nous dit qu’il n’avait jamais osé le faire mais qu’à l’occasion, peut-être…

Notre pensée profonde . Mais bien sûr ! Nous te croyons, chéri…

Nous fîmes comme si cependant et lui expliquâmes, en omettant fort heureusement de lui parler des vingt à vingt-cinq centimètres de plaisir supplémentaire que nous apprécions chez un mec car lui ne les avait pas. Cette affaire conclue sur quelque chemin peu fréquenté (ce fut court là aussi !), il nous déposa à Saint-Maximin comme prévu, où nous sommes toujours, le nez dans nos cartes, au pied de la basilique construite au XIIIe siècle et restée inachevée deux siècles plus tard, un peu comme nous en somme. Midi approche, cet en-cas nous mit l’appétit !

Une forêt près de Tourves (Provence, France), 18h50.

Cette nuit sera la première fois que nous dormirons sous un pont – mais un pont romain, attention, cela change tout ! Fait de pierres bien dures, près d’une rivière bien bruyante, bien fraîche, pleine de moustiques affamés, sous des cieux orageux, bien chargés ; seul, toujours. Dans ces moments de doute, nous nous disons : «Louis, comment pouvez-vous passer de luxurieuse voiture à pont en pierres, romain certes, mais pont en pierres quand même ? » Nous n’avons pas encore la réponse, elle viendra. Vite, un verre de gin ! Et merde, notre première flasque est déjà vide, ouvrons donc l’autre. La nuit tombe sur le massif de la Sainte-Baume et nous sommes épuisé. Notre dos nous crie de l’épargner demain ; nos pieds nous l’ordonnent. Quelle idée aussi de partir avec des DVS ! Hors cet interlude sexuel et automobile, nous marchâmes toute la journée, plus ou moins vite, nous perdant à loisir dans les domaines viticoles pour y déguster les grappes laissées çà et là pour contenter le vagabond affamé mais sélectif. Nous arrivâmes à Tourves vers 16 heures. Nous voulûmes visiter le château de Valbelle ainsi que la chapelle mais nous n’en trouvâmes pas le courage et utilisâmes nos dernières ressources pour atteindre ce pont et sa rivière, ou plutôt cette rivière et son pont. Ce début d’aventure nous laisse perplexe. Nous n’imaginons rien, même si en chemin il nous arrive d’espérer tout. En même temps, ce n’est que le second jour… Nous n’avons pas encore commencé à lire Lautréamont ; il fait jour encore mais nous sommes trop fatigué. Nous nous y attarderons dans quelque autre lieu plus propice s’il en est.


12 octobre 2005

La Roquebrussanne (Provence, France), 12h53.

Tout est fermé ici ; impossible même de trouver un Vival ouvert pour acheter jambon et beurre. Nous sommes donc assis à une table de l’auberge de la Loube, chaude et peuplée de mouches, devant une daube couchée sur ses tagliatelles – le premier repas chaud depuis notre départ.

13h12.

Si tu entendais la conversation des hommes de chantier à notre gauche, Fidèle ; de vraies cancanières ! Tous y passent : les présentateurs de TF1, de TMC, les footballeurs, les rugbymen, tous, te disons-nous ! Notre téléphone est en charge, nous avons donc du temps devant nous pour apprécier ces derniers ragots.

13h25.

Soyons fou, offrons-nous une crêpe Suzette ! Le temps est couvert, il ne fait pas chaud du tout, il y a du vent, elle nous donnera la force de continuer notre périple. Ce matin, nous continuâmes sur l’Excursionnistes toulonnais 33 (ET33) engagé au stade municipal de Tourves et qui se perd dans le massif quand sur le chemin, moins sec que dans notre pays, nous trouvâmes tout étonné deux sanguins que nous ramassâmes, et croisâmes trois chasseurs.
Un mot sur eux qui se vantent de réguler la forêt. Nous pensons surtout que s’ils arrêtaient leur massacre (car c’en est un assurément), s’ils allaient plutôt se défouler sur un bouquin, s’ils foutaient la paix aux animaux en liberté, nous n’entendrions plus des « Bang ! » retentissants et surnaturels à terroriser le ramasseur de champignons bienveillant ou le cueilleur de glands et autres. Une forêt doit être sauvage ; nous ne devrions la traverser qu’à nos risques et périls. Hélas aujourd’hui deviennent-elles des parcs d’attraction pour aventuriers nostalgiques et excités de la gâchette. Ajoutons que ces cons de chasseurs, en plus d’être d’une mauvaise foi exaspérante quant à leur soi-disant rôle de régulateur, nourrissent eux-mêmes les sangliers – devenus cochons, à force -, ce qui les rend, de fait, nuisibles et envahissants. Sans parler des lâchers de faisans (nous, nous appelons ça des poulets…), des bouteilles de bières vides et des douilles en plastique rouge qui polluent les bois, des panneaux de signalisation criblées de trous, des accidents de chasse en tout genre, de la nuisance sonore, etc. Non, vraiment, les chasseurs sont des cons !

Nous-même . Oui, Louis, partez donc en croisade contre ces lâches assassins, qu’on rigole !

Hélas ! C’est peine perdue, pensons-nous. En arrivant sur la D95, nous rencontrâmes deux jeunes hommes, ramasseurs de champignons à la bière abondante. L’un d’eux nous aborda et voulut savoir si nous étions du coin et si nous savions où en trouver davantage. Nous leur indiquâmes d’où nous venions et parlâmes avec eux un moment de cet endroit et de comment s’y rendre, de notre périple également.

Le ramasseur. T’es un vagabond alors ?
Nous . Oui, devenu, depuis peu !
Le ramasseur . Tu fumes ?
Nous . Et comment ! Hélas n’ai-je pas l’occasion de souvent avoir de quoi sous la main…
Le ramasseur . Tu échangerais tes deux beaux sanguins contre un peu d’herbe ? Ça ferait plaisir à nos femmes !
Nous . Messieurs, ils sont à vous !

Légèrement moisie pour corser l’effet, nous prévint-il, il ne nous restera qu’à la sécher et la fumer ; ô joie ! C’est exactement ce qu’il nous fallait après avoir (déjà) épuisé nos deux fioles de gin. Nous continuâmes notre route, eux leur recherche. Jamais nous n’aurions cru qu’un tel troc fût possible…

14h54.

C’est nul et complètement inutile d’écrire ce qui suit, nous le savons, mais nous sommes sur l’ET4, toujours à La Roquebrussanne, nous semble-t-il, et nous lisons devant nous : « Chemin de la Persévérance ». Merci les gars, très drôle !

Chartreuse de Morières-Montrieux (Provence, France), 19h19.

Notre verve sure à l’égard des religions monothéistes que nous abhorrons dans le général – nous nous exprimâmes déjà longuement là-dessus – se trouve frêle et déconfite devant l’exemple que nous allons te conter. Nous arrivâmes à Méounes-lès-Montrieux sur les coups de 16 heures, la patte traînante pour chausses non adaptées, l’épaule rouge vif et la conviction faible. N’ayant rien à voir sauf une supérette où nous achetâmes un litre de jus d’orange pas frais, nous continuâmes en direction de la forêt domaniale de Morières-Montrieux où nous comptions passer la nuit sous quelque autre pont bienvenu. Un mot vite fait pour signaler qu’elle est la seule vraie forêt que nous traversâmes depuis notre départ. Le soleil tombait, toujours lui, nous rappelant de bouger nos jolies fesses, d’installer notre campement avant la nuit et surtout de trouver un abri car les cieux menaçaient. Nous arrivâmes alors à une chartreuse perdue entre bois et vertes prairies et pûmes enfin nous libérer du poids mille fois maudit de notre sac. Nous la croyions, ayant lu son nom à l’entrée de la forêt, abandonnée et vouée aux prières des animaux et esprits passés. Nous nous trompions, elle était habitée. Nous ne savions que faire : continuer ou risquer de déranger la congrégation en demandant un asile salutaire pour la nuit. Nous le risquâmes pourtant et abordâmes un frère en blouse de travail, le premier que nous croisâmes là. Il nous répondit qu’il n’y avait plus aucun abri sur la piste après la chartreuse et alla pour demander s’il était possible de nous héberger pour la nuit lorsqu’il se souvint du cabanon qu’il construisait pour l’invité, la famille des pères parfois nombreuse ou encore le pèlerin de passage. Il nous y invita et nous l’en remerciâmes du fond du cœur ; il venait de sauver notre nuit ! Il insista également pour nous servir un repas chaud et nous dûmes trouver une excuse pour le lendemain matin, invoquant une sainte horreur des petits-déjeuners afin d’éviter de le trop déranger. Le cabanon en question est situé dans une prairie adjacente au sentier forestier, utilisée par un berger qui y fait paître son troupeau de chèvres. C’est spartiate, presque tout à quoi nous aspirons en ce moment. Nous discutions avec le berger quand le frère arriva avec le portoir contenant notre repas et une demi-baguette de pain à la main. Nous n’en revînmes pas, il avait tout préparé ! Nous eûmes même droit à du jus de pommes, des friandises, du fromage frais, en plus de l’omelette. Il avait auparavant déjà installé un lit et branché l’eau chaude pour nous qui ne sûmes que dire ; très honnêtement, nous n’en attendions pas le dixième. Il nous laissa manger après nous avoir indiqué (aussi) deux domaines viticoles près de La Crau auprès desquels, peut-être, nous pouvions trouver asile et emploi Vers 19 heures, le berger reconduisit ses chèvres dans leur étable plus bas dans la vallée et nous fermâmes le portail de la prairie après lui avoir souhaité une bonne soirée. Cette nuit, nous allons donc dormir dans un vrai lit et demain matin, nous pourrons prendre notre première douche chaude. Ainsi notre verve sure ne s’applique-t-elle pas à ces êtres adorables, proches de nous, simples, ancrés dans un humanisme beau et utile que sont les moines retirés ou mêmes les missionnaires rencontrés en Thaïlande. Non ! Notre verve sure ne s’appliquera jamais qu’aux cathos catins qui vident nos villes de toute saine spiritualité et nos cœurs du moindre sentiment vertueux ; aux fossoyeurs ingrats qui de la mort tirent l’indispensable ressource de leur bourse épaisse, jouant avec nos peurs et notre crédulité ; aux romanciers bibliques enfin qui prostituent la vérité pour obtenir l’aval d’une institution perchée au sommet d’une clef romaine et le titre d’écrivain de la foi. Voilà qui est écrit ! Nous devrons le répéter, assurément… Sous prétexte que nous couchons avec des mecs, nous n’aurions pas le droit de taper sur la communauté homo ; sous prétexte que nous nous sentions bien au milieu d’une telle congrégation, nous n’aurions pas le droit de signaler les nombreux ratés et abus de la religion ; sous prétexte enfin, nous écrivit-on récemment, que nous vivons dans notre société, nous n’aurions pas le droit de la critiquer. Et bien non, Messieurs les moutons aveugles, Messieurs les amuseurs de basse-cour, il ne nous plaît guère à nous de plaire ! Vous ne savez faire la part des choses et heureusement que tous ne pensent pas comme vous, autrement brûleriez-vous encore aujourd’hui les sorcières et serions-nous, nous, en train de vous maudire sur notre bûcher !


13 octobre 2005

Chartreuse de Morières-Montrieux (Provence, France), 7h02.

Les plaisirs rares sont décidément les meilleurs (nous parlons de la douche) et nous l’avions oublié, nous qui recevions tout ou presque au moindre souhait. Le jour se lève doucement dans cette petite vallée consacrée, les collines la protègent, tout comme du bruit de la ville. En ce moment, nous avons besoin d’isolement, de faire le point sur une vie qui, à l’évidence, n’a pas de but et n’en aura jamais. Une chartreuse, un peu comme dans Le Désespéré* (ce que sans doute nous sommes), n’est-elle pas le lieu idéal à ce travail sur soi ? Nous ne pensons hélas pas pouvoir rester ici et abuser davantage de l’hospitalité des pères.

7h51.

Le jour se levait alors que nous assistions à une messe surréaliste. Nous nous rendîmes à la chapelle Sainte-Roseline, sur le chemin forestier, où le père prieur Bruno célébrait ; nous étions seul, il était 7h20. Lorsque nous entrâmes, nous le vîmes vêtu pour l’occasion, entouré de vide et de silence. Il lisait les paroles saintes pour lui-même dans l’espoir, peut-être, d’être rejoint par quelque promeneur très matinal habillé décemment pour la messe… Nous nous rendîmes compte que nous dérangions sans doute plus qu’autre chose. Toutefois était-il trop tard. Nous prîmes un siège dans le calme, adoptâmes une position de recueillement propre à moment pareil et essayâmes de comprendre ses paroles. Avouons que nous nous demandions en fait ce que nous foutions là mais en écoutant le père réciter presque machinalement mais pieusement ses paroles, après maints essais de concentration, nous pensâmes à notre situation et tout prit un sens !
Nous trouvons notre intérêt en la matière de l’observation et du témoignage – nous l’avons déjà écrit. En revanche, la nouveauté est que nous aimons et sommes fait pour vivre ces situations aussi incongrues qu’incompatibles. Avant-hier, cas d’uranisme dans spacieuse BMW ; hier, troc improbable de champignons contre un peu d’herbe ; ce matin, messe dans chartreuse isolée… Tout ceci n’a aucun sens – n’importe quel crétin peut s’en rendre compte – et c’est justement cela qui nous intéresse, mieux, nous excite : le manque de sens ! Alors que d’autres cherchent l’ultime révélation, nous, nous n’en avons cure et voulons accumuler vivre des expériences diverses et variées et en témoigner, voilà tout. Si plus tard quelque analyste s’intéresse à nos récits et veut en trouver un sens pour les exploiter, c’est son affaire… Présentement, nos écrits ne valent rien ; seul ce que nous vivons compte !

12h15.

Nous étions sur le point de continuer notre route, en pèlerin devenu, quand Jean-Louis (l’employé responsable des terrains monastiques) nous fit rencontrer le père prieur Bruno en personne. Nous le remerciâmes pour son accueil et lui demandâmes si notre aide pouvait être utile ici. Il nous proposa de nous héberger encore quelques jours au besoin et qu’en échange nous pouvions si nous le souhaitions redessiner leur promenade panoramique envahie par broussailles et éboulements successifs. Ne cherchant pas un sanctuaire mais bien des êtres à qui nous pouvons et voulons apporter quelque chose, nous n’acceptâmes qu’à cette condition. Nous voici donc installé dans la chambre de Monsieur Fernand – c’est ainsi qu’elle s’appelle. Le bâtiment est vieux, usé, marqué par les innombrables restaurations oubliées ; les moines ici se meurent. Aucune nouvelle génération n’attend son tour derrière le vieux portail en bois sombre. Notre cellule est pauvrement aménagée mais ne manque de rien. Il y a deux pièces ; une table pour manger, un bureau, un lit, une armoire, un meuble pour prier, un fauteuil et trois chaises en forment le mobilier. Il y a également un lavabo. Jésus est planté sur une croix en bois simple et domine la chambre en suppliant les cieux, un père ingrat qui n’intervient pas. Ses mains sont trouées à un endroit impossible ; le sculpteur devait manquer de ressources historiques. Après deux milles années, est-ce bien normal ? Les fenêtres donnent sur une petite cour, jardinée par Marius à la française, autour d’une fontaine en mousse et en pierre. Fleurs et rosiers sont taillés avec soin, la Vierge est entretenue, les allées aussi et demeurent vides de tout encombrement qui faucherait l’harmonie du lieu. Dans la bibliothèque très sommaire de notre chambre, il n’y a que des livres pieux. Lautréamont et nous-même avons peur de nous en approcher ; nous ne nous y risquerons pas. Une fois installé, les affaires les plus courantes déballées (les autres restant dans notre sac, prêtes au départ), nous partîmes travailler notre chemin au râteau, à la pelle et à la pioche pour lui donner la forme espérée, peut-être, par les moines médiévaux qui bâtirent la chartreuse en onze-cent-et-quelques. Elle est vraiment paisible et les peu nombreux randonneurs en cette saison qui s’aventurent sur le sentier sans s’y arrêter ne dérangent pas. Nous sommes assis à notre bureau éphémère. Le repas fut déposé devant notre cellule à 11h45 comme ce le sera durant notre séjour ici. Tout le monde mange seul, c’est la règle dictée. Il était composé d’un potage de légumes et d’une omelette aux herbes, de fromage, de fruits, de pain d’épice – un repas sobre mais suffisant. Nous n’avons pas rencontré tout le monde et n’en aurons sans doute pas l’occasion mais il y a treize moines ici, plus d’autres gens comme Philippe le portier ou Jean-Louis. Les Chartreux sont ascétiques et contemplatifs – vivre ici quelques mois nous ferait grand-bien… Quelques mois seulement car les ordres, qu’ils soient militaires ou monastiques, ne sont pas pour nous. N’en espérons pas tant !

19h41.

De 13 à 17 heures, nous travaillâmes à nouveau sur la promenade panoramique et apprîmes à mieux connaître notre entourage : Jean-Louis, André, Olivier et le frère Jean-Marie. Nous en parlions à l’instant avec le berger. Il est vrai qu’il se dégage de ce lieu et de ces êtres une atmosphère particulière, profonde et sincère d’apaisement – on se croirait dans un ashram ! Nous lui demandâmes, l’occasion nous semblant bonne, s’il ne cherchait pas un chevrier mais hélas avait-il déjà un associé (compétant) avec lequel il partageait son temps de garde. Aurait-il besoin de quelqu’un pour faire son fromage que ce serait en février et Dieu sait où les vents nous auront alors porté…


14 octobre 2005

Chartreuse de Morières-Montrieux (Provence, France), 7h13.

Doucement, la vie s’éveille sur le monastère. Pour nous, c’est dur mais juste un rythme à prendre. Pour le petit-déjeuner : le pain et la confiture servis hier midi. Hier soir, nous eûmes deux œufs au plat et une salade verte en sauce. Les repas ne sont toujours pas orgiaques mais nous ne nous plaignons pas car c’est, répétons-le, ce dont nous avons besoin en ce moment.

12h21.

Au menu de ce midi : moules et haricots en sauce. En mangeant, nous nous dîmes que nous allions demander un peu plus pour le soir – il suffit de laisser un mot dans le portoir à l’attention du frère cuisinier – mais, en fin de compte, nous croyons l’idée mauvaise. Nous devons en effet nous plier aux règles établies ici. Ou peut-être un peu plus de pain… Nous ne voulons pas abuser même si notre travail vaut plus qu’une omelette. D’autre part, moins nous mangerons, moins nous aurons de confort, de plaisirs, plus nous nous rapprocherons du but que nous nous fixâmes (sans nous le véritablement fixer non plus) pour ce psycho-trip. Tu comprendras pourquoi, Fidèle, en continuant à lire le sillon sans parade que nous traçons dans ce carnet…

17h37.

Nous passâmes à nouveau la journée sur la promenade panoramique. Le travail est aussi long qu’épuisant mais le résultat est convaincant. Nous craignons cependant de ne pas avoir le privilège de passer l’hiver ici ; le voulons-nous vraiment ? Nous avons besoin d’un salaire, même modique, afin de continuer ce périple, ainsi que d’un endroit où loger. Ici aurait été parfait mais le frère Jean-Marie nous confessa presque que le monastère ne pouvait se le permettre. Cependant restons-nous le bienvenu et d’après lui, le père prieur Bruno ne verrait aucun inconvénient si nous désirions rester un peu plus longtemps que les deux ou trois jours qu’il nous accorda à notre arrivée. Nous fîmes également la connaissance ce matin du frère Théophane, responsable en quelque sorte des équipements. C’est de lui que nous dépendons directement, après le prieur bien entendu qui veille sur tout. Il est un homme d’une agréable compagnie, réservé et cultivé. Il sculpte également d’une main de maître, d’après les œuvres que nous pûmes observer. Il nous fournit des chaussures pour éviter d’abîmer (davantage) les nôtres, n’étant pas parti avec notre garde-robe qui dut contenter le fouilleur de poubelle passant dans la rue du Bon Pasteur à Aix-en-Provence. La nuit et le froid tombent vite dans la vallée. Nous sommes assis à la table en pierre devant la chartreuse sur le sentier forestier mais nous allons rentrer prendre une douche, nous en avons besoin.


15 octobre 2005

Chartreuse de Morières-Montrieux (Provence, France), 20h28.

Le temps est gris, il a plu toute la journée. De 8 à 10 heures, nous continuâmes la promenade panoramique mais, la pluie commençant à battre, nous résolûmes de ne pas risquer le coup de froid et rentrâmes. Le père prieur Bruno, venu nous voir, accepta notre congé pour lundi dans la matinée – nous devons continuer notre route. Toutefois la promenade panoramique est-elle désormais praticable et le père en était-il satisfait. Davantage aurait pu être fait mais pas en si peu de temps et avec si peu de moyens. Ainsi, lundi dans la matinée, nous retrouverons-nous sur les chemins de notre destinée, sac sur le dos, épaules et pieds suppliants. Croisant le frère Jean-Marie chez André qui vit dans le hangar, nous lui demandâmes s’il était possible, puisque nous n’en aurons probablement plus eu l’occasion et qu’il aurait été dommage de passer à côté, de visiter l’intérieur du monastère, l’intimité des moines, leur lieu de solitude. Il accepta et nous ouvrit les portes closes une à une, dans le silence de chuchotements. Nous fûmes impressionné par la beauté de l’architecture tranchant avec la sobriété des cellules : l’espace d’une vie entière consacrée à la foi, la solitude, la méditation et le travail manuel ne tenait qu’en un peu plus que notre studio à Aix ; c’est peu ! Nous le fûmes davantage en entrant dans la bibliothèque. Des milliers de livres rangés par genre s’offrirent à nos yeux d’or ravis. Dans notre esprit, une bibliothèque représente beaucoup. Nous eûmes le cœur arraché quand nous dûmes brader la nôtre à ce bouquiniste obscur et charlatan avant notre départ. Ici, les sujets traités principalement sont la religion : des textes et des textes de théologiens dont la science rhétorique égale celle des meilleurs ; d’autres médiocres profiteurs de la foi facile ; une mince rangée de littérature française également. Comme il nous plairait tant de passer notre hiver à parcourir de nos doigts agités ces reliures et d’en numériser le contenu afin de les préserver à jamais de tout défigurement du temps et des catastrophes ! Oublions cette idée, ce ne sera pas possible. Nous nous contentons de Lautréamont dont nous achevâmes à l’instant le troisième chant en nous disant qu’en son temps, on nous aurait émasculé, brisé la nuque à la hache, écartelé sur une roue tirée par des chevaux puissants et fouetté jusques à l’os avec des verges pour le quart de ce que nous écrivons aujourd’hui, ailleurs ! Ainsi va le monde mais le monde justement ne va pas…


16 octobre 2005

Chartreuse de Morières-Montrieux (Provence, France), 14h04.

Le bonheur du pèlerin réside dans son pouvoir à s’allonger des heures dans une prairie vagabonde aux pâquerettes fleuries avec dans les oreilles une musique qui le fait rêver si et quand il le désire. Et cela, Fidèle, tu ne le connaîtras jamais si tu ne fais que le lire ! Le temps s’est un peu découvert, l’odeur de la forêt lavée par la pluie a remplacé en ce dimanche de repos celle de la sérénité monastique. Au matin, nous assistâmes à la messe, la chapelle pleine, cette fois-ci, de fidèles amis. Maintenant, une toute autre célébration, plus proche de notre philosophie, s’offre à nous. Sur la terrasse, au-dessus du muret, l’apiculteur soigne ses ruches ; dans le bois, l’oiseau chante la symphonie du clair horizon ; sur la prairie, l’abeille et le bourdon récoltent alors que nous rêvassons, le regard perdu dans les nuages aux tons gris bleu. Nous ne nous gênons pas les uns les autres car nous respectons et adorons la même mère, Nature, qui de ses mains séraphiques caresse notre vision.

19h03.

Saint Bruno n’est quant à lui pas une bonne source d’inspiration. Il domine notre bureau mais fixe la lumière, non nous. Tant pis, nous allons la conquérir chez un autre compagnon de destinée, plus cher, plus fidèle : le silence. Il se fait, avec grâce et sans prétention, l’écho de nous-même. Il ne réclame aucune gloire, aucune part de ce qu’il nous aide à produire ; il est juste présent et généreux, presque timide, dirons-nous. Alors que les vents, autres amis fidèles, s’acharnent sur nos pensées folles et les dévoilent, réclamant leur pécule à emporter, le silence, lui, non ! Quant à la cloche, elle sonne à l’instant et sonna tout le jour depuis les mâtines, coupant toute méditation pour une autre ; le silence, lui, non ! Il nous est cher car il nous laisse à nos doutes, nos angoisses et à la fin savons-nous que c’est de notre volonté propre que naît la création. Il ne nous laisse pas nous évader comme le font les nuages – en cela est-il sûr aussi. Il nous retourne notre pensée, nous pouvons lui faire confiance. Le jour a laissé place à la nuit dans la petite vallée de la chartreuse, notre herbe acquise sèche doucement sur le radiateur et il est temps pour nous de remercier dans ce carnet le père prieur Bruno, les frères Jean-Marie et Théophane, Jean-Louis, Marius, André, Olivier et Philippe, les âmes sincères rencontrées ici ces quatre derniers jours. Elles nous dictent que notre quête, peut-être, débute par la recherche d’Hommes bons… Nous ne pouvons nous résigner à une conception maldorienne de l’humanité, ventilée par un esprit génial, certes, mais encore jeune et inexpérimenté ; ou encore à la confiance aveugle et utopiste de quelque foi savamment mal employée ; ou enfin à la puérile naïveté de l’adolescent qui croit le monde alors qu’il ne l’a jamais vécu. Non ! Si en observateur que nous sommes nous devons témoigner, ce sera comme ce le fut toujours par l’expérience personnelle et la relation proche que nous entretenons avec le verbe. Demain, le soleil transpercera les nuages et éclairera le chemin de la continuité, celui que nous suivrons en pèlerin devenu, pratiquant du non-sens, adorateur de la nature, grand rêveur de beaucoup de choses encore, aventurier du presque rien, prétendant à l’inconnu, cas désespéré pour certains, simple éphémère au cœur romantique nostalgique mélancolique, errant dont on dira qu’il bâtit malgré lui.


17 octobre 2005

Aiguilles de Valbelle (Provence, France), 10h49.

Nous quittâmes la chartreuse sous des cieux chargés de menaces à 8h47 très précisément, après une poigne chaleureuse et pleine de reconnaissance avec le frère Jean-Marie qui nous souhaita une bonne route. Nous sommes actuellement au sommet d’une des aiguilles de Valbelle. La vue est impressionnante, le brouillard s’est dissipé au-dessus de notre tête, comme pour nous laisser respirer. Du haut de ce promontoire, au son de chants d’oiseaux divers, nous contemplons le chemin serpentin qui court dans cette forêt de chênes verts que l’automne défeuille lentement ; nous contemplons la brume épaisse qui doit encore recouvrir le monastère ; nous contemplons le temps qui passe et qui s’inquiète de n’avoir plus d’emprise sur nous.

Pas de Belgentier (Provence, France), 12h09.

Pour tout repas ce midi : trois pâtes de fruit et quelques raisins secs en plus de nos cachets quotidiens de spiruline des Andes ; l’omelette des pères nous paraît déjà bien loin. Il nous faut vraiment arrêter de parler de bouffe, nous en devenons mentalement obèse. Nous déjeunons en tête à tête avec une douzaine de monts bleus. Le soleil nous tient timidement la chandelle. Assis au bord de la falaise, un énorme roc nous cache la vision du village de Belgentier, en bas dans la vallée, nous aidant à maintenir un peu l’illusion de la solitude. Hélas, nous ne sentons ni n’apercevons encore la côte. Continuons notre lecture avant de reprendre le chemin.

Hyères (Provence, France), 19h04.

Et oui, Hyères, déjà ! Comme il est bon de pouvoir nous goinfrer de gras burgers pas chers après une dure et longue journée de marche ! Nous ne passâmes pas à la Navarre ou la Castille, le séminaire et le château que le frère Jean-Marie nous avait indiqués sur notre carte car une autre occasion, tout à fait informelle, se présenta. Nous nous étions perdu dans la forêt ; un cafouillage distrait entre GR et ET nous fit perdre deux heures de marche à travers le plateau du Siou-Blanc et divers domaines de chasses – nos épaules nous promirent vengeance amère. Nous retrouvâmes quand même le GR51 qui nous porta jusques à Solliès-Ville. Nous étions épuisé, avions une faim de lionne et étions prêt à sauter sur le premier épicier ou restaurant rapide venu. À cette pensée, notre estomac nous cria : « Oh oui ! Vite, un Mac Do’ ! » Nous n’arrivions pas à nous enlever cette idée de la tête, il nous fallait un burger. Hélas, Solliès-Ville, trou paumé et haut perché, n’avait en magasin qu’un petit épicier à l’enseigne peinte main et à l’étiquette prohibitive. Nous décidâmes donc de descendre plus bas dans la vallée, sur Solliès-Pont, mais nous trompâmes une fois encore et tombâmes à La Farlède, légèrement moins perdu mais quand même, pas de Mac Do’. Nous aurions dû nous douter de la supercherie déjà lorsque nous fûmes accueilli par un cimetière… Nous nous étions résigné à quelque modeste sandwich au jambon quand nous tombâmes sur deux femmes, en fin de course à pieds, qui nous dirent après demande que rien de notre recherche ne se trouvait ici, qu’il fallait remonter sur Solliès-Pont ou descendre sur Hyères, treize kilomètres plus bas. L’une d’elle proposa de nous y conduire. Étonné tout autant que sa copine inquiète de cette proposition inespérée, nous acceptâmes avec joie, les suivîmes jusques à sa voiture, garée près de la maison de sa copine dans un lotissement voisin et, le temps qu’elle se changeât et se rafraîchît, nous fîmes route pour l’autoroute et Hyères. Elle s’appelait Cathy. Nous lui racontâmes quelques passages de notre histoire pour la rassurer un peu et décontracter l’humeur. Finalement, Hyères n’étant pas si éloignée que cela de notre point de départ, nous arrivâmes dans le centre-ville rapidement. Elle nous déposa devant le Mac Do’. Il est 19h47 maintenant et nous sommes re-pu. La nuit, évidemment, est tombée. Nous ne savons encore où nous diriger ; la plage, oui, mais laquelle… ?

L’Ayguades (Provence, France), 21h24.

En sortant du Mac Donald’s, plein comme un sac marin, nous demandâmes notre route pour la plage de l’Ayguades à un couple passant là. Il nous l’indiqua – « Quatre kilomètres par là ! » – et nous entendîmes un sifflement qui, lorsque nous nous retournâmes, s’accompagna d’un geste de la main, invitant notre personne à rejoindre son propriétaire. Pour faire clair, un mec dans une vieille voiture blanche nous interpella. Nous allâmes voir, il nous demanda notre destination et proposa de nous y conduire. Nous acceptâmes, une seconde fois en l’espace de quelques heures, habitude s’ajoutant tranquillement aux autres, et nous y allâmes. Il avait comme nous parcouru la France, depuis la Normandie, et avait échoué ici quatre ans plus tôt. Nous nous permîmes de lui poser ces questions car raconter notre vie, ça va un temps mais à force… ça lasse ! Il nous déposa au bord de la plage, sur un parking, seul face à l’inconnu. Nous vîmes de la lumière dans un bar PMU nommé « La Réserve ». Il tombait bien, il nous fallait un gin ! Nous nous installâmes au bar, commandâmes, taxâmes une clope à notre voisin et pûmes nous détendre, enfin. Nous demandâmes également au patron, après cul sec, s’il connaissait sur la plage un endroit tranquille où passer la nuit et il eut l’idée de nous proposer le bar d’à-côté, fermé, envahie par les feuilles et plus sûr. Nous nous y trouvons actuellement, épuisé et notre lampe va mourir.


18 octobre 2005

L’Ayguades (Provence, France), 8h06.

Les moustiques ne dorment-ils jamais ?! En tout cas, pas celui qui nous empêcha de fermer l’œil cette nuit. Nous nous battîmes férocement mais il nous vainquit, nous infligeant des coups insidieux partout où notre peau sortait de notre duvet. Nous avions chaud, le sol était dur, l’oreille droite nous démangeait ; impossible de trouver ne serait-ce qu’une demi-heure de repos, impossible te disons-nous ! Vers 5h30, nous fîmes donc un brin de toilette et attendîmes le lever du Soleil sur la plage. Il fut magnifique ! Nous sommes là assis sur un banc vert, devant la capitainerie ; nous attendons qu’elle ouvre. Il y a du vent, beaucoup de vent ; on ne peut pas dire que les cieux soient clairs, on ne peut pas dire qu’ils soient couverts. Dans notre esprit règne ce matin une étrange brume qui nous rappelle nos attentes à la gare Saint-Charles après une nuit d’éthylisme et de danse au New Cancan. Vu d’en haut ou pour le passant masochiste matinal, bien qu’il fasse froid, nous devons sembler arriver de quelque pays lointain où la raison de vivre et l’espoir se seraient évaporés dans une guerre oubliée des médias mais ancrée dans la mémoire, quand même, du vieux. Justement, en parlant du vieux, il y en a quatre qui attendent comme nous. Parlons-en puisque nous n’avons que cela à faire. En fait… ils ne nous inspirent guère. Nous descendîmes sur la côte pour chercher un job sur un yacht ; nous pensâmes à cela hier. Nous espérions y trouver chaleur mais il fait encore plus froid que dans les collines. Normal, nous diras-tu, Fidèle, et bien non ! Dans une ville qui arbore fièrement son attribut de « Les Palmiers », nous nous attendions – c’est la moindre des choses – à trouver vahinés, soleil, effluves parfumées de monoï… Et bien non !

Hyères (Provence, France), 9h46.

Nous entrâmes il y a quelques instants au Tocco pour y prendre notre petit-déjeuner, au hasard, sur le port de Hyères ; il fallut qu’il fût gay, naturellement ! Décoration fine et moderne, nous aurions dû nous en douter mais nous ne sommes toujours pas éveillé ; il va nous falloir un autre gin. À la capitainerie de l’Ayguades, on nous conseilla d’aller nous renseigner plutôt à Hyères dont le port est en effet nettement plus important et le gin, nous le découvrons en même temps que toi, deux euros dix plus cher, soit environ un euro par kilomètre. Savourons-le donc ! Si lui ne nous réveille pas, nous n’aurons plus d’autre idée que celle de nous jeter dans le port et, dans ce cas, près d’un luxueux yacht tant qu’à faire. Les vents semblent vouloir emporter tout, dirait Mylène, y compris le luxueux en question. Il nous semble, mais peut-être nous avançons-nous présomptueusement un peu trop, qu’ils veulent nous pousser loin, loin d’ici.

11h09.

Nous avons l’impression qu’en fait Hyères-plage, ou au moins son port, est une enclave gay. Nous nous basons sur les passants (et leur cocker toiletté). Rien n’y fait, nous n’arrivons pas à nous motiver et pourtant le devons-nous être pour aller à la capitainerie ; nous devons montrer que nous sommes un garçon qui en veut, prêt à (presque) tout et qui accepte (presque) n’importe quoi comme boulot. C’est net, nous avons besoin de fric, il nous en faut pour continuer ce psycho-trip et si nous arrivons à avancer en nous en faisant, comme ce serait le cas sur un yacht, que demander de mieux ? Nous verrons bien…

11h51.

Un euro quarante le ticket de bus pour aller de Hyères-port à Hyères-centre ; mais où va le monde ? Enfin… Nous ne payerons pas notre ticket pour Saint-Tropez où les bateaux sont plus gros, voilà tout ! À la capitainerie de Hyères, une gentille dame nous dit que son port avait reçu cet été deux gros gros bateaux mais que c’était exceptionnel. Ainsi, si nous voulons avoir la chance de rêver devant des yachts de milliardaires, c’est vers Saint-Tropez, Nice, Cannes voire carrément Monaco qu’il faut diriger nos pas. Soit, c’est sur notre chemin mais nos pas, justement, en avaient un peu marre alors sautâmes-nous dans le premier bus pour le centre. Là, nous irons dans un cybercafé poster quelques nouvelles puis prendrons un autre bus pour la cité sous le soleil (paraît-il).

13h19.

Assis sur notre sac, nous attendons. Nous attendons le bus 103 ; nous attendons que les employés daignent travailler et ouvrir les portes de leur putain de gare pour acheter notre ticket ; nous attendons le soleil ; nous attendons… Ah ! ils viennent d’ouvrir, profitons-en.

Bus 103 pour Saint-Tropez (Provence, France), 13h50.

Une fille à côté de nous : canon, de quoi devenir hétéro (et nous n’en sommes vraiment plus très loin) ! Que faire ? Hélas pour nous, elle s’arrête au Lavandou, bien avant nous ; quel dommage ! Nous n’avons pas l’habitude d’aborder les gens pour ce genre de choses, en plus une fille… Que faire ?! Rien, il n’y a rien à faire ! Le Lavandou s’approche, elle s’éloigne, trop tard ; nous sommes une merde.

Saint-Tropez (Provence, France), 16h53.

Venir ici était vraiment une mauvaise idée. Nous vîmes de beaux bateaux sur… Ah non, ce n’est pas possible ! Quand ça ne va pas, ça ne va pas ! Après la lampe de poche la nuit dernière, voici notre plume favorite qui nous lâche elle aussi ! Où en étions-nous ? Ces bateaux donc ! Oui ! Nous ne pourrons jamais monter dessus… Venir à Saint-Tropez nous rendit désespérément triste. Il n’y a rien pour nous ici ; il n’y a que des choses que nous aimerions avoir et faire. C’est dur… Les gens sont riches et roulent en Rolls ; nous sommes pauvre, marchons en DVS abîmées et avons besoin d’une douche. Nous obtînmes une adresse où nous renseigner mais elle se trouve à Monaco. Monaco, putain ! Autant dire le bout du monde ! Nous avons le moral à zéro, nous n’avons pas envie de poétiser, nous voulons gueuler contre cette injuste machination qui se joue de nous. Pourquoi ne pouvons-nous être comme les autres, satisfait de ce que l’on nous donne ? Notre nuit va encore être terrible. Nous devons aller à Saint-Raphaël, la gare SNCF la plus proche et essayer d’y trouver un train pour Nice où nous nous rendrons à la capitainerie et poserons la même question qu’aux trois autres : « Qui faut-il sucer pour embarquer à destination des tropiques ?!! », plus savamment… De Nice, si notre recherche reste vaine, ce dont nous sommes sûr à l’heure actuelle, nous nous rendrons à Monaco et de là, pour la même raison, nous sommes prêt à embarquer clandestinement ; non ! Nous nous faisons moine dans un monastère en Toscane ; non ! Nous allons chez nos parents ; oh non ! Nous retournons à Aix, nous asseyons sur notre fierté, trouvons un emploi et reprenons notre vie là où nous la laissâmes voilà huit jours ; non plus ! Huit jours seulement et nous en sommes déjà là ! Triste histoire… Mais que faire alors ? Nous ne savons pas ! Nous aurons la réponse dans quelques lignes.

Train … pour Nice (Provence, France), 19h14.

Un Theoz tout neuf pour un vagabond en déroute. Il va de soi que nous ne payâmes pas le ticket. Même si pour le coup cela nous arrangeait, il avait cinquante minutes de retard ; c’est une question de principe, nah ! Une fois à Nice, nous approcherons des 20 heures et nous n’avons toujours aucune idée de ce que nous y ferons. En fait, puisque nous sommes dans la merde, autant l’être jusques au front – le peu de chevelure dont nous disposons pourra ainsi abriter si elle le désire une famille de mouches ! Notre sac est lourd et encombrant ; nous n’emportâmes que quelques vêtements mais c’est encore trop. Il nous faudra l’alléger – nous serons encore moins équipé que nous le sommes mais plus mobile. L’idéal serait un sac de trente litres, duvet dessus, bâche dessous, une tenue de rechange, un litre d’eau, une canne à pêche, un nécessaire de toilette, notre carnet, une plume et pour le reste, une VISA GOLD ! Hélas pour nous cette dernière manque-t-elle cruellement à notre bagage…

Nice (Provence, France), 20h54.

Combien aimerais-tu, Fidèle, pouvoir contempler le spectacle que nous avons la chance de voir jouer devant nous ce soir ! Il n’est pas encore tout à fait 21 heures, nous sommes couché sur les galets, adossé à notre sac. À main gauche, un troupeau de touristes japonais qui s’amusent avec les flashs de leur Canon et Nikkon ou s’essayent aux massages avec les galets de la plage ; c’est tordant mais ce n’est pas de cela dont il s’agit. En face de nous, la mer est agitée, les vagues grondent, cognent sur le rivage de la Promenade des Anglais et les mouettes blanches reflètent dans les cieux les éclats de la cité lumineuse. Dans la nuit, la mer est turquoise et se perd au loin comme si elle voulait plonger dans le grand néant de l’horizon. Pas un seul bateau n’est là pour retenir ce suicide homérique, non, pas un ! Les cieux au-dessus de notre tête sont plein de menaces, ils sont jaunes. Nous les aimons de nuit car ils appartiennent au passé… Nous avons faim et froid, nous sommes perdu mais nous trouvons notre compensation dans le plaisir de ces moments-là ; tout cela pour combien de temps… ?


19 octobre 2005

Principauté de Monaco, 13h05.

Nos résolutions tombent une à une. Dehors, la pluie inonde le pavé princier et le rocher est envahi d’une brume saine mais fraîche et décourageante. Nous nous demandons ce que nous foutons ici ! Seul, assis au Quai des Artistes, entouré de gens qui travaillent et dînent, nous cogitons sur notre trop proche avenir.
Il semble inéluctablement, à moins d’un miracle, compromis. Nous (ré)apprîmes en dix jours à nous méfier de notre chance et le Centre d’action sociale de Nice, où nous passâmes la nuit dernière, acheva notre moral déjà abattu d’un coup de grâce amer et ô combien brutal. Nous allons nous retrouver définitivement sans ressource dans quelques jours au plus et nous craignons avec cette pluie insidieuse pour la pérennité de notre carnet (simples feuillets volants et fragiles) que nous protégeons autant que faire se peut. Dans notre esprit désolé, il ne reste que résignation et un fugitif, peut-être, espoir de renouveau. Nous guettons l’opportunité salvatrice comme l’herbe folle la rosée du matin. En fait, nous sommes trempé et froid mais aussi sec que le chat goudronneux qu’on aurait écrasé par perversion sur la voie rapide. Nous nous sentons vide et creux, creusé à la pioche, oui, c’est cela même, à la pioche. Nous admirons ces deux serveurs et cette jeune hôtesse qui entretient la conversation avec nous entre deux entrées de clients. Nous les admirons car ils sont quelque chose de défini, ce que nous ne pouvons, ne savons être. Nous les admirons car ils ont la force de caractère de l’acceptation. Nous les admirons enfin car ils nous étonnent par leur courage. Nous, nous ne le sommes guère, courageux, même si à l’instant elle nous dit le contraire ; tragique coïncidence ! Notre vie est riche en événements exceptionnels, nous le lui concédons, mais elle est chaotique au possible, sans lendemain. Socialement, elle ne vaut rien car nous ne produisons rien, sinon ces quelques lignes de révolté contre nous-même et notre condition misérable plus que contre le monde. Nous choisissons notre vie, cela est vrai, mais sans trop avoir le choix. Nous choisissons, en fin de compte, de contenter notre nature et de suivre notre onde.
Seul, assis au Quai des Artistes, entouré de gens qui travaillent et dînent, nous cogitons sur notre trop proche avenir.
En moins d’une journée, nous parcourûmes cinq ports en vain, suivant cet orage impétueux qui trempe le Sud-Est de ses cordes que nous aurions savourées ailleurs, en un autre moment. En vain nous nous dîmes à chacun d’eux : « Peut-être est-ce le bon ! » Deux heures que nous sommes ici, il ne pleut plus, notre pantalon est toujours humide, nos DVS baignent et notre esprit s’égare dans ces considérations matérielles finalement sans importance. Nous devons entretenir notre foi sectaire tournée vers le large dans le positivisme. Soyons fort et faisons honneur à l’attribut de ce carnet !


21 octobre 2005

Principauté de Monaco, 16h45.

Parce qu’il faut nécessairement nous retrouver quelque part, ce ne pouvait être qu’au Quai des Artistes ! Nos recherches restant infructueuses et le week-end venant, nous sautâmes dans le premier TER depuis Antibes où nous trouvâmes résidence temporaire pour venir refroidir notre esprit bouillonnant ici, lieu calme et plein de vie à la fois. Nous laissâmes notre énorme sac là-bas avec un mot pour celui ou celle qui le trouverait. Nous avons avec nous papiers, le peu de fric qu’il nous reste et sommes habillé bitch beach style car une lessive était plus que nécessaire et qu’elle sèche en ce moment à Antibes. Voici pour les nouvelles fraîches. Ah ! Nous trouvâmes également des clopes qui constituent, avec le chocolat chaud et le verre d’eau devant nous, notre repas du jour. Notre main en tremble, les mots qu’elle dicte sont frileux. Nous retournerons dans notre squat en toute fin de journée. Un squat bien confortable du reste ; laisse-nous te raconter, Fidèle.
Nous rencontrâmes, mercredi, à la capitainerie d’Antibes, un agent qui nous raconta sa vie et nous indiqua le Relais international de la jeunesse où nous pouvions, peut-être, passer la nuit. Nous nous y rendîmes en fin de soirée sous la pluie pour nous retrouver devant un portail cadenassé. Il y avait un abri de jardin et en désespoir de cause, ne pouvant ni ne voulant revenir sur plusieurs kilomètres de pas le long de la côte, nous l’escaladâmes et y déposâmes notre lourd bagage. Nous fîmes le tour de la résidence, apparemment vidée de ses estivaux et trouvâmes par miracle une porte ouverte avec des lits, des tables entreposés et, ô comble de joie, une salle de bain avec eau chaude !
Huitième clope depuis la gare de Nice. Jouons donc un peu avec Parkinson…
Nous nous installâmes en silence, n’étant pas sûr de l’endroit et la lumière à l’étage ne devant servir que de veille pour les cambrioleurs, prîmes une douche et nous endormîmes comme un loir. Nos rêves nous invitèrent aux délires les plus fous, reflets de notre situation actuelle. Cette invitation sans carte nous préoccupa et nous nous réveillâmes deux ou trois fois dans la nuit pour le constater. Hier, nous fîmes le tour des yachts, toujours sans résultat, et trouvâmes finalement Anita, chez AMPM Crew Solutions, avenue de la Libération, tout proche du port Vauban, qui, sinon de nous offrir une place sur un bateau, nous accueillit avec des conseils avisés. Elle nous donna une feuille d’inscription à remplir et nous dit de repasser. Avant de rentrer au Relais, nous nous octroyâmes un moment de repos, sous un fin crachin, au bout du port, à côté du phare, après le superbe yacht saoudien. Olivier, le serveur, nous demande, puisque nous sommes seul dans le bar-restaurant, quelle musique nous souhaitons écouter : « Du rock d’aujourd’hui ! » et nous parlons. Hier soir, nous retournâmes au Relais, fîmes notre lessive et priâmes tous les seins géniteurs de la création pour qu’on nous y foute la paix. Ce matin, sur les conseils d’Anita toujours, nous entamâmes sérieusement notre budget dans un cybercafé, à côté du pub Blue Lady d’Antibes, pour rédiger notre CV en anglais et l’axer davantage sur le yachting. N’ayant aucune expérience dans ce domaine ou dans la restauration, nous dûmes y inscrire au moins nos motivations ; c’était indispensable, nous mangerons (encore) moins, voilà tout ! Nous ne pourrons lui remettre en revanche que lundi matin. D’ici là, l’éternel stand-by du week-end nous attend et c’est pourquoi nous sommes ici, parce qu’il faut nécessairement pouvoir nous retrouver quelque part…
Essayons-nous, puisque le temps ne semble toujours pas s’intéresser à nous, à quelque description de ce lieu d’ancrage. Devant nous, au fond de la salle côté cuisines, un Fernandel étonné contemple les clients goinfrés et éclairés par un majestueux lustre de verre que les petits salons accueilleront plus tard dans la soirée. L’entrée, portique tournant plombé d’une Ferrari de la grande époque, engage la créativité d’un grand hôtel parisien dont la célèbre tour est louée en peinture, fresques et décorations diverses. Comme aux Danaïdes à Marseille, un peintre expose des œuvres numérotées sur les murs ; ambiance bucolique, ode à l’été encore fraîchement présent. Le comptoir où siège notre inspiration domine le reste de la salle de son long comme s’il voulait rappeler sa place sur l’échelle du bar où le passant sans attache, l’habitué, le restaurateur en fin de service s’attardent. Il est bleu et tranche avec la sobriété des sièges consacrés aux mondains. Ce bar présente tous les aspects de l’entretien et du bon goût. Pour preuve, Bombay Sapphire et Pétrus s’imposent à notre palais connaisseur. Enfin, pour clore ce tour sommaire, citons le prince qui n’est plus seulement héréditaire, cadré discrètement près de la caisse, joli symbole du capital que représente son rocher…


22 octobre 2005

Antibes (Provence, France), 16h34.

Qu’ajouter d’autre à notre situation que nous n’écrivions déjà hier ? Nous trottons entre Monaco et Antibes, essayons de nous y faire une petite place. Alors que de notre promontoire nous contemplons les bateaux du port Vauban dont les mâts inaccessibles nous narguent, les mouettes, leur bec noir grand ouvert, elles qui de naissance ont l’expérience du large, se rient de nos aventures. L’énorme burger acheté à l’instant dans la vieille ville ne semble même pas les intéresser. Nous mangeons tant que nous le pouvons avant la pénurie qui s’annonce. Nous avions prévu de faire le tour des agences d’intérim et d’éditer plusieurs CV aujourd’hui mais il plut ce matin et nos bonnes volontés fondirent.
Hier, nous fîmes deux rencontres intéressantes, presque perturbantes. La première se fit en gare de Nice où nous nous arrêtâmes sans trop savoir pourquoi. La SNCF avait annulé deux TER et la voie était envahie de voyageurs circonspects et résignés plus qu’en colère. Au milieu, un jeune homme attira notre regard. Il avait une salopette en jean dont il laissait traîner les bretelles derrières lui, un sweet noir à capuche qui ne laissait voir qu’un visage à la peau mat et une mèche ténébreuse devant l’œil droit. Nous ne l’abordâmes pas, bien qu’il fût à quelques pas seulement de nous, mais il nous charma, sans même s’en apercevoir. Nous le prîmes pour un garçon des rues, vaquant au milieu de la foule à la recherche de rien, donc de tout. Il s’était arrêté auprès de trois backpackers anglo-saxons pour leur emprunter leur djembe et en jouer. Il avait le rythme dans la peau et tout le monde, nous l’observâmes, reconnaissait l’agilité de ses doigts ; l’attente en fut moins longue sans doute. Il y mettait son cœur et, sur son visage, nous pûmes lire du bonheur, peut-être. Notre train annoncé, il quitta les trois backpackers et alla s’asseoir sur la voie d’en face. Nous le regardâmes s’éloigner et nous ne savons quel sentiment naquit en nous. Ce garçon, un parmi d’autres mais avec ce petit quelque chose qu’eux n’avaient pas, nous l’enviions ! Jamais encore n’avions-nous envié quelqu’un à ce point, nous satisfaisant de notre vie perturbée en général. Nous ne cessâmes de penser à lui dès lors et c’est hier soir, dans notre lit, que nous comprîmes que nous enviions son naturel, sa vie ou plutôt l’image de la vie que nous captâmes dans son regard. Nous comprîmes également dans ce lit qui n’était pas le nôtre combien nous aimerions nous réveiller au matin avec quelqu’un comme lui dans les bras, endormi, angélique encore avant le trouble moral que l’éveil apporte. Nous comprîmes enfin combien nous haïssions la solitude, rapace plein de doutes et d’angoisses. Hélas portons-nous un deuil plus lourd encore et, l’a-t-on décidé, devons-nous le porter seul… La seconde rencontre, nous la fîmes quelques instants après que nous étions sorti du Quai des Artistes. Nous nous promenions alors sur un quai et une voiture de la police maritime s’arrêta. À Monaco, en plus des caméras, il y a des condés partout qui veillent. Ce surplus n’est pas plus mal, autrement retrouverions-nous vite là un Tortura du grand siècle de la flibuste. L’agent au volant, à notre passage, nous interpella :

L’agent de police . Bonsoir ! Que faites-vous ici ?
Nous . Et bien, je regarde les bateaux…

Cette réponse nous parut fort naturelle sur un port bondé de touristes à l’appareil photographique exubérant. Il nous demanda nos papiers et nous lui donnâmes notre passeport. Ainsi la conversation s’engagea-t-elle et nous leur parlâmes de notre venue sur la côte, de notre recherche. Nous entamâmes un véritable déballage de notre vie que, ne la cachant pas, tout le monde va finir par connaître à force. La sincérité est notre plus grande qualité comme notre plus grosse source d’ennuis mais il ne sembla pas choqué lorsque nous évoquâmes nos deux dernières années de débauche – au contraire en parlâmes-nous naturellement ! Notre histoire n’est pas conventionnelle mais après tout pas unique non plus. Finalement, l’agent qui nous interrogea, un officier vu son uniforme et sa grande tenue, nous invita lui aussi à déposer nos CV sur les yachts même si tel démarchage n’était que toléré, nous indiqua différentes agences d’intérim, de placement d’équipages et tout se passa bien.

L’agent de police . Où allez-vous dormir ce soir ?

La question phare ! Nous ne risquions pas cependant de lui parler de notre squat à La Garoupe et lui répondîmes avec le sourire bon moral, bonne confiance que nous ne le savions pas encore. Nous parlâmes une demi-heure environ et il nous laissa continuer notre route en nous rappelant de revenir tenter notre chance sur le quai des États-Unis. Nous partîmes sans réelle solution toujours mais étonné par tant de compréhension – non habitué à cela en Pays d’Aix avec ses connards de municipaux – et quelques pistes supplémentaires à suivre. Nous avons la chance de posséder un contact naturel avec les gens, insuffisant dans certains cas mais fort utile dans d’autres ; preuve est faite !


23 octobre 2005

Principauté de Monaco, 16h34.

Nous passâmes une autre journée sur le Rocher, ne pouvant nous résoudre à rester au Relais, surtout que le temps se prêtait à promenade dès le milieu de la matinée. Nous trouvâmes un cybercafé près du port Vauban d’Antibes, éditâmes quelques CV et montâmes dans le premier train en direction de Vintimille. Là, une jeune espagnole, parmi trois autres, nous rappela que nous fondions littéralement devant tel accent chez une fille – surtout employé avec autant de charme qu’elle. Nous n’avons déposé aucun CV encore ; nous le ferons la nuit tombée. Est amarré sur le port, quai des États-Unis, un sailing-yacht au doux nom de Lady K et un peu plus loin son jumeau le Lady K II. Un signe du Destin ? Côté personnel, il nous reste cinquante euros, de quoi tenir, peut-être, la semaine si nous devons attendre les éventuelles réponses à nos recherches. Après… Heureusement ne payons-nous pas le train et jusques ici ne nous fîmes-nous pas choper. Nous imaginons mal en fait un contrôleur verbaliser un resquilleur étranger et le Trésor Public envoyer l’amende sur quelque île des Caraïbes, en Russie ou à Gibraltar… Zone exonérée ? Nous en doutons mais nous prions quand même pour passer au travers le temps de notre séjour ici. Nous commençons à nous bien diriger sur la côte que nous fîmes nôtre voilà six jours. Nous y établîmes déjà des habitudes (gênantes lorsqu’il faut s’en détacher), repérâmes certains lieux sympathiques, fîmes des connaissances et surtout, nous nous faisons à l’idée de devoir nous installer ici pour quelque temps si nous voulons avoir la chance d’embarquer la saison prochaine, peut-être et toujours dans l’hypothèse très peu crédible que nous ne trouvions pas avant. Ayons confiance !


24 octobre 2005

Principauté de Monaco, 14h39.

Et comme toujours, ce syndrome de la préparole dont nous avons l’honneur de revendiquer la paternité nous rappelle une fois de plus que nous devrions, plus souvent, fermer notre gueule ; l’apprentissage est difficile ! Ce matin, un peu avant 9 heures, un homme entra dans le local du Relais en fracassant la chaise que nous avions laissée derrière la porte pour prévenir de l’intrus ; il venait la fermer. Premier connard de ce psycho-trip que nous rencontrâmes. De la colère plus que de la surprise se lisait sur son visage. Sur le nôtre, rien, une brume légère, peut-être, dû à notre récent réveil. Il nous demanda, comme il l’aurait demandé à un chien, ce que nous faisions là. Nous lui expliquâmes mais il ne voulut rien entendre et nous laissa cinq minutes – nous dit-il dans le jargon de l’imbécile qui se sait dans son droit, trop content d’avoir le dessus, sans une once de civilité – pour débarrasser les lieux. Nous étions alors assis sur un lit, motivé pour une autre journée de recherches et heureusement presque déjà habillé. Nous refîmes donc notre sac à la hâte, peu déballé par précaution, et partîmes tracer notre sillon vers quelque autre rive inconnue. Nous nous retrouvons donc une fois encore à la rue, suivant la constance qui nous caractérise, sans nous demander notre avis, depuis notre départ ; deux semaines déjà ! Nous devons donc nous attendre à passer deux nuits de merde. Que faire ? Où aller ? Deux récurrentes sans réponse immédiate. La lame acérée de Damoclès pend au-dessus de notre tête et tranche les fils, modestes, que nous tissons – elle y prend, cette salope, un malin plaisir. Dans notre malheur, toutefois, nous eûmes de la chance. Nous avions prévu de quitter le Relais tôt dans la matinée car notre journée s’annonçait chargée mais notre flemme nous séduisit davantage et nous flânâmes une heure de plus dans la chaleur accumulée de la nuit. Si la raison avait eu le dessus, nous aurions trouvé ce soir porte close, notre sac à l’intérieur caché dans le placard, et nous aurions dû enfoncer la porte. Qui sait alors quel pire événement aurait attaqué notre résolution ?! Nous sommes assis dehors, sur la terrasse. Le temps est clair et nous nous rendons compte que toute idée architecturale à Monaco a laissé place à un bordel d’immeubles entassés les uns sur les autres sans harmonie ou un minimum de cohérence. Un marin ne connaissant pas encore la cité doit être bien déçu en entrant dans le port ! Il nous semble, mais nous nous avançons peut-être trop (à toi de nous le dire, Fidèle), qu’Andorre a déjà plus de style. Pourtant est-elle, elle aussi, un puzzle mal formé. Elle reflète l’état dans lequel serait la chambre d’un enfant de milliardaire turbulent qui s’essaierait aux legos.
Hier soir, nous fîmes donc le tour du port mais ne trouvâmes hélas aucun yacht où laisser notre CV, aucun sauf le Lady K II où nous pûmes parler un peu avec une fille du bord, embarquée à Odessa sur un coup de chance ; comme quoi cela existe-t-il ! Nous lui laissâmes notre CV mais sans chance d’être embarqué car le yacht en question reste à quai, ici ou ailleurs, et ne recherche aucun membre d’équipage. Nous rentrâmes doucement au Relais en prenant le temps de visiter un peu la vieille ville d’Antibes sur notre chemin. Quel extraordinaire contraste, ces vieux murs et ce port avec les allées plus modernes d’en haut, comme si l’on avait voulu afficher en vitrine le meilleur pour cacher le pire ou, au moins, les mœurs simples et sans prétention du Français dit moyen. Toutes les villes ont leur lumière, disons-nous, lorsque la petite voix nous répond : « C’est établi, tout comme leur part d’ombre. » Mais, encore une fois, sur la côte est-ce saisissant !


25 octobre 2005

Cannes (Provence, France), 00h54.

Ah, la Croisette ! Aussi belle et chic que la Promenade des Anglais (sauf qu’ici, c’est du sable). Il nous manquait un port, voilà qui est fait ! Il y a quelques instants, nous rêvions et tergiversions sur nous-même de l’autre côté, sur la digue, au milieu de mâts toujours inaccessibles. Il faut nous rendre à l’évidence : jamais nous ne monterons à bord d’un de ces yachts, hélas ! Nous ne devons pas être fait pour cela, nous avons trouvé notre limite. Allongé sur un banc en pierre, la tête sur notre sac rescapé, nous regardâmes les nuages pendant près de quatre heures, entre deux marches rondes sur les rochers, clope au bec et musique dans les oreilles. Notre sort est loin d’être dramatique, quoi qu’il nous semblât l’être un moment à Monaco cet après-midi. Nous réalisâmes que nous étions libre, véritablement, et que ce voyage, par l’intermédiaire de ce carnet, allait nous apporter, peut-être, une réponse à la question que tu dois te poser, Fidèle : « Mais qu’est-il donc venu faire sur Terre, cet être-là ? » Martinez, Carlton ou Majestic Barrière ne nous aideront pas dans cette affaire ; à nous de nous débrouiller seul. La foi sectaire déjà citée que nous entretenons depuis six jours maintenant est crucifiée. Elle ne laisse comme descendance que le rêve des flots et la frustration du quai : un frère et une sœur qui ne cessent de se chamailler quand leur tuteur (et auteur de ces lignes) se noie dans le gin suave et décourageant. Combien de fois avons-nous baffé cet éthylique renaissant depuis notre départ, combien ? La foi perdue, le foie en devenir, il lui restera la larme chagrine et la main mendiante pour survivre. Nous les voyons, ces suceurs ailés qui en veulent à notre sang. Prenez garde, compères nocturnes, vous risqueriez de prendre flamme au prochain lampadaire si vous vous attachez trop à nous ! La nuit porte conseil, dit-on, mais entre cinq arbres et un pieux éclaireur, elle apporte aussi boutons et rougeurs, omet-on de prévenir. Nous divaguons. C’est que nous ne trouvons pas le sommeil ; non que nous n’ayons pas envie ou besoin de dormir, c’est juste qu’il est parti coucher ailleurs – probablement avec ce charmant garçon de trottoir croisé en venant ici – en nous laissant seul avec notre plume. Et que faire d’autre avec une plume sinon écrire ? Se la foutre au cul est, dans notre cas, loin d’être suffisant pour éprouver quelque plaisir, alors conventionnellement écrivons-nous. Les vents se levant, nous devrions trouver un abri mais nous avons suffisamment prouvé que nous n’étions pas raisonnable pour rester encore un peu. La baie mérite cet honneur, elle qui ne sait pas quand nous reviendrons chercher notre inspiration dans ses sens reposants. Allons, il suffit ! Nous ne voudrions pas, en plus de la plume, avoir à nous taper la pluie.

Nice (Provence, France), 14h32.

Alors que nous étions confortablement adossé à notre sac contre un poteau sur la voie de la gare, ne gênant personne, celle-ci étant pratiquement vide, un agent bleu osa nous dire que c’était interdit. Nous étions bien, sur le point de nous endormir au soleil pour supporter ces deux heures d’attente ; nous lui fîmes la moue du blasé qui ne cherche même plus à comprendre. Encore un pseudo chef content, fier même, de son ordonnance finalement médiocre. Nous sommes fatigué. Cette nuit, après nos tergiversations manuscrites, nous rejoignîmes la gare pensant y trouver un abri mais elle était fermée. Nous nous assîmes devant sous le porche et le défilé de poivrots débraillés nous saoulant, nous fit poser nos jolies fesses sur la plage de la Croisette entre le ponton du Martinez et celui du Majestic Barrière. Nos pieds nus purent apprécier ce sentiment d’évasion entre sable et vagues et nous y passâmes la nuit jusques à 6 heures, heure d’installation du bar de plage contre lequel nous avions établi notre campement. Si nous sommes à la gare de Nice, c’est que nous montons à Paris. Ne nous demande pas pourquoi, Fidèle, tu sais déjà que nous n’en savons pas plus que toi… En fait, nous avons dans l’idée de rejoindre le Morbihan, côte plus sauvage, plus véritable. Nous ne nous souvenons pas de notre toute jeune enfance passée là-bas ; nécessairement, nous n’avions que quelques mois ! Il est plus que temps de revenir aux sources. Nous pourrions, cela dit, peut-être, rester quelques jours à Paris mais avec trente euros, cela va nous être hélas impossible.
Que retenons-nous de ce chapitre provençal ? Tout d’abord, que les burgers au Mac Donald’s de Monaco sont meilleurs qu’à Aix-en-Provence ; oui, c’est important ! Ensuite, que nos besoins sont (re)devenus primaires : trouver à manger, pouvoir dormir au sec, nous doucher et baiser. Enfin, que si nous voulons bosser sur un yacht un jour, il nous faudra certainement bosser sur un yacht d’abord. Heu… analysons ! Cette phrase ne veut rien dire. Bravo, tu as tout compris ! En fait, nous caricaturons. Si nous voulons embarquer, il nous faudra simplement prouver que nous pouvons embarquer. Voilà un accord plus honnête ! Pour cette saison, c’était juste mais au moins maintenant avons-nous informations et adresses.


26 octobre 2005

Paris (Île-de-France, France), 3h30.

Ni la vieille dame, ni le phare Eiffel, ni le vit égyptien planté dans les cieux, ni le cul de Jeanne, vierge énoncée mais princesse guerrière à la fente sévère, ni les ardoises phosphorescentes du Louvre ; ni même les eaux sales et les rives grouillantes, le sable envahissant les marches du jardin des Tuileries, le cycle éternel de la cotonneuse volute, ces rues interminables que le reste de la France appelle avenues ou boulevards ; ni même l’étrange Théâtre de Poche, la métamorphose du phare en sapin à 00h57 ; ni même notre état de fatigue déjà bien avancé, la haute couture consumée avec exagération, le froid tremblement de nos muscles, la pensée saliveuse d’un énorme steak aux Trois Maillets ne parvinrent à nous donner l’inspiration du soir ! Paris ne sera qu’une escale sans saveur à l’orée de notre bois d’aventures. Paris ne fut-elle pas Paris que nous ne l’eussions parcourue. Ne sachant que faire après notre promenade dans la capitale par les quais, nos arrêts fréquents pour nous asseoir contre un arbre et fumer en écoutant les joueurs de guitares et les jeunes cosmopolites parler, nous montâmes à Saint-Germain-des-Prés et trouvâmes le Old Navy, un bar-brasserie. À Paris, on ne dort pas ! Nous infligeâmes à notre bourse une dernière folie – assurément c’en est une, il ne nous reste que dix euros et quelques centimes – pour un dernier repas de rêve : faux-filet cuit à point, sa sauce et de vraies frittes bien tendres. Nous partîmes voilà seize jours avec peu, il ne nous reste rien. Nous commençons à en avoir marre d’être seul mais ne pouvons nous attacher à quelqu’un ; nous devons tenir encore quelque temps ! Et puis la question ne se pose-t-elle pas, n’ayant rencontré personne à notre goût véritable pour le moment excepté le jeune ténébreux de la gare de Nice. Les gens que nous apprécions sont peu nombreux mais nous les apprécions vraiment et ils nous manquent. Nous étions encore hier assez proche d’eux ; aujourd’hui, la donne change. Se construire un cercle d’intimes quand on ne fait que passer comme nous n’est pas chose aisée, d’autant moins qu’en ce moment nous filons plus que nous ne passons. La sédentarité à ses bons côtés aussi… Mais qu’écrivons-nous ? Retiens-nous, Fidèle, que Diable ! Nous sommes un être solitaire, destiné à l’être, plus exactement. Non ! Nous aimons la proximité, les relations humaines intimes. Oui ! Non ! Et merde, nous n’en savons rien. Si ! Nous avons besoin de quelqu’un, pas d’un mec mais d’un compagnon. Notre évolution DOIT nécessairement passer par lui, sinon à quel regard fin critique car connaisseur pourrions-nous bien nous référer ?! Il est difficile de nous vraiment connaître. L’autre nous perçoit souvent plus facilement car lui seul peut accéder à notre regard. Nous essayons d’être impartial et sincère avec nous-même mais des choses nous échappent. Il nous faut un miroir. Non, mieux ! Il nous faut une personnalité à laquelle nous confronter, mais une qui nous comprenne et que nous pouvons cerner en retour, pas une façade, quelqu’un de vrai qui, comme nous, fait tout son possible pour exploiter ses erreurs et tracer son chemin dans un sillon sans parade, parallèle au nôtre. Avis à populace, Oyez : TWIN WANTED ! Le chaînon manquant, tout vient de là.


27 octobre 2005

Quiberon (Armorique, France), 11h58.

Le sable vole et fouette, les vents s’expriment et le Morbihan, comme pour dire au monde à travers notre carnet qu’il ne pleut pas toujours en Armorique, a ses cieux dégagés de tout nuage. Le soleil, les mouettes et quelques avions de grande ligne sont aujourd’hui ses seuls composants. C’est magnifique ! Nous aurions dû naître et vivre ici, quel gâchis ! La nature alors nous aurait-elle transmis sa force et sa volonté – il nous manque les deux. Nous ne nous plaignons pas, nous voulons juste nous analyser. Après tout partîmes-nous pour nous trouver… Il nous manque les deux donc : la force et la volonté de vivre. Nous n’avons envie de rien d’humainement possible. Nous assumons cette vérité depuis longtemps mais elle devient pesante. Si nulle part nous ne trouvons l’inspiration (nous ne parlons pas de l’inspiration littéraire mais de l’inspiration de la vie), où aller ? Que faire ? Pour conclure ce que nous effleurâmes hier à Paris, nous aurions dû naître deux ou ne jamais naître du tout ! Nous avons faim, en arrivons à poser notre regard sur la baguette de pain que le passant tient sous son bras ou le paquet de chips des touristes assis sur le banc à notre droite. Que nous faut-il à la fin pour être heureux ? Trouver le monde que nous cherchons tant ? Si oui, il nous faudrait faire usage de quelque magie ; oublions donc ! Nous enfermer dans un temple et fuir la société ? Non plus, nous ne pouvons pas fuir nos pensées. Nous jeter du haut d’une falaise après la publication de ce carnet chaotique pour finir dans le précieux vase des auteurs géniaux reconnus post-mortem ? Non plus, nous sommes trop lâche, trop curieux de connaître notre destinée pour y mettre un terme dès maintenant et trop génial pour savoir que dans la mort nous ne retrouverons qu’un repos éphémère avant un recommencement plus ennuyeux encore. Alors quoi ? Dans le TGV de Nice à Avignon, mardi, avant que le contrôleur nous jetât dehors, nous fîmes la connaissance d’une parisienne, présidente adjoint d’un tribunal, ancienne soixante-huitarde, qui nous dit très justement qu’elle en était revenue et qu’elle était contente de s’être fait une place plutôt honorable dans cette société pleine de défauts. Elle avait raison, nous en avions conscience mais nous n’arrivons pas à nous l’imposer. Pour être franc, nous ne recherchons ni boulot, ni situation et nous n’avons même pas espoir d’atteindre les 35 ans – la sagesse de l’ancien, nous ne l’espérons donc pas non plus.

Côte Sauvage, presqu’île de Quiberon (Armorique, France), 16h37.

Nous n’avons plus faim ! Nous nous arrêtâmes au Vivier, un bar-restaurant sur la Côte sauvage, pas très loin de Quiberon, pour demander au barman, Jaqui, s’il pouvait remplir notre gourde d’eau. Il était sympa et nous en profitâmes pour lui demander également si, par hasard, il était possible de nous servir un repas chaud contre un peu de plonge ou quelque autre travail. Hélas la plonge était-elle faite et le service de midi était-il terminé. Tant pis, nous rangeâmes notre gourde quand il nous dit : « Par contre, je peux te faire une fritte si ça te dit ! » Une fritte, nous n’en espérions pas tant ! Il revint avec une assiette pleine, deux tranches de jambon, une barquette de pain et du beurre demi-sel (évidemment). Nous eûmes même droit à un yaourt et du far aux pruneaux. À Auray, hier soir, nous entrâmes dans une boulangerie pour demander s’ils n’avaient pas un pain invendable à nous donner. La vendeuse – cette connasse ! – nous répondit avec condescendance : « Ah non ! Désolé mais on donne pas ici après ! » Nous commencions à croire, après avoir croisé en plus d’elle des promeneurs dont le mot bonjour ne faisait pas partie de leur lexique, que les Bretons n’étaient pas accueillant mais finalement si, ils le sont et ont juste comme partout leur lot de gros cons. Il y a beaucoup de vent ici et les criques sont incroyables. Cette nuit déjà, sur la plage après les dunes blanches où nous dormîmes, il se levait. Rien à voir avec la Méditerranée où se baigner dans une crique avec laquelle les vents jouent, c’est marrant. Ici, c’est du suicide ! L’océan passe du bleu sombre au turquoise puis au blanc une trentaine de mètres avant la falaise pour recouvrir entièrement parfois les hauts rocs qui précèdent. Nous regrettons de ne pas avoir d’appareil photo pour sauver ces images et surtout te les faire partager, Fidèle, mais après tout le Morbihan est-il accessible et n’as-tu qu’à venir le voir pas toi-même !


29 octobre 2005

Carnac (Armorique, France), 14h54.

La fontaine Saint-Colomban est un petit jardin d’Éden que le monde entoure sans trop oser y pénétrer. Nous sentons ici les années, les siècles d’un recueillement de pierre que la mousse fit sien. Nous nous attendons à voir là un croisé vétéran en armure tenant un calice à la main ; ou encore une épée à la poigne simple et solide mariée à un roc gravé d’oghams ; ou encore le défilé mortuaire mais noble et joyeux d’un roi valeureux et oublié. Ce lieu dans une forêt primaire serait un enchantement ! Dommage que la route l’ait cerné, comme pour empêcher, peut-être, toute superstition malheureuse de s’en échapper.
Hier midi, après une autre nuit humide sous un arbre entre le fort de Penthièvre et le camping municipal, nous arrivâmes à Kérouriec, un petit bourg entre Plouharnel et Étel, dans un état nauséeux et surtout affamé – la bouffe nous hante ! Ne sachant quel chemin emprunter pour, au moins, tomber sur une boulangerie quelconque, nous nous arrêtâmes dans une ruelle pour nous renseigner. On nous indiqua Erdeven, la ville suivante, et nous dûmes revenir sur nos pas. C’est alors qu’un peu plus loin une femme et sa fille, toutes deux en bicyclettes, nous interpellèrent pour nous demander étrangement si nous recherchions l’abbaye. Pas si étrange que cela, toutefois, si l’on prend en considération le complet de voyage que nous nous choisîmes à notre départ – nous ressemblons effectivement à un séminariste. Un bâton de marche en plus et on nous croirait parti pour Compostelle… Nous engageâmes donc la conversation. Elles s’appelaient Véronique et Isaure, nous avaient vu passer devant chez elles par deux fois et se proposèrent de nous inviter à déjeuner. Nous acceptâmes volontiers et les suivîmes sur quelques mètres, jusques à une maison bretonne, vétuste presque, un confort minimal, un arrangement simple, peu de meubles, un camp atypique et bienvenu que nous adorâmes dès le pallier. Nous nous mîmes à table dans une ambiance sympathique de forum alter mondialiste. Beaucoup de sujets furent abordés, installant partage et ouverture d’esprit sur le trône de la communication productive. Véronique nous proposa de rester un peu et nous passâmes l’après-midi à jouer avec Isaure pendant qu’elle et Fabrice (un ami), allèrent en ville faire des courses. Nous inspirons la confiance dans le cœur des gens ; c’est bien heureux et notre plus grand bonheur est de faire ressortir ce qu’il y a de bon et de sincère en eux. Véronique nous invita également à passer la nuit chez eux (leur maison de vacances en fait) et nous acceptâmes en voyant le temps à la fenêtre. Nous sortîmes tous manger une pizza au Galiléo à Erdeven avant d’assister à un concert breton à la chapelle Saint-Armel de Plouharnel. Nous fûmes envoûté pendant environ deux heures trente par bombarde, orgue, harpe et chants bretons, en sortîmes conquis et dormîmes dans le hamac du grenier encore sous le charme résonnant de cette journée formidable.
Ce midi, tous les trois allèrent dîner dehors avec leur voisine. Quant à nous, nous empruntâmes à Véronique une vieille bicyclette d’après-guerre toute rouillée, sans freins, bruyante, pour nous balader au gré des vents tout l’après-midi. Nous nous arrêtâmes à l’abbaye Saint-Michel-de-Kergonan susnommée avant de continuer jusques à Carnac. Les alignements de menhirs nous déçurent beaucoup. Ah, ces menhirs ! Beaucoup d’histoires furent inventées pour expliquer leur présence ici. Et s’ils n’étaient après tout que l’œuvre d’un artiste celte qui en son temps voulut représenter quelque inspiration géniale et inexplicable ? Que diront nos descendants des colonnes de Buren, dans mille ans, si elles existent toujours ? Qu’elles sont les pétrifiés d’une république pourrie de jadis ? Non ! Nous croyons seulement qu’ils diront d’elles : « Mais quelle horreur ! Nos anciens avaient des goûts de chiottes ! ». Bref, il y avait trop de touristes en plus, trop de flashs à l’appréciation rapide aussi ; nous ne restâmes pas et continuâmes donc jusques à Saint-Colomban et cette fontaine. Nous sommes adossé à un grand pin dont la ramure protège ce carnet des quelques gouttes carnacoises. Nous sommes, répétons-nous, conquis par ce pays !


30 octobre 2005

Manoir de Kercadio (Armorique, France), 13h12.

Nous venons d’achever un repas composé de pain viennois, de feta, de thon et de maïs en attendant l’appel de Véronique qui va nous déposer sur la route de Sainte-Anne-d’Auray. Quant à eux, les vacances sont finies et ils rentrent dans l’Aine. Encore une fois, nous tombâmes sur des gens vraiment formidables ! Ce matin, alors que tout le monde s’affairait pour le départ, le vieux poste au rez-de-chaussée jouait de vieilles chansons des années trente et Isaure nous lisait des lettres reçues et illustrées : une ambiance calme que nous appréciâmes beaucoup. Cette maison du reste est propice à l’évasion spirituelle et artistique. Isaure jouant son solfège au violon, Fabrice dessinant ses rêves, Véronique roulant sa cigarette, réfléchissant à une manière de rendre le monde plus esthétique, un tableau qui nous envoûta. Il nous fut dit que cette maison était chargée des histoires de nombreux invités ; nous n’eûmes aucun mal à le croire. Il y règne des odeurs de voyage, ou plutôt de passage ; nous aimons !
Sans nous en rendre compte, nous rentrâmes sur une propriété privée car le cadre était enchanté. Le propriétaire des lieux, après un moment, vint à l’instant nous rejoindre. Il nous accorda un « Bonjour ! » souriant et dit simplement de faire attention aux chutes de branches ; les vents soufflent fort en effet. Nous attirons autant le regard perdu des vaches, les aboiements des chiens que la sympathie des gens. Notre habit de vagabond n’inquiète pas ; nous nous rassurons. Ces trois derniers jours signèrent une halte reposante sur ce carnet. Comme toujours, nous ne nous y attendions guère et pûmes partager nos expériences avec celles de nos hôtes chaleureux. De Horsico Rage à Gigi Bigot en passant par le catastrophisme éclairé, nous actualisâmes également nos influences qui semblent s’orienter vers de l’inédit, du traditionnel voire du régional. Musicalement parlant, par exemple, nous nous intéressons aux chansons à textes alors que nous n’en supportions qu’à peine le titre il y a peu. Est-ce un besoin, une envie, une révélation ? N’importe, ce que nous vivons étant toujours ce que nous devons vivre, quand nous devons le vivre.

Sainte-Anne-d’Auray (Armorique, France), 15h30.

Voici quinze minutes que l’on nous attend. Au loin, la statue figée de sainte Anne nous ayant vu, ordonna : « Sonnez ! Sonnez, braves cloches honorées par la papauté elle-même ! Sonnez donc l’arrivée du pion de cette rocambole psychotique ! Élevez vos rondeurs à la face des habitants de la cité pour qu’ils comprennent, dans un sursaut frileux, que l’on vient maintenant les observer. Sonnez ! Sonnez, braves cloches ! », et se tut. Hier, sur la platine, Gigi Bigot disait que quand on n’allait pas bien, il fallait se rendre à Sainte-Anne-d’Auray ; nous voici. L’humeur est froide et couverte, les vents ont disparu et les nuages restent. L’Armorique se révèle alors, elle qui ne demande qu’à plaire, mais que les cieux voilent par pudeur. Les rues sont vides, c’est dimanche. Nous nous demandons où nous allons pouvoir dîner, rien n’est ouvert. Les cons de chasseurs en revanche ne se posent pas cette question et nous retrouvons les « Bangs ! » retentissants et surnaturels du Var profond. Ici, pas de train, tout se fait en car ; nous, irons à pieds. Vers la forêt nous montons.


31 octobre 2005

Sainte-Anne-d’Auray (Armorique, France), 9 heures.

À Sainte-Anne-d’Auray, les miracles existent ! Nous venions de visiter la basilique, la rue commerçante catholique pour le touriste en mal de pardon, nous en avions plein de le cul de toutes ces bondieuseries idiotes et là, sortant sur la rue de Vannes, devant la bibliothèque religieuse, un homme nous lança :

Lui . Vous avez tout ce qu’il faut pour voyager ?

Nous fûmes surpris, étions perdu dans nos pensées, nous questionnions sur le chemin à prendre et ne nous attendions guère à attirer l’attention du passant. Pourtant lui répondîmes-nous au naturel et, comme chaque fois (répétons-nous), une conversation tout à fait informelle s’installa. Nous lui racontâmes nos derniers jours, notre quête de non-sens.

Nous . J’aimerais voir la forêt de Brocéliande. Je monterai demain vers le centre de l’Armorique. Connaîtriez-vous, par hasard, un abri où passer la nuit ?

Il réfléchit un moment et nous invita à le suivre. Nous entrâmes à la Boule d’Or, un hôtel tout voisin. Il serra la main aux présents et demanda s’il restait une chambre.

Nous . C’est gentil à vous, Monsieur, mais je n’ai absolument pas les moyens de me payer les services d’un hôtel vous savez…
Lui . Ne vous en faites pas, je vais régler !

À ces mots, il sortit son carnet de chèques, le signa pour cinquante euros.

Lui . Bonne chance, jeune homme.
Nous . Je… je ne sais pas comment vous remercier !

Il nous serra la main prestement puisqu’il devait rejoindre sa nièce à la sortie de la basilique.

Lui . C’est déjà fait !

À Sainte-Anne-d’Auray, les miracles existent ! Nous pûmes hier soir dîner un plateau de charcuterie devant Astérix dans un lit bien chaud grâce à la bienveillance d’un homme dont nous récupérâmes le nom à l’instant auprès de la patronne, histoire de lui écrire un mot plus tard : Gilbert P. !

Le Faouët (Armorique, France), 11h58.

Voie sans issue ! Nous nous y engageâmes pour cela et par curiosité aussi. Notre mère est fan de toutes ces sagas de l’été qui passent à la télévision et nous les connaissons donc. Nous sommes incollable sur les flores et monts d’Angélique, les yeux d’Hélène et connaissons donc aussi la Marion d’ici. Mais est-ce bien ici, d’ailleurs ?! C’est vraiment paumé… Pas âme qui vive sauf un chat peu courageux, trois bons gros lapins qui finiront en civet et au loin, peut-être, le braiment d’un âne. Paumé te disons-nous, Fidèle ! Mais peu importe, le voyageur doit prendre son temps. L’empressement, la précipitation sont des erreurs de conduite qui mènent trop souvent à l’égarement. Nous parlons de déplacement comme de réflexion. Ainsi, le regard ne suffit-il pas au témoignage qui mérite l’observation et le détachement que le temps seul accorde. Pour illustrer notre propos, l’arbre planté devant nous se présente. C’est un châtaignier pour l’œil du passant qui marche sur les bogues de ses fruits tombés. Pour l’observateur, la branche à trois feuilles que les vents malmènent est le signe d’une saison qui s’apprête à laisser son trône de glands à sa sœur Hiver, pour quelques mois seulement. Si nous regardons un peu plus encore, nous apercevons une famille de rouges-gorges installée au creux d’un croisement de deux branches et nous nous étonnons devant l’ingéniosité de leur construction qui les protégera de la sœur susnommée. Nous pouvons également pousser cette observation à la réflexion en témoignant de l’importance de la cohabitation dans la nature. Le châtaignier solide ne craint pas les vents mais se dénude alors que le sapin voisin se balance mais est prude et chaste. Les deux forment l’abri idéal pour notre famille à bec et à plumes. Le tout est un équilibre exemplaire que seul le temps sut créer. Démonstration faite, le voyageur reprend son chemin.


1er novembre 2005

Pierre des sacrifices de Mané-guen (Armorique, France), 11h45.

Nous reprîmes notre chemin jusques à Pluvigner où nous rencontrâmes le monsieur du comptoir de la Boule d’Or qui nous proposa de nous déposer plus loin avec sa voiture. Le plus surprenant est qu’il nous avait dit au matin avant notre départ : « À bientôt, qui sait ? Tu sais, les chemins… » Nous arrivâmes à Camors et alors que nous ouvrions la portière, il nous tendit un billet de vingt euros, pour notre regard sincère et gentil, nous dit-il. Nous entretenons avec nos yeux d’or des rapports très particuliers. Nous les savons fragiles mais profondément communicatifs. Ils signent selon Maïnéa, la femme médium dont nous parlons dans Le noir et le blanc, nos origines mais renvoient, paradoxalement, le mystère de notre nature. Ils sont aussi instables que nous : jade par cieux couverts, or lorsque le soleil brille, clairs et félins en tout temps. Ce qui est sûr est qu’ils attirent, envoûtent peut-être, celles et ceux qui s’y perdent.
Nous arrivâmes à Guénin en fin de journée après quelques courses à l’Intermarché de Baud. Nous nous offrîmes du jus de fruit, du chocolat, du saucisson et deux éclairs pour cette nuit festive que nous célébrâmes seul sous un abri près de l’église. Nous y passâmes également la nuit et ce matin, à 8 heures, nous réveillâmes dans le froid et l’eau ; les vents avaient soufflé la pluie sur notre duvet. Nous reprîmes la route pour nous réchauffer mais nous trompâmes de direction. Dans la campagne, nous demandâmes notre chemin pour Locminé à la première femme rencontrée. Elle s’appelait Carole, nous dit qu’il fallait redescendre sur Guénin et nous proposa de nous y conduire. Elle nous paya également un petit-déjeuner à la boulangerie et poussa sa générosité jusques au site où nous nous trouvons actuellement, nous faisant gagner deux ou trois kilomètres. Nous sommes assis sur ce qui fut, selon la légende, le siège d’un druide présidant la cérémonie du sacrifice. Sur la pierre dédiée, la pluie remplit la nuit dernière une petite cuvette naturelle dont nous nous servons à l’instant pour faire notre toilette ; tout va bien, apparemment, nous sommes toujours en vie. Les cieux sont bleus, le soleil haut, nous séchons, la vie est belle !


2 novembre 2005

Bignan (Armorique, France), 12h56.

Hier, nous marchâmes jusques à Locminé par la départementale. Il se mit dans l’après-midi à tellement pleuvoir que nous dûmes nous abriter sous une tôle renversée sur un arbre à la sortie de la ville. C’est là que nous passâmes la nuit. Nous aurions mieux fait d’y rester la journée car aujourd’hui, le temps est pourri. Même le chien devant nous est roulé au chaud dans une botte de paille. Nous trouvâmes en effet un hangar dans une ferme à deux bons kilomètres de Bignan. La pluie est battante, il fait froid, nous sommes trempé, avons très faim. La vie est belle mais, vois-tu, Fidèle, parfois est-ce la merde !

Casserand (Armorique, France), 23h37.

Heureusement, endurer une peine voit-il toujours souvent arriver sa récompense. Nous trouvâmes à Bignan une boulangerie ouverte où nous achetâmes pain, chocolat et petits plaisirs édulcorés. La journée étant de toute manière placée sous le signe de la cruche percée (oui, c’est tout nouveau !), nous nous résignâmes à continuer et trouvâmes un abribus un peu plus loin. Il pleuvait toujours et, sur le passage, une grand-mère nous interpella :

La grand-mère . Alo’, on casse la croûte ?
Nous . Avec ce temps, on ne peut guère faire mieux, n’est-ce pas ?

Édentée, elle sourit quand même.

La petite fille . C’est qui mamie ?
La grand-mère . Ch’é pô moué !

Ah, le charme de la campagne ! Les flaques boueuses, les fermes, les effluves d’engrais après ceux des algues vomies par l’océan, les oi prononcés oué, les conducteurs à fond sur la départementale qui trop rarement s’arrêtent pour écoper nos chausses… Bref, l’Armorique sous l’eau, c’est charmant et bucolique, cela va un moment mais là, après trois jours de trombes, nous en avons marre ! À chaque demande (car nous n’aimons pas pénétrer chez les gens comme ça, sans permission), nous recevons souvent la même réponse du citoyen apeuré qui regarde trop TF1, adepte de « la France a peur » Première ferme : pas d’abri ! La seconde : « Oui mais final’ment non, on a eu des voyageurs qu’ont posé d’jô des problèmes. », ou encore : « Heureus’ment qu’on a pô lôché l’chien hein ! » Le chien : vingt centimètres de haut répondant au doux nom de Titi. Nous commencions à nous demander si entrer en Armorique profonde n’avait finalement pas été une erreur quand nous tombâmes sur une charmante chaumière, à l’intersection de deux routes. Notre direction, Guéhenno, n’était pas indiquée et sous cette pluie battante, nous baignions encore et ne voulions pas nous perdre. Nous sonnâmes à la porte pour demander notre chemin, ayant abandonné toute idée de trouver quelque abri là pour le soir. Une femme, bien habillée, élégante et courtoise vint nous répondre. Nous lui demandâmes et parlâmes un moment avec elle qui voulait nous donner à manger et des vêtements secs mais alors étions-nous plein et définitivement destiné à être trempé. Nous recherchions juste un endroit où nous reposer et dormir. Hélas pour nous, chose fort compréhensible, elle ne pouvait nous inviter à dormir chez elle. Elle nous indiqua cependant la carrière, sur la route opposée à la nôtre, où nous pouvions peut-être trouver un refuge dans un local, son époux étant le propriétaire. Il y travaillait et elle l’appela pour le prévenir de notre passage. Nous parlâmes encore un instant et y allâmes. Ce n’était en effet pas vraiment loin et la pluie avait cessé. Nous y rencontrâmes Hervé Chamaillard, un patron au bon regard et au parler franc. Il nous parut de suite sympathique, sincère surtout. Nous lui racontâmes un peu notre histoire et il ne vit pas d’inconvénient à ce que nous passassions la nuit dans un de ses locaux, les vestiaires sans doute, à condition d’éviter les ouvriers revenants au matin pour travailler qui pouvaient trouver cela louche. Il nous fit visiter les lieux ; nous fûmes impressionné par la plaie de granit creusée à la dynamite sur sept hectares, si nous nous souvenons bien. Arriva alors une voiture. Il nous demanda de l’attendre plus haut et revint avec la femme d’un de ses employés qui nous proposa le gîte pour la nuit. Monsieur Chamaillard avait déjà été étonné par notre histoire mais avec cela encore plus. Tout alla tellement vite en même temps… Nous le remerciâmes et montâmes dans la voiture avec nos sacs.
Nous sommes là dans le lit de la fille de la maison, Linda, qui fait les Beaux-Arts à Lorient. Brigitte et François, ses parents, ainsi que Marco, son frère, nous accueillirent avec un cœur énorme. Nous prîmes l’apéritif et mangeâmes ensemble, pûmes prendre une douche et Brigitte nous fit même une lessive. Devant kir et verres de cidre, nous n’arrêtâmes pas de parler. Nous nous sentons heureux, chanceux certes, mais heureux – fait suffisamment rare et trop éphémère pour en parler – de tomber sur des gens aussi formidables. Tu ne peux te rendre compte à quel point ils le sont, toi qui campes derrière ces lignes de vérité, mais ils le sont, crois-nous sincère ! Ce psycho-trip nous enseigne (entre autres choses) à reconnaître qu’il y a plus de gens bons que nous nous le figurions il y a quelques mois seulement. La clef réside dans la confiance que nous accordons et celle que nous inspirons. Sois sincère et honnête, Fidèle, ne prétends rien, reste ouvert et ton cerbère laissera entrer chez toi des êtres lumineux de bonté !


3 novembre 2005

Les Forges (Armorique, France), 10h07.

Et bons, ils l’étaient ! Après le petit-déjeuner, François nous déposa dans la forêt de Lanouë, la plus grande du Morbihan, où il allait ramasser des champignons avec l’un de ses amis, et nous indiqua la ligne à suivre pour atteindre Les Forges, un bourg quelques kilomètres avant Rohan. Entre eux deux se trouve une abbaye que Brigitte nous conseilla de visiter. Ne comptant pas notre temps et ne traçant aucun itinéraire à l’avance, nous nous y rendons donc. Nous marchâmes quatre ou cinq kilomètres dans la forêt et nous reposons là devant un café en apprenant à rouler. C’est un peu tard, convenons-en, mais nous nous en sortons plutôt bien. Ici, tout le monde fume et roule ses clopes ; en tout cas, les gens que nous rencontrâmes. Nous nous mettons donc à la sauce locale. Adieu Yves Saint Laurent (bottes et cirés en caoutchouc ne vont guère sous tes robes Grand Siècle), bonjour Drum et OCB. Oui, nous prônons le tabagisme, et alors ?! Notre santé nous appartient ! De toute manière, les milieux aseptiques ne conviennent pas à notre nature. Nous avons devant nous une carte Poste du Morbihan que Brigitte nous donna (avec quelques pommes, un litre de jus d’oranges et dix oranges ; des gens bons, te disons-nous !) et nous nous rendons compte que depuis une semaine maintenant que nous marchons dans cette région, nous en vîmes pas mal et pouvons (ré)écrire : l’Armorique est belle, captivante et ceux qui la peuplent sont bienveillants ! Évidemment y a-t-il toujours souvent la méfiance de l’étranger, du passant, même si ce n’est pas visible dans ce carnet. Il y a aussi l’incertitude du temps qui change vite, la mentalité campagnarde de France profonde, pire, d’Armorique profonde mais tout est ô combien plus appréciable, plus vrai qu’en ville. Pays culturel, les jeunes baignent dans les concerts et la diversité pendant que les anciens veillent aux traditions ancrées. Ici, nous nous sentons et pouvons nous sentir à part ; le globalisme touche mais n’imprègne pas. Troisième essai : ronde, droite, belle, pleine et forte ! Nous parlons de notre clope, évidemment, qui nous monte à la tête. L’Armorique, pays culturel et poétique donc. Sur la porte des toilettes, on peut lire : « Dans ce lieu détestable aussi utile que votre table, faites en sortes que votre cuvette soit aussi propre que votre assiette car c’est là que tombent en ruine toutes les merveilles de la cuisine ! » ; le café est à un euro, la crêpe à quatre, les bâtisses immenses et quasiment données ; les forêts abondantes, la boisson également ; les autoroutes, on les appelle quat’ voies, elles sont gratuites et ne tuent pas toujours. Ici, on prend le temps de vivre et d’apprécier ce qui est simple, on connaît le respect, on n’accepte pas la bêtise, on se défend !

Abbaye de Timadeuc (Armorique, France), 17h26.

Du haut de la fenêtre de la chambre 110, perchée au deuxième étage du bâtiment hôtelier, nous contemplons le jardin arpenté par les retraitants qui vont assister aux vêpres à peine sonnées ; nous contemplons le pic de l’abbaye qui semble vouloir percer le gris des cieux ; nous contemplons la Vierge blanche sur le parvis de l’église. Tout cela nous rappelle la chartreuse de Morières-Montrieux mais la vie ici est différente. Nous logeons chez des cisterciens trappistes, une communauté de frères qui veillent au grain, en quelque sorte, des gens aimables et chaleureux, toujours. C’est le père Marc qui nous accueillit et fit visiter la partie autorisée. Nous lui proposâmes notre aide en échange. Nous voyons déjà les porte-voix s’élever et l’abreuvoir à foutre qui sert de bouche à nos détracteurs gueuler derrière : « Quel profiteur, ce Louis, il n’est même pas chrétien ; il cherche juste une planque ! », devant lesquels nous n’avons pas à nous justifier. Nous nous cherchons, nous cherchons les autres, ce qu’ils ont en eux, ce qu’ils peuvent être. Nous écrivîmes ailleurs que nous prônons la notion de partage, d’échange et de troc. Outre notre expérience de vie, qu’à raison certains trouvent riche, nous avons notre travail et notre aide à proposer. Nous trouvons dans une telle enceinte communautaire des gens pour qui cette notion signifie également quelque chose. De plus, le silence introspectif qui règne en ces lieux nous aide à avancer dans notre évolution. Enfin, si nous nous engageâmes à essayer de croire en l’Homme dans ce psycho-trip, il faut sonder ce qu’il a de plus intime, son âme. Quel endroit est plus indiqué qu’un monastère peuplé de moines qui cherchent à l’élever pour observer son éclat ? Nous ne te le demandons pas en fait, nous avons la réponse : il n’en est aucun autre !

20h19.

Prenons par exemple les complies ; nous en revenons. Les fidèles s’installent – peu nombreux, il fait sombre – et attendent. Des toux préparatrices et des couinements de sandales sur le marbre blanc annoncent les moines qui entrent et prennent leur place dans une danse mille fois répétée pendant que l’un d’eux détache une corde et sonne la cloche consacrée. Et là, ils chantent, le chœur répond et nous, pauvre païen, nous étonnons de sentir, sinon notre essence, notre esprit s’élever d’un unique feu vers la Sainte Vierge éclairée et louée par un cantique grégorien. En sortant, nous n’étions évidemment pas converti mais bel et bien charmé !


4 novembre 2005

Abbaye de Timadeuc (Armorique, France), 20h25.

Nous – notre weed et nous-même – revenons non sans mal des complies et d’une promenade étoilée dans le petit parc réservé aux retraitants. Comme hier, le chant grégorien nous charma. De fait, nous pensâmes l’accompagner d’un peu d’herbe ; il atteint ainsi sa canopée voûtée. Nous passâmes notre journée une griffe à la main, l’autre dans la terre à ramasser les châtaignes. Il naquit de ce couple improvisé deux sceaux pleins et un énorme tas de feuilles et bogues morts destinés au compost.
Soit notre plume faiblit, soit notre troc improbable du Var commence son effet – un peu tard, nous n’allons pas tarder à aller nous coucher.
Ce matin, nous assistâmes également à l’eucharistie où nous crûmes être déjà mort. Nous envions ces célébrations primordiales où les enfants courent, les adultes sont joyeux, la foi festive, l’oraison clair, inventif et non funèbre. Une eucharistie nous ennuie, lui ! Il prétend fédérer autour de l’hostie et du vin (blanc) mais il est fade, à notre goût toujours, préférant le rosé du château Simone de toute manière. Avec tous ces offices, leurs exercices spirituels et leurs activités manuelles, les moines nous impressionnent ! Ils accomplissent un grand miracle, dit-on, en supportant le poids de ce monde. Nous, nous pensons que le miracle est qu’ils vivent si vieux… Tu nous diras, Fidèle, que c’est parce qu’ils entretiennent une vie saine et qu’ils ont la foi et tu auras raison sans doute. Ils nous surpassent, en tout point, nous, l’animiste éthéré pédélique. Nous n’avons ni leur force, ni leur vertu et pourtant avons-nous les mêmes aspirations : nous élever vers l’éternité – nous ne l’entendons pas de la même sorte, certes… Nous avons également l’honneur de les côtoyer et cette confrontation nous passionne. Les catho-catins sont loin maintenant ; nous pouvons reposer notre verve sure, pour la seconde fois de ce psycho-trip, et nous recentrer sur nous-même. L’espoir n’est toujours pas mais nous apprenons la patience, l’indulgence et le labeur – il en reste encore tant, nous sommes si jeune, avons si peu de temps devant nous. N’y pensons pas, ceci n’est pas dans l’habitude.


6 novembre 2005

Abbaye de Timadeuc (Armorique, France), 15 heures.

Comme pour répondre à nos vœux, hier, nous vîmes arriver pour l’eucharistie deux groupes de sixième, l’un de Rennes et l’autre de nous ne savons où. Cette célébration nous parut dès lors plus enrichissante. Les enfants représentent et représenteront toujours ce que l’humanité possède de plus cher à nos yeux. Quant à celle de ce midi, elle fut, par le père supérieur Germain de passage à Timadeuc avant son retour chez lui au Cameroun, célébrée d’une manière encore différente. Il y avait beaucoup plus de monde – normal en cette sainte journée – et puis, il y avait dans sa voix, sa parole, une conviction non ressentie chez les autres. Il parla d’amour et de veille ; nous en eûmes, presque, la larme à l’œil à la fin. Une chose est sûre, nous avions envie d’applaudir – chose que nous aurions faite si nous avions été sûr de ne pas passer pour le touriste mal placé de service.
Ce matin, nous veillâmes pour les vigiles qui furent longues mais supportables. Toujours ce manque de joie, de fête ! « Seuls et misérables… », « Nous, pauvres pêcheurs… », « Prends pitié de nous ! » sont autant de formules que nous exécrons. Non ! Nous ne sommes ni souffrant, ni abandonné, ni misérable et nous ne voulons pas vouer notre existence à la recherche d’un pardon que nous sommes de toute manière le seul à pouvoir nous accorder. D’ailleurs, nous n’avons commis aucune faute et notre conscience perturbée – probablement par la complexité des méandres que forment nos réflexions – ne trouvera aucun salut dans la miséricorde d’une icône. Non, répétons-le, nous ne voulons inspirer ni envie, ni pitié ! Nous en parlâmes à l’instant avec une retraitante qui nous dit : « Quand on me demande quelle est ma religion, je réponds l’amour ! » et nous sommes convaincu qu’il n’en est de plus belle. L’amour n’est pas sectaire, juste un peu timide ; il s’ouvre à toutes et à tous ; il ne faut pas croire en lui mais en celles et ceux qui le donnent et savent le recevoir. Un geste, une parole, une pensée, un sourire sont ses signes visibles et il n’en est besoin d’autres. Enfin, nous ne croyons pas qu’il faille souffrir intérieurement et chercher rédemption pour les accorder. C’est par notre évolution, nos doutes, nos réflexions, nos expériences, nos guides spirituels que nous apprîmes cela. Nous te souhaitons, Fidèle, au moins sur ce délicat sujet, d’arpenter le même chemin.


8 novembre 2005

Bocneuf (Armorique, France), 16h04.

Quelle angoisse ce bar ! C’est crade, branché sur Eurosport 2 et tenu par au moins cent-trente kilos de burgers… Mexico City Champ Car, dernier rendez-vous de la saison, en direct. Wilson est premier. Tu t’en fous, Fidèle ? Cela tombe bien, nous aussi ! Freestyle, sports de glisse ; il n’y a que cela de vrai (Jourdan et MacArthur aussi, à la rigueur…) Heureusement les cieux en face de nous sont-ils superbes, le canapé confortable, la clope montante et le café bien fort !
Nous prîmes ce matin notre petit-déjeuner à l’abbaye avant de partir en direction de Rohan. Là, nous voulions faire du bateau stop sur le canal de Nantes à Brest mais il est hélas fermé jusques au printemps. Nous le descendîmes donc à pattes ; nous sommes épuisé et pourtant n’est-ce guère loin. Les kilomètres paraissent étrangement plus longs quand on les parcourt en marchant… Nous vîmes cependant des tableaux magnifiques, des écluses paisibles et entretenues à celles en construction ; c’est une promenade qui vaut le coup ! Nous nous demandons si nous n’allons pas la pousser jusques à Nantes. Nous remonterons alors Brocéliande après, à voir… Avant de quitter Timadeuc, nous fîmes un dernier tour dans le parc des retraitants ainsi qu’à la bibliothèque où nous croisâmes le père supérieur Germain. Nous parlâmes de notre envie de participer à des missions dans les orphelinats du monde et il nous promit de nous mettre en contact avec l’un de ses amis au Cameroun. Nous échangeâmes également quelques devinettes avec le père portier puis vers 11 heures, nous serrions la main de père Marc qui nous souhaita bonne chance et bonne route. Timadeuc fut réellement une bonne expérience qui nous invita à remettre en question notre jugement sur la religion. Nous la croyons toujours bercée dans la plus absurde des soupes pour ignorants mais, toutefois, nous devons admettre que de telles communautés sont nécessaires à la ressource et que, spirituellement, elles restent une ancre indispensable à beaucoup d’égarés qui ne demandent rien de plus que ce qu’on y côtoie ici : silence, respect, fraternité, sincérité et toujours une pensée réconfortante accompagnée d’un sourire chaleureux.


10 novembre 2005

Josselin (Armorique, France), 9h26.

Rotonde. Inutile de préciser que ce bar-tabac n’a rien à voir avec son éponyme en Pays d’Aix ; son patron est aussi froid que l’air de ce matin et le verre d’eau servi avec le café doit faire 10cl, de quoi contenter un moineau, et encore ! Josselin, petite cité de caractère morte où nous occupâmes la journée dernière à une beuverie singulière. Tôt le matin, après une nuit passée sous le lavoir au pied du château, nous décidâmes de trouver un cybercafé ; peine perdue. Alors nous rendîmes-nous au bar, pour changer, le Triskel, y prendre un café. Nous sortîmes notre paquet de tabac, notre téléphone, notre livre (Lautréamont achevé que nous ne réussîmes pas encore à remplacer), notre plume et une feuille ; nous nous installâmes pour la matinée. Nous allions pour écrire le récit manquant et nos impressions depuis mardi quand un homme passa près de notre table et vit la reliure.

L’homme . C’est quoi que tu lis là ?
Nous . Les chants de Maldoror, du comte de Lautréamont.
L’homme . Un comte ?
Nous . Un poète… Un poète maudit !
L’homme . Maudit ?!

Il cacha une appréhension et une curiosité certaines car notre réponse avait interpellé sa pensée chrétienne. Il cherchait visiblement à engager la conversation et nous l’invitâmes à notre table. Nous parlâmes de foi et d’un peu de tout. Il s’appelait Yann, était SDF et se promenait avec un cabas bleu rayé. Mince de corps, la barbe abondante, le visage creusé par la faim et l’effort, la foi probablement très imbibée, il est une des personnes les plus humaines que nous ayons rencontrées depuis notre départ. Son discours manquait de cohérence, c’est évident, mais cela le rendit à nos yeux d’or plus intéressant. Nous restâmes à cette table pendant quatre heures environ. Il nous invita alors à changer de bar, ne comptant pas sa générosité. Déjà trois bières et trois rhums dans le gosier pour notre part, nous le suivîmes sans resquiller, évidemment… Nous trouvâmes un pub, le Notre Dame’s, en plein centre-ville. Nous nous assîmes et rencontrâmes un jeune présent, Nicolas, qui se joignit à nous. Une autre bière et un rhum passèrent et Nicolas nous proposa un billard. Yann était déjà presque mort – il nous suivit en chancelant, beaucoup. Nous perdîmes la partie en trois manches sur le fil.
Nous arrêtons ici ce récit pour le moment car nous devons réveiller notre verve sure refroidie ces derniers jours pour écrire la suite, plus tard.

Saint-Gobrien (Armorique, France), 12h23.

Torse nu au bord du canal de Nantes à Brest un 10 novembre ! Voudrais-tu nous croire qu’il faudrait nous y voir… Nous profitons de ces quelques rayons de chaleur gratifiés, comme pour récompenser notre nuit et notre marche de ce matin dans le très froid, pour nous attabler un instant et bronzer, autant que faire se peut. Cela ne durera pas, nous voyons déjà au (pas si) loin un lit nuageux. Sous le pont, derrière les arcades, deux chevaux broutent une herbe verte, laquelle nous fait repenser que l’époque et la région sont propices au ramassage de psylos, ces petits champignons hallucinogènes qui poussent dans les champs de vaches ou de chèvres et qui font, n’arrête-t-on pas de nous dire ici, des miracles. Il nous faudra absolument tester cette saveur locale !
Lorsqu’il s’avéra hier soir que Yann ne tiendrait pas un verre de plus, nous laissâmes nos sacs au pub pour le guider et l’aider à trouver un abri pour la nuit. Serge, le sympathique monsieur du Relais de l’Oust qui nous avait conduit depuis l’hôtel à Josselin la nuit d’avant, sous un orage aussi violent que passager, nous avait parlé et indiqué le chemin d’une retraite de frères. Nous pensions y trouver cet abri recherché et y allâmes, non sans de multiples arrêts. La chapelle ou l’église, nous ne sommes pas sûr, était close alors nous enquîmes-nous auprès de la maison de retraite directement. Fermée également, nous entrâmes quand même par la porte de la cuisine restée ouverte, elle. Les retraités étaient en train de manger et ne semblaient pas vouloir le moins du monde s’intéresser à la misère et au besoin qui frappaient à leur porte depuis cinq minutes. Qu’à cela ne tienne, nous n’allions pas nous laisser emmerder par des ventres pleins et décidément bien égoïstes. Il devait bien y avoir, sinon une chambre libre, un abri disponible pour notre ami du soir. Nous ne pouvions le laisser passer la nuit dehors dans son état et par ce froid. Nous croisâmes donc quelqu’un de charmant qui appela pour nous un responsable. Il vint, nous reçut avec la plus abjecte des froideurs et nous empressa de partir.

L’abject personnage . Ne jouez pas à ça avec moi !

Il claqua la porte lâchement, entouré de deux balèzes imbéciles. Yann n’était plus devant la porte, seul son sac l’attendait. Nous nous inquiétâmes, oubliant même d’envoyer une répartie bien sentie à ce symbole d’individualisme qui, une minute plus tard, rouvrit la porte, furieux, tenant un Yann ambulant par le col. Nous lui avions demandé de nous attendre devant mais il nous avait suivi et avait été surpris. Il fut éjecté du pallier – le mot est aussi juste que le geste –, le coup de pied au cul retenu sans doute par quelque considération restant là, bien cachée, et ils lui dirent de ne plus remettre le pied ici sous peine de poursuite.

Ploërmel (Armorique, France), 17h04.

Le temps était peu stable et aucun abri ne se présentait à notre alentour alors marchâmes-nous en longeant le canal puis nous perdîmes dans la forêt pour finalement arriver voilà un quart d’heure environ à Ploërmel. Ce n’était pas du tout prévu puisque nous essayons d’éviter les grands bourgs mais bon… Revenons-en à notre histoire !
En sortant de l’enceinte de cette maison de retraite pour ventripotents, nous avions vraiment les boules. Yann voulait quant à lui tout casser et nous dûmes apaiser sa fausse colère d’alcoolique énervé en lui proposant de nous attendre au pied du château, le temps de récupérer notre sac au pub où nous recroisâmes Nicolas qui nous invita à une dernière roulée et une partie de baise ; nous acceptâmes pour le quart d’heure d’après, histoire de manger un peu avec Yann qui nous attendait devant la fontaine. Nous le laissâmes ensuite, pensant le retrouver sous le lavoir mais il était parti à notre retour. Nos chemins se séparèrent à cet instant et pendant que nous essayions de nous endormir dans le froid, nous nous surprîmes à demander à Dieu – auquel nous ne sommes pas fidèle mais Yann si – de veiller sur lui cette nuit. Peut-être aurions-nous dû rester avec lui plutôt que rejoindre Nicolas mais maintenant que nous y pensons, nous croyons avoir fait le bon choix. Il n’était pas clair, carrément imbibé en fait, mais il avait fait le sien.
Nous sommes en train de regarder tous ces joueurs qui claquent leur fric devant les courses hippiques en lisant les pronostics sur trois journaux différents ou encore ceux à notre gauche qui tapent les cartes. Les courses sont superbes, il n’y a rien à dire, les chevaux surtout, mais nous préférons nos drogues ; elles ne nous déçoivent jamais, elles, et nous apportent bien plus. Nous n’avons pas trouvé – pas vraiment cherché non plus ! – de psylos sur notre chemin. Nous crûmes en reconnaître entre crottes de chèvres et feuilles mortes un moment mais dans le doute, nous les y laissâmes. De toute manière, les faire sécher avec ce temps n’est pas pensable. Nous aimerions retrouver le halage demain ; son paysage, ses hérons cendrés qui raviraient André, notre beau-père, les pêcheurs bonasses, les peupliers qui bordent le canal, ses écluses décorées si typiques, la tranquillité de l’écoulement nous manquent déjà… La ville nous paraît souillée ; elle pue ! Pense, Fidèle, que nous allons devoir y trouver un abri, y dormir et tu comprendras notre dégoût. Le lampadaire remplace le peuplier ; la route grouillante, le canal paisible ; la voiture, le cheval ; le joueur obnubilé, le promeneur pensif ; le stress, la quiétude de l’esprit ; l’odeur de chiottes sales, celle de la terre humide et de la pluie. Tout cela n’est guère nouveau mais pardonne le citadin que nous sommes qui le découvre…

19h21.

La Forge à Miston, voilà un bar qui nous convient davantage. Pour le coup, nous commandâmes une Beamish, bière découverte hier soir à Josselin. Nous ne tenons même plus les comptes ; nous les savons catastrophiques. Ainsi nous en remettons-nous à demain… Nous nous renseignâmes également un peu auprès des deux barmen, Gilles et David, pour savoir où nous pouvions trouver un abri ; peu encourageant ! L’espace est encore vide, le bois recouvre tout, c’est chaleureux ; la musique est éclectique : One night in Bangkok par Vinyllshakerz suivi d’un Dancing Queen remixé ; parfait ! Ce serait gay que nous ne serions pas étonné… Ploërmel reste quand même une ville relativement morte. Il n’y a personne, c’est incroyable ! S’ils se préparent à recevoir du monde ce soir, ils ont de l’espoir… Trois jeunes (charmants) passent devant la vitrine mais ne s’arrêtent pas, hélas ! Nous sentons, et là pour le coup avons-nous peur de ne pas trop nous avancer, que nous allons passer une soirée et une nuit de merde. Et puis, Diable !, nous sommes à la table la plus éclairée, cela devrait attirer du monde, on ne voit qu’elle depuis l’extérieur ; et bien non, même pas ! Notre aura dut se noyer hier… Nous manquons cruellement d’inspiration, la fatigue sans doute. Arrêtons-nous là ce soir.


13 novembre 2005

Redon (Armorique, France), 14h12.

Bientôt trois semaines que nous vagabondons dans le Morbihan sans réelle intention d’aller quelque part et nous n’avons toujours pas trouvé ne serait-ce qu’un boulot pour nous faire un peu de fric. Nous prostituer était plus facile ! Nous admettons ne pas avoir vraiment questionné les gens à ce sujet et quand bien même l’aurions-nous voulu, on n’en rencontre pas tellement de clients potentiels sur le canal de Nantes à Brest que nous suivîmes jusques ici. Nous sommes dimanche, tout est fermé et nous ne savons pas où aller. Nos chausses sont défoncées (elle l’étaient déjà à Quiberon), il reste trente euros dans notre bourse, le froid montre finalement son bras glacé sur l’Armorique, nous n’avons plus rien de transcendant ni à fumer hormis notre paquet de Drum, ni à boire, ni à lire, nous n’avons pas pris de douche depuis Timadeuc et depuis Timadeuc nous passons nos nuits dans le froid à essayer de trouver une position plus chaude que les autres qui, nous te le donnons en mille, Fidèle, n’existe pas. Bref, tout va bien… Ainsi à Ploërmel ne fîmes-nous que passer. Nous voulions assister au concert de Rock à l’Anti-Virus – c’était sur notre chemin – mais cinq euros, en ce moment, nous nourrissent. Nous suivîmes donc la quat’ voies, puis les petites routes jusques à Montertelot. Il y avait également une soirée bien sympathique à L’Escale, de la musique bretonne, des chants, de la bonne humeur mais le bar du petit bourg était bondé d’habitués et nous ne voulions pas nous incruster. Nous aurions peut-être dû mais nous nous résignâmes à nous asseoir devant et manger quelques pommes avant de repartir par le chemin de halage. Nous trouvâmes à Roc-Saint-André un oratoire vouée à la Vierge, petite grotte ouverte abritée de la pluie. Nous nous installâmes derrière l’autel et y dormîmes, dans le froid toujours mais au sec. Nous nous réveillâmes au matin, des idées de dualité parfaite perdue que nous traînons avec mal plein la tête. Elles s’accrochèrent à nous jusques au soir, mouillant nos yeux d’or de temps à autres. Nous n’y pouvions rien alors marchâmes-nous bêtement la tête basse. Elles nous ralentirent autant qu’elles nous peinèrent et nous dûmes faire halte plusieurs fois : à Saint-Congard pour une blonde, à Saint-Martin pour la nuit, à Peillac pour nous ravitailler dans un Vival et cette nuit au sec sous un abri de l’écluse numéro 19 de la Mâclais. La vallée de l’Oust est superbe, doit l’être en fait car la conviction faible, nous n’y prêtâmes pas tellement attention. Nous y passâmes sans nous apercevoir de la chance que nous avions. Nous attendons là notre train. Nous voulons rester en Armorique, encore quelque temps, avant de redescendre au château pour les fêtes mais nous nous disons qu’à Paris, même si la vie y est chère, nous aurions plus de chance de gagner un peu de fric. Dans tous les cas, nous prenons le TGV pour Rennes / Paris – l’amende qui va avec – et nous verrons dedans où nous descendrons. Le problème est que nous ne savons rien faire de particulier, n’avons aucun talent à exploiter. Nous ne pouvons pas, par exemple, dessiner des portraits et les vendre dans la rue ou jouer de la guitare sur les quais de Seine. Nous pouvons écrire une ode à la nicotine ou un pamphlet sur le milieu homo en quelques minutes mais personne n’achète cela… Nous n’allons pas enfin la jouer Jésus ou Bouddha en parcourant les villages avec notre bonne parole. Alors quoi ? Nous sommes baisé ! Nous notons depuis notre départ que nous sommes plus proche de la mentalité des jeunes Parisiens ou Bretons que de ceux du Sud. Ici, on ne joue pas à être, on est ; voilà toute la différence ! En revanche, ce n’est pas ici que nous croiserons un autre mec au teint mat et à la mèche ténébreuse sur une voie de gare… Ici, les mecs que nous croisons sont vides d’intérêt pour nous. Il fait également un froid pénétrant difficilement supportable pour le vagabond mal équipé que nous sommes. La pluie menace en permanence, mettant à l’épreuve notre moral. Pour le peu de gens qui prennent de nos nouvelles, nous allons bien mais dans le fond, nous marchons pour oublier mélancolie et vagues de l’âme. Comme nous l’écrivîmes au début de ce carnet, nous fuyons l’ennui. Cela ne fonctionne qu’à moitié en fait et nous avons l’impression de ne trouver notre inspiration que dans la tristesse. Nous voulions placer ces écrits sous le signe de l’espoir, du positivisme mais nous n’y parvenons pas. Lorsque nous montons trop haut, il y a toujours cette petite pensée fine, insidieuse, qui nous tombe dessus et nous fait choir, comme si nous DEVIONS faire du malaise notre seul véritable compagnon. Toute notre bonne volonté ne suffit pas à l’étaler d’un K.O. une fois pour toutes. « Dite non à la drogue ! », scande l’inculte flipper. Comme nous aimerions pouvoir le dire, au moins en aurions-nous sous la main… Passons. Une dernière roulée et notre TGV sera là.

Rennes (Armorique, France), 17h32.

Pas d’amende en fin de compte. Les contrôleurs ne manquaient pas pourtant ; ils étaient deux et cela ne joua pas en leur faveur. Le TGV était chargé et nous dûmes rester debout dans un sas entre deux wagons. Les deux contrôleurs se croisèrent au premier, l’un passa en pensant que l’autre nous contrôlerait, ce qu’il fit sans le faire.

Le contrôleur . Bonjour ! Apparemment, vous avez déjà été contrôlés !
Nous, sortant notre billet-alibi que nous traînons depuis Monaco . Oui, oui !
Le contrôleur . Laissez, laissez.

La pluie s’annonçant à , nous entrâmes au Surcouf, le premier café venu. Il y a beaucoup de monde, personne pour nous indiquer un abri par contre. Nous n’allons sans doute pas dormir cettRennese nuit. D’ailleurs, où irions-nous ? Sous un abribus ? À la gare ? Dans un hall quelconque ? Non ! Nous ne pensons pas y être aussi tranquille qu’à la campagne. Nous préférons marcher et risquer la sauce que nous poser n’importe où et attirer à nous tous les clodos beurrés du coin. Nous pûmes dans les sanitaires du TGV faire une toilette sommaire. C’était folklorique, pas moins, mais là n’avons-nous rien de mieux. Nous n’avons pas faim, plus vraiment sommeil (à force de ne pas dormir, nous prîmes le rythme), nous avons juste envie d’une douche, d’un canapé, d’une énorme couette bien chaude et d’un film sur un écran – des besoins hyper matériels auxquels nous ajouterions aussi un mec. Il en faut aussi de temps en temps, on ne peut pas s’en passer une fois qu’on les connaît… Nous n’aimons pas ce café, ne savons pas pourquoi. Les gens de passage ne nous intéressent pas puisqu’ils vont prendre le train. Quant aux autres, ils ne nous inspirent guère confiance. Entre le mec qui ne tient plus debout (il vient de se casser la gueule dans la marche et le patron essaye de le virer), le lecteur peu loquace de fond de salle, les piliers de bar, nos voisins dont le vocable du désert nous est inconnu, la serveuse over-pressée et les quelques autres, nous sommes perdu et n’y avons pas notre place. Arf, tu sais ce qu’on dit, Fidèle : « Quand tu n’as pas ta place quelque part, va-t-en donc voir ailleurs ! » Conseil écrit, conseil suivi…


14 novembre 2005

Le Rheu (Armorique, France), 7h37.

Nous entrâmes il y a quelques instants dans la ville, accueilli par un cimetière. C’est cela où un bar de toute manière, nous en avons l’habitude même si nous préférerions un cirque ou un jeune et beau ténébreux ! Nous poussâmes la porte du premier bar trouvé, près de l’église.

Le premier prolo . Bon, on va aller travailler ! Faut ben payer les r’traites, hein !
Le second prolo . Qu’on aura mêm’ pô !

Et tous de rire. Où sommes-nous encore tombé, sérieux ?! Enfin, c’est toujours mieux qu’hier, laisse-nous te raconter, Fidèle.
Nous allâmes donc après le Surcouf voir ailleurs, longeâmes le canal, fûmes attiré par quelque beau bâtiment illuminé et tombâmes sur, mais oui mais oui, une église, Saint-Germain de son petit nom. Elle s’élevait, majestueuse, puissante, glorieuse et régnante ; nous eûmes l’envie soudaine de nous y engouffrer, le père machin ayant réuni foule. Nous fîmes signe d’allégeance et nous posâmes sur la droite, sous une colonne. Une fille était assise dans un recoin derrière la statue, comme elle l’aurait été probablement dans un hall de fac, le camp d’un festival alter mondialiste, une réunion de MJC… Nos images ne te parlent peut-être pas, Fidèle ; désolé, nous n’avons qu’elles ! Retiens juste qu’elle nous fit bonne impression, sa foi semblait profonde et sincère. Nous étions arrivé un peu en retard et le père avait commencé son homélie. Il faisait l’éloge de la générosité, de la miséricorde, du partage et fendait l’hypocrisie d’un pieux verbiage. Il parla bien, pas pour ne rien dire. Il séduisit l’assemblée venue l’écouter qui répondit par ses chants et ses prières, un peu pour elle-même aussi. L’office achevée, il rappela aux fidèles les différentes manifestations à venir, comme par exemple dimanche prochain le quatre-vingt-quatorzième anniversaire d’un père célébré à la cathédrale par le diocèse pour lui rendre hommage ; rien de bien exceptionnel mais rien de condamnable non plus évidemment. Nous attendîmes que tout le monde fût sorti pour lui parler. Une femme nous aborda pour nous demander si nous étions pèlerin (nous en avons le look, un peu plus depuis que nous nous taillâmes un bâton de marche à l’écluse de la Mâclais), d’où nous venions, etc. Un autre nous demanda si nous étions compagnon, d’autres nous sourirent spontanément en voyant notre allure toujours. Bref, nous nous sentions bien et pensions naïvement avoir trouvé là une communauté bienfaisante. Nous sortîmes et nous tînmes sur le parvis, le temps que le père terminât ses conversations de bonne entente avec ses clients les bienheureux de sa paroisse. Une famille vint lui parler des sujets habituels et il nous rejoignit enfin. Nous pûmes lui demander s’il connaissait à Rennes un orphelinat où nous pouvions apporter notre aide en tant que bénévole, le cas échéant contre gîte et couvert. Il n’en connaissait pas, déplorait que les foyers d’accueil municipaux aient remplacés les œuvres des bonnes sœurs, ne nous apporta finalement aucune réponse, détournant l’épineux problème de son désintérêt sur notre périple. Cet entretien sur pavé ne dura que quelques minutes durant lesquelles nous pûmes admirer avec désolation combien il était facile de sermonner le peuple et combien il était arrangeant de s’asseoir sur son sermon après, l’esprit tranquille. Ah ! pour annoncer en fin du Notre Père que ce soir le panier va à la paroisse et envoyer trois crédules passer dans les rangs avec ; pour embrasser son écharpe devant tout le monde avant de soigneusement la plier, elle qui a grassement rempli son rôle de gagne-pain ; pour entretenir le creuset formé par les étudiants catholiques et leur famille, les faux bien-pensants qui viennent à la messe extérieurement propres comme un calice éclatant mais le caleçon plein de foutre ; là, il y a du monde ! Là, on crie : « Quelle œuvre sainte, pie et méritoire ! », formule lourde de sens pour celles et ceux qui connaissent les abominations qu’elle couvre trop souvent ! Et puis, cette petite vieille en sortant de l’église qui distribue la pièce du pauvre avec le sourire : « Tenez, tenez ! Vous aussi, tenez ! », qui ne voit que des mains mendiantes, plus les personnes qu’il y a derrière, ne croit-elle pas accomplir là la volonté du Seigneur ? Comment pourrait-il en être autrement en ayant assisté à tel fourvoiement juste avant ! Elle se dit : « J’ai fait le bien ! », aura la conscience saine et mourra heureuse. Sur sa pierre froide, le pasteur clamera ces mots : « Elle fut bonne et nous la regretterons tous. Que Dieu l’accueille dans son paradis, blablabla ! » Nous, nous lui disons : « Mais regarde-toi donc, petite vieille ! Tu n’accomplis rien, tu viens juste baigner ta conscience et ton cul sales dans une eau mille fois bénite pour dix mille fois souillée. Je te plains mais je n’ai pas pitié de toi. Allez, prostitue-toi car ce fut, cela aussi, jadis, saint, pie et méritoire ! » Nous ne pensions pas retrouver de catho-catins si tôt ; nous fûmes surpris, déçu même. Désormais, nous nous méfierons encore davantage. Si nous sommes loin de marcher sur la voie du Seigneur, de penser par Lui et pour Lui, nous le revendiquons au contraire. Nous préférons, puisqu’il le faut, être pute et soigner les enfants qu’être prêtre et prostituer ce en quoi nous croyons. Qu’on ne nous sermonne plus jamais sur l’hypocrisie dans une église que nous trouverons cohérente lorsqu’elle en fera l’éloge 
Il était environ 19 heures et nous ne savions pas où aller. Notre première impression de Rennes que nous croyions sympathique n’étant nous l’espérions qu’un mauvais exemple, nous décidâmes de nous payer une bière dans un café tout proche. Il nous faudrait en retrouver le nom car il était fort agréable et la musique reggae, downtempo, jazz & blues nous fit oublier notre récente claque. Nous voulions y rester un moment mais il ferma vers 20 heures. Se posait alors à nous le choix de la direction : rester à Rennes et retenter notre chance le lendemain ou poursuivre. Nous continuâmes jusques au stade rennais FC où nous passâmes la nuit à son pied, près de la Vilaine. À 5h30, nous étions parti et nous voici ici, au Rheu. Nous nous dirigeons toujours vers le pays de Brocéliande – Viviane et Merlin, dans leur lutte interminable, nous accorderont peut-être, eux, plus de crédit.


15 novembre 2005

Iffendic (Armorique, France), 12h54.

Nous passâmes la nuit dernière dans la « halte au passant » de Montfort-sur-Meu. Nous ne connaissions pas mais, à la mairie, on nous indiqua qu’en échange de notre ID, nous pouvions y loger pour la nuit. Nous souhaitions juste un abri, nous pûmes même prendre une douche ; ô joie ! Six jours que nous l’attendions, celle-là ! Même si par ce froid il est difficile, voire quasi-impossible, de suer à grosses gouttes, nous en avions besoin. Nous ne pouvons nous contenter d’une toilette sommaire de temps en temps sur une fontaine, dans un cours d’eau ou un TGV. C’est loin de suffire, tu t’en doutes, Fidèle ! Le petit studio prévu pour le passant est situé au-dessus des Restaurants du Cœur (fermés jusques en décembre), à côté du centre de secours. Il ne nous fallut que quelques minutes pour nous y rendre depuis la mairie ; il était environ 16h30. Quelques marches dissimulées et une porte basse plus loin, nous découvrîmes une petite pièce meublée d’un lit d’hôpital, une table, un réchaud, une petite commode et une salle d’eau derrière un rideau cramoisi avec une douche, un lavabo, un bidet hors d’usage, un vestiaire. Le tout était propre, chauffé, récupéré mais fonctionnel. Nous nous installâmes, mîmes notre téléphone portable à charger et nous assîmes sous une douche bouillante pendant près d’un quart d’heure. Quel bonheur ! Ensuite, nous fîmes le tour des placards et trouvâmes trois boites de conserve ainsi qu’un livre oublié sans doute dans le vestiaire. Nous le déposerons ailleurs une fois lu – un livre doit voyager également. Nous en trouvâmes un autre (trop catho pour nous), le laissâmes sans honte, mangeâmes, lûmes quelques pages et sombrâmes. À 9 heures, nous allâmes rendre la clef et récupérer notre ID, passâmes au Super U acheter trois conneries, et prîmes la route d’Iffendic où nous sommes actuellement. Voilà un récit bien chronique mais, franchement, nous manquons d’inspiration en ce moment.


16 novembre 2005

Saint-Gonlay (Armorique, France), 11h17.

Bienvenue en Armorique hyper profonde ! Comme on nous le dit déjà : « Faut l’vouloir pour s’r’trouver à Iffendic, hein ! » En effet, il le faut et quand nous leur répondîmes que c’était sur notre chemin, ils ne semblèrent guère convaincus et se demandèrent si nous venions d’Uranus ou d’ailleurs. Alors qu’un pulmonaire fait son entrée dans le seul bar-tabac du bourg en toussant comme un mort, clope au bec, et commande son demi qu’il siffle d’un trait, laisse-nous, Fidèle, te parler du renouveau charismatique !
Hier, aux Mille et Une Raisons, le bar d’Iffendic où nous passâmes près de deux heures, le patron nous parla de la communauté des Béatitudes, un château sur notre route où nous pouvions, peut-être, trouver du boulot, sinon le gîte pour la nuit. Nous nous y rendîmes ; ce n’était pas loin, ce qui nous arrangeait car il faisait froid et que nous n’avions pas le cœur à beaucoup marcher. De Montfort à la maison Marie-Médiatrice-de-Toute-Grâce, il y a quelques sept ou huit kilomètres, bien suffisants pour ce jour. Nous sonnâmes tout d’abord à la conciergerie. Une femme nous ouvrit avec le sourire et nous indiqua le château de la Chasse, plus bas, en nous précisant que le père responsable s’était absenté pour la semaine, qu’il serait difficile d’être accueilli mais qu’il fallait quand même essayer. Nous tombâmes sur Féliqué, son remplaçant provisoire qui nous proposa l’hébergement pour la nuit et le repas, tout en s’attardant un peu, pour ce premier entretien, sur nos convictions, notre foi, notre démarche spirituelle.

Nous . Vous savez, moi je suis un marcheur, un vagabond. Je ne cherche pas mon chemin, juste des personnes sincères, des petits boulots ici et là pour continuer. Je ne m’attarde nulle part, j’aime découvrir !

Ce concentré d’informations le laissa perplexe, évidemment, et il nous expliqua le fonctionnement de leur communauté vouée à l’adoration de la Vierge. Nous ne fîmes rien, sourîmes et il nous montra notre chambre pour la nuit : deux lits, des vieilles couvertures, pas de draps, une moquette usée, une salle d’eau spartiate, un espace froid mais toujours préférable à l’abribus. Il nous invita aussi à la salle à manger où l’on nous servit des tomates, de la purée et de la viande blanche. Nous avions déjà dîné en chemin mais nous le lui cachâmes – un repas quand on est sur la route ne se refuse pas ! Nous lui demandâmes ensuite si nous pouvions faire quelque chose en échange de leur hospitalité et, dans l’après-midi, il nous proposa de balayer un peu, n’ayant rien d’autre en tête. « Parfait ! », lui dîmes-nous avant de nous en occuper jusques aux vêpres à 18 heures, auxquelles nous assistâmes de bon cœur, dans une salle du château transformée en modeste chapelle, pensant y retrouver l’esprit de Timadeuc. Nous nous trompions et fûmes surpris, encore ! Nous avions déjà parlé avec quelques membres de la communauté au repas et dans les couloirs ou le hall du rez-de-chaussée, notamment Agnès, Sophie, Marie ou Philippe, et nous perçûmes déjà que nous étions tombé chez des cathos très spéciaux, mais pas à ce point… Lors des vêpres, nous eûmes la confirmation de nos soupçons : mais où Diable avions-nous encore échoué ?! Nous entrâmes dans la chapelle par l’extérieur, nous signâmes de la croix, nous assîmes. Gérard, un père nous dîmes-nous puisqu’il portait la robe, se tenait devant un pupitre ; Marie était recouverte d’un châle et tenait la chorale ; quelques fidèles étaient déjà présents, en position de recueillement. Jusque là et alors même pendant les chants et lectures, cela nous parut tout à fait normal, bien qu’enfantin. Vinrent les prières. Là, tous se mirent à émettre des vocalises personnelles et nous nous retrouvâmes dans un sain brouhaha, assez crédible mais très surprenant. « Prions le Seigneur ! » Nous retînmes un pouffement qui voulu sortir de nous et leur clamer à la face : « Vous priez comme des illuminés, convaincus et tellement naïfs ! »

Le premier illuminé . Oui Seigneur, nous T’aimons, Te servons, oh Seigneur ! Nous T’aimons ! Dévoile-nous Ta face, oh Seigneur ! Merci, Seigneur ! Merci pour la joie que Tu portes à mon cœur. Oh oui Seigneur !

Nous voulions lui demander si sa fornication allait durer longtemps mais nous retînmes. Une autre continua, hésitant un instant à couper l’inspiration venante d’une autre encore.

La seconde illuminée . Heu… Oui, Seigneur, Tu es parmi nous, nous T’aimons, Te servons de notre cœur. Heu… Seigneur, béni sois-Tu, Seigneur !

Etc., etc., etc. Tous ajoutèrent leurs graines, prières et remerciements à Celui Qui Tarde À Venir. C’était donc cela le renouveau charismatique, une incroyable comédie issue des mouvements spirituels d’après-guerre, des louanges et adorations futiles et, donc, théâtralisées dans une foi aveugle. Sans condamnation, nous n’avons que ce jugement tout personnel à donner. Une chose devint alors sûre : nous venions de trouver plus paumé que nous dans ce château ! Nous n’en fîmes évidemment part à personne, témoignant simplement de notre surprise pendant le dîner où nous n’étions que huit et à Marie en privé juste avant.

Nous . Je ne m’attendais pas du tout à cela… Ça change de tout ce que j’ai déjà vu, tu sais !

C’est là qu’elle nous parla de sa foi, nous en expliquant les tenants et aboutissants, et nous apparût profondément sincère. Nous assistâmes également aux complies, les premières célébrées chez eux depuis quelques années. Cela se voyait ! Autant pour les vêpres crûmes-nous nous trouver au beau milieu d’une pièce d’école mal financée, autant pour les complies en fûmes-nous certain. Nous parlâmes un moment avec Marie devant un thé, avant d’aller nous coucher, de notre expérience, de la religion, de ce qui finalement faisait leur vie du matin au soir. Nous dormîmes bien sans être dérangé ni par d’étranges réflexions sur ce que nous venions de voir, ni par aucun bruit extérieur. Nous retînmes la leçon toutefois et ne participâmes pas aux laudes ce matin mais, par simple curiosité, nous suivîmes le groupe jusques à Montfort pour l’eucharistie. Nous pensions entrer dans l’église, et bien non ! Nous nous introduisîmes dans la maison où naquit saint Louis-Marie Grignon-de-Montfort en 1673. La demeure est jolie, bien installée, les boiseries magnifiques, le lieu consacré. La messe débuta lorsque nous arrivâmes, célébrée par un père que nous n’avions jamais vu auparavant, derrière un autel au centre, entouré de chaises et de bancs en bois. Nous nous assîmes sur un banc à droite et suivîmes le tout avec une certaine gêne. Nous nous imaginions le passant derrière la petite vitre portant un œil à la scène. Ils avaient l’air de conspirateurs, d’une secte… De retour au château, nous petit-déjeunâmes en silence ou presque, fîmes la vaisselle et nous octroyâmes une petite entrevue avec Philippe, histoire d’agrémenter notre observation d’une conclusion cinglante. Et cinglante, elle le fut ! Il commença par nous demander, comme l’avait fait Féliqué, nos motivations, notre recherche, notre direction spirituelle. Nous choisîmes de jouer l’indécision, presque le je-m’en-foutisme afin de libérer ses conseils et opinions sur le sujet. Il nous parla de sa foi engagée, de la communauté, de sa valeur et de son utilité. Nous en vînmes aux paroles du pape Jean-Paul II, de la fidélité, du préservatif, etc. Évidemment, notre point de vue divergea nettement à partir de là. Nous acceptâmes le sien cependant. Le nôtre étant manifestement plus révolté, il nous parla de tolérance, précisément là où nous voulions le mener. Nous tirâmes une ficelle de véhémence pour voir sa réaction.

Nous . Non, je suis désolé, je ne pardonne pas à ces femmes qui mettent au monde des enfants sidéens ; je les ai vu, j’ai vécu avec eux, je les ai soignés, ils sont perdus de naissance ! Je ne pardonne pas à ces hommes qui violent d’autres enfants encore et leur transmettent ce mal pourri, eux qui sont si innocents ! Je n’ai aucune pitié pour le condamné qui a commis ces actes ! Ces gens-là me dégoûtent alors, non !, pour ceux-là n’ai-je aucune tolérance !

Il accepta notre point de vue sans le discuter, nous parla de sa jeunesse, du fait que nous n’avions pas encore demandé au Seigneur de nous parler. Nous rîmes intérieurement. Lui aussi nous parla de notre regard, de notre visage sur lequel il lisait la bonté, la générosité, nous dit-il. Il ajouta qu’en nous, nous avions déjà cette vérité divine. Nous prîmes le compliment comme il vint et nous retînmes du lui jeter à la face qu’il ne fallait JAMAIS nous parler de Vérité ! Nous continuâmes sur d’autres choses – nous tissâmes notre filet – dont une qui amène notre conclusion.

Philippe . Cette Vérité qu’il faut demander au Seigneur, tu vois, c’est important ! Sinon, par exemple, un enfant va finir homosexuel parce qu’on lui aura pas dit cette Vérité.

La fin fut courte, il venait de se discréditer.

Nous . Personnellement, je ne vois pas le mal !

Et là, il conclut avec le sourire débile de celui qui ne veut pas engager le débat car il sait que la tolérance qu’il prône, lui-même ne sait pas l’appliquer.

Philippe . On va arrêter là, hein, je te souhaite bon voyage !

Nous sourîmes et le laissâmes à son chemin-de-piété-mon-cul. De l’autre côté, Marie nous préparait un casse-croûte pour le midi. Nous allâmes faire notre sac et revînmes à la cuisine. Nous y croisâmes à nouveau Philippe. Nous essayâmes une dernière question quand ils nous donnèrent une documentation sur leur communauté – que nous omîmes là-bas d’ailleurs – et les adresses d’autres maisons dans le monde.

Nous . Vous vous sentez proches des Évangélistes ?

Philippe se proposa, croix devant pour ainsi dire, de nous répondre.

Philippe . Oui, je crois qu’on peut dire ça, hein Marie ?

Elle se contenta d’un : « Hum hum ! » Tout était dit en effet… Une dernière chose toutefois, qui vient du verso de la photo du frère Charles de Jésus que Marie nous remit avec la documentation que nous gardâmes.

« Mon Père, je m’abandonne à Toi.
« Fais de moi ce qu’il Te plaira.
« Quoi que Tu fasses de moi,
« je Te remercie.
« Je suis prêt à tout,
« j’accepte tout.
« Pourvu que Ta volonté se fasse en moi,
« en toutes Tes créatures,
« je ne désire rien d’autre, mon Dieu.
« Je remets mon âme entre Tes mains.
« Je Te la donne, mon Dieu,
« avec tout l’amour de mon cœur,
« parce que je T’aime,
« et que ce m’est un besoin d’amour
« de me donner,
« de me remettre entre Tes mains
« sans mesure,
« avec une infinie confiance,
« car Tu es mon Père. »

Nous lisons de semblables paroles sur les weblogues sadomasochistes que nous parcourons de temps en temps. Peut-être finalement ne sommes-nous pas si éloignés de Dieu que nous voulons bien le croire…


17 novembre 2005

Paimpont (Armorique, France), 14h26.

Nous sommes au cœur de la légende et les gens d’ici savent l’exploiter ! Notre blonde s’appelle Duchesse Anne, nous abusons sur l’épaisseur de notre roulée qui nous défonce et le côté médiéval du bourg qui borde l’étang et la forêt éponymes ne nous déplaît pas du tout.
Nous passâmes la nuit dernière au milieu des chevreuils. Tu ne peux imaginer, Fidèle, le bonheur de se coucher et se lever au bruit de broussailles folles qui volent sous les pattes d’animaux sauvages (à savoir en liberté, pas dangereux). Depuis Saint-Gonlay, nous continuâmes sur la route jusques aux étangs qui débutent un itinéraire pour le touriste avide de légende. Nous le suivîmes et fûmes terriblement déçu par la fontaine de Jouvence autant que par le tombeau de Merlin où la fée Viviane, dit-on, aurait enfermé l’enchanteur dans une prison d’air en traçant neuf cercles magiques autour de lui. Nous y vîmes surtout une pompe à fric sur laquelle les gens laissent des petits papiers entre les pierres à l’attention de Merlin. Nous laissâmes tomber ces contes pour un moment et entrâmes dans la forêt qui, elle, nous impressionna réellement. Elle est grande, entretenue mais pas trop, vivante. Ce fut notre bâton de marche qui, lancé en l’air, nous indiqua les sentiers à suivre une fois retombé. Nous comptions visiter le château de Comper mais il préféra nous faire descendre dans le marécage du Pas-du-Houx où nous conclûmes que nous n’irions pas plus loin. Le lieu, en cette fin de journée couverte, nous parut en effet propice à campement. Nous tendîmes donc notre bâche entre deux arbres, installâmes notre duvet et allâmes observer les environs, roulée au bec. Nous vîmes, pour la première fois de notre vie, cinq chevreuils et chevrotins réunis en ligne, venus sans doute se désaltérer au cours d’eau passant là. Il faisait presque nuit mais, pleine lune étant, nous y voyions suffisamment clair et eux pas assez pour nous discerner. Par-dessus tout exhalions-nous la nature, il ne pouvaient donc nous sentir. Les chasseurs tonnaient au loin de leur carabine tueuse mais ils ne semblaient pas non plus dérangés – le marécage doit être interdit à la chasse. Nous nous couchâmes, il faisait encore doux. Pendant la nuit, la pluie vint et notre petit campement tint bon ; nous nous rassurâmes et dormîmes jusques au matin, froid, très froid et humide matin.
Petite parenthèse pour signaler que six mecs (aucun baisable) entrèrent dans le bar voilà quelques minutes et ne trouvèrent qu’un « Bon ! » à se dire après un café au moment de partir ; tu vois, Fidèle, le genre de bled que nous fréquentons depuis trois semaines… Même Axel, le husky de la maison, nous fait plus d’effet avec ses beaux yeux clairs qui nous en rappellent d’autres, c’est pour dire !
Bref, au matin donc, nous étions frigorifié – l’herbe basse aussi – dans notre duvet. C’est un chevreuil qui, passant tranquillement à trois mètres de nous puis au galop en s’apercevant de notre campement provisoire, nous réveilla. Puisqu’il en était ainsi, nous nous levâmes, sortîmes une tablette de chocolat (il ne nous en reste que trois autres puis rien) et allâmes petit-déjeuner sur la lande marécageuse et glacée. Nous aperçûmes quatre autres chevreuils, au même endroit que la veille, qui ne firent que passer en direction de la forêt. Notre tablette finie, nous rangeâmes notre campement mouillé par la nuit. Le soleil fainéant montrait son nez au 110e alors que la pleine lune fêtarde allait se coucher au 320e. Nous en profitâmes pour nous réchauffer – peine perdue – avant de repartir pour Paimpont par la forêt toujours. Nous traversâmes le marécage pour l’autre rive et marchâmes jusques au château du Pas-du-Houx, au pied de l’étang. Nous voulûmes demander notre chemin, puisque nous n’étions pas sûr de savoir où nous étions tombé, mais il était lointain. Un autre figurant sur notre carte cependant se présentait de l’autre côté. Nous nous y rendîmes, magnifique, frappâmes à toutes les portes ; personne ! Tant pis, nous reprîmes le sentier balisé jaune et rouge jusques à la D71 et arrivâmes à Paimpont pour midi pile. Nous pensions y trouver une abbaye habitée par des sœurs mais nous trompions et comme nous n’aimons pas les presbytères, nous passâmes dans l’église sans demander de gîte pour la nuit, nous assîmes près de l’étang sur un muret devant la mairie, casse-croûtâmes un peu et profitâmes du soleil présent pour sécher. Nous étions bien, roulée au bec, tranquille, seul. À 14 heures, nous allâmes au syndicat d’initiative demander quelques renseignements et entrâmes dans ce bar, chaud. D’ailleurs, il est bientôt 16 heures. Nous ne vîmes pas le temps passer aujourd’hui et ne pourrons pas marcher longtemps avant la nuit.

Trécesson (Armorique, France), 18h48.

Nous ne savons par où commencer… Écrire sur notre incroyable bonne étoile ou simplement relater les faits comme il se doit dans un carnet. Osons l’imprudence et risquons-nous aux deux !
Alarmé par l’heure déjà avancée au bar de Paimpont, nous nous propulsâmes après une dernière gorgée ducale dans la direction que nous avait indiquée l’hôtesse du syndicat d’initiative : Campénéac. Nous ne pensâmes pas le chemin si long lorsque nous vîmes, alors que nous avions déjà parcouru ce que nous considérions comme une distance honorable, un panneau signalant le bourg à onze kilomètres ; nous forçâmes la patte en longeant la route, côté droit, espérant nous attirer la sympathie de quelque automobiliste peu pressé qui nous y aurait conduit. Une chance pour nous, il n’y en eut aucun. La nuit tombait, l’abbaye La-Joie-Notre-Dame était à trois kilomètres de Campénéac dont nous n’avions encore aucun signe et nous ne savions décidément pas où passer la nuit. Nous n’avions pour horizon que bord de route et bois sans intérêt. Il y eut aussi un moment cet abri de lavoir mais seule une biche, petite de surcroît, aurait pu s’en contenter si déjà elle en avait ressenti la nécessité. Il fallait se rendre à l’évidence : nous étions paumé, bien paumé ! Nous nous résolûmes donc à marcher jusques au bourg et à trouver là-bas un abri quelconque, sachant qu’il était trop tard pour déranger les sœurs. Par ailleurs, il n’était pas sûr que nous y trouvassions gîte et couvert étant donné, en plus de l’heure de notre venue pas du tout providentielle, que nous nous refusons à profiter de la charité sans échange de notre travail, lequel ne se trouve pas partout de nos jours, quand bien même nous le voudrions de tout cœur.
Couvrons-nous avant de continuer. Notre pull sent le foin, c’est un véritable bonheur pour notre pharyngite !
Nous marchions donc sur le bord de la route quand une voiture venante éclaira pour nous un panneau : « Château de Trécesson, XVe siècle », installé sur notre gauche. Nous nous dîmes qu’à défaut d’une chambre à l’intérieur – nous ne portons plus nos illusions aussi loin –, nous pouvions peut-être trouver un cabanon, ou dans le genre, sur son petit sentier forestier. Le château était fermé, nous continuâmes vers le bois, puis vers ce qui nous parut être un moulin mais rien, nous ne trouvâmes rien. Tant pis, va pour Campénéac ! Nous tournâmes talons et nuque et là, deux lueurs nous illuminèrent.

Notre pensée profonde . Louis, votre bonne étoile a besoin d’être éprouvée ! Demandez-donc à cette apparition qui s’est arrêtée pour ouvrir le portail s’il n’y a pas dans son grand château un petit hangar avec du foin, au mieux, où elle pourrait vous héberger pour la nuit froide qui vient.

Nous suivîmes le conseil de notre pensée profonde et nous approchâmes de la lumière. Nous y croisâmes une dame, relativement âgée, qui répondit à notre « Bonsoir ! » avec chaleur et sympathie.

Notre pensée profonde . Chic, voilà une apparition bien singulière, bien aimable !

Elle semblait en effet embarrassée pour nous, réfléchit un instant et se demanda où elle pouvait bien nous loger. Il y avait bien un hangar mais il y faisait un peu froid, nous confia-t-elle.

La Dame Blanche . Où comptiez-vous aller comme ça, par ce froid, seul et à cette heure-ci ?
Nous . Et bien, Madame, je comptais me rendre chez les sœurs mais je fus surpris par la nuit et il me semble être un peu tard pour les déranger.
La Dame Blanche . Je vois. Vous avez mangé ?
Nous . Ce midi, oui, à Paimpont.
La Dame Blanche . Je vais vous conduire à l’abbaye ; suivez-moi !

Elle entra dans une bâtisse de la cour et nous la suivîmes. Elle chercha son calepin dans le fouillis de la table de travail du petit salon puis le numéro de l’abbaye.

La Dame Blanche . Allo, sœur Solène ?… Bonsoir, sœur ! Ici Yolande… Oui, en effet, cela fait longtemps que je n’ai pas entendu votre voix, ni vue d’ailleurs… Dites-moi, j’ai là un charmant jeune homme qui cherche un logis pour la nuit… Je suis un peu embêtée, il comptait venir vous voir… Oui, ce n’est pas la place qui manque ici mais je dois m’absenter ; c’est pour dîner le pauvre homme… Ah ! vous ne pouvez pas le recevoir. Vous êtes complets… Très bien, sœur… Oui, oui, je comprends ! Je vais m’en accommoder… Bonne soirée, sœur… D’accord !

Elle devait en effet s’absenter jusques à 22-23 heures mais nous introduisit dans une pièce d’une autre bâtisse, adjacente au sentier forestier et nous indiqua des bottes de foin que nous pouvions utiliser pour nous étendre. Elle nous proposa également de nous servir un repas chaud à son retour. Avant qu’elle ne partît, nous la remerciâmes pour son accueil ; nous venions de faire la connaissance de la Dame Blanche de Trécesson !


18 novembre 2005

Campénéac (Armorique, France), 11h48.

Contre toute attente, nous revoici dans le Morbihan, qui plus est seulement à neuf kilomètres de Ploërmel où nous ne fîmes que nous arrêter quelques heures avec de repartir pour Montertelot et le canal de Nantes à Brest voilà huit jours. Tant pour nous retrouver là… Se pose à nous un fabuleux dilemme : demain soir se produit Lyse, un groupe de Rock venu de Vannes, à Saint-Abraham, mais dans notre idée, nous voulons remonter vers Brocéliande, Tréhorenteuc, le Val Sans Retour, la fontaine de Barenton puis Dinan, Dinard, Saint-Malo et l’abbaye du Mont Saint-Michel. Nous nous disons aussi que les itinéraires ne servent à rien et que nous voguons d’habitude en suivant le cours des opportunités qui se présentent à nous et puis l’entrée est gratuite – cela devrait nous aider à choisir mais non, même pas ! Nous verrons ! Le cybercafé de la commune ouvre à 14 heures, nous avons le temps d’y réfléchir jusque là.
Hier soir, après la rédaction de ce carnet, nous lûmes un peu et nous endormîmes en attendant le retour de la Dame Blanche, notre protectrice du moment. Elle arriva vers 23 heures – sa chienne vint frapper à notre porte – et nous invita à entrer chez elle pour manger un peu. Elle nous prépara un potage de légumes ainsi que deux galettes aux œufs et nous servit enfin une assiette de fromages. Nous sortîmes de ce repas généreux repu et en dormîmes bien. À 8 heures, nous la rejoignîmes à nouveau pour le petit-déjeuner. Nous parlâmes, nous racontâmes nos petites histoires, en apprîmes beaucoup sur elle et sa légende, sur le château également. Elle nous donna soixante euros pour nous aider dans notre périple, nous dit-elle. Nous préparâmes nos affaires avant de lui dire un nouveau grand merci et reprendre notre route jusques ici. Il est de ces êtres merveilleux que l’on ne rencontre que par providence et – nous sommes heureux de l’écrire, ce sera notre modeste hommage – la Dame Blanche de Trécesson en fait partie !

Ploërmel (Armorique, France), 18h11.

Nous prîmes finalement la route de Ploërmel mais pas à pattes cette fois-ci ; nous fîmes du stop ! Maryline, jeune et sympathique campénéacoise nous y conduisit. Nous manquons d’inspiration – surtout n’avons-nous rien de particulier à écrire. Le patron vient de mettre MCM Pop après Equidia. Cette chaîne, quoi que peu intéressante en soi, nous rend nostalgique. Nous pensons au Med Boy, aux amis dans le Sud, à ce que nous y laissâmes, au fait que nous savions alors où aller. Nous les voyons venir, eux, nos détracteurs éternels avec leurs pattes de trait.

La masse inculte . Jamais content, ce Louis ! Un jour il nous saoule avec sa soi-disant liberté, il nous dit que rien ne le retient, rien ne le presse, personne ne l’attend, qu’il peut faire ce que et aller où bon lui semble et le jour d’après il regrette ce temps passé où il fréquentait des habitudes qu’il est, du reste, content d’avoir laissées derrière lui !

Et bien, tout comme nous aimons être seul autant que nous détestons cela, la sédentarité, parfois, nous manque et notre instabilité nous pèse. Ce soir, nous aurions envie d’un billard sur le tapis bancal du sous-sol de Michel, de quelques pintes entre amis et, c’est vendredi, d’une nuit au New Cancan ; voilà ! Nous revivons la même soirée qu’il y a huit jours. Nous éviterons donc le chemin de halage de Montertelot au Roc-Saint-André ; nous risquerions d’y pleurer, à nouveau. Tous ces mots que l’on nous dit, ceux que l’ont nous écrit nous touchent. Merci Brigitte, merci Patrick ! Nous ne traversons aucune période plus difficile qu’une autre mais ils nous font du bien. La conclusion est nette : il nous manque un port d’attache – un petit îlot nous suffirait pourtant ! Mais comment trouver un lagon salutaire quand, comme nous, on n’a personne à qui en parler ? C’est notre faute, craignons-le, nous ne cherchons personne. Laissons ces pensées dans leur coin et allons à la Forge à Miston, la musique y est plus entraînante !


19 novembre 2005

Ploërmel (Armorique, France), 10h10.

Et plus entraînante, elle l’était en effet ! Nous fûmes accueilli par Tainted Love puis d’autres, commandâmes une Beamish brune, posâmes nos sacs à une table et vînmes raconter nos huit derniers jours aux deux barmen qui se souvenaient de nous. Arriva le postier, Cyril, que nous connaissions déjà également. Nous leur dîmes que nous étions revenu presque malgré nous pour assister au concert de Lyse.

Cyril . Ah ouais ! C’est demain ça, je le sais, c’est moi qui ai distribué les affiches ! Je vais peut-être aller y faire un tour.
Nous . Vraiment ? Ça te dit pas de m’y conduire ? J’ai pas envie de me taper la quat’ voies jusque là-bas demain.
Cyril . J’y vais demain matin pour la tournée, l’après-midi j’ai un truc à faire avec un copain et le soir j’irai faire un tour pour voir. Si tu veux, je t’y emmène, ça me dérange pas.
Nous . Génial ! C’est sympa. On fait comment ? On se retrouve quelque part ? Il est à 21 heures le concert, au Charleston, c’est ça ?
Cyril . Oui ! Ben on n’a qu’à se retrouver ici. J’y viens tous les soirs vers 19h30 – 20 heures, par là.
Nous . Aucun problème, on n’a qu’à faire ça, je te retrouverai ici !

Nous payâmes deux euros les deux brunes – prix pour vagabond – et nous en allâmes ; il était un peu plus de 20 heures. Nous avions lu dans Le Ploërmelais, journal local, que le 115 avait ouvert une antenne pour les SDF en ville et que, la nuit venue, la gendarmerie s’en occupait. Elle était fermée mais l’interphone était à disposition. Nous sonnâmes, on nous répondit et nous expliquâmes notre cas.

Le gendarme de garde . Ah mais c’est pas avec nous qui faut voir ça, Monsieur, y faut app’ler l’115 !

Bien… Journal de merde ! Nous appelâmes donc le numéro d’urgence sociale, une femme à la voix charmante et condescendante nous dit que l’antenne de Ploërmel était fermée pour le week-end, faute de bénévoles. Elle le déplorait mais ne pouvait rien faire. Elle nous indiqua les températures attendues jusques à lundi matin – que des négatives – et nous conseilla de nous rendre à l’hôpital si vraiment ça n’allait pas.

Elle . Une salle d’attente chaude, c’est toujours mieux que la rue !

Vagabonds, oyez ! Ils veulent bien vous accueillir mais le week-end vous pouvez crever. Pourquoi ? Parce que sur les dix milles habitants de la ville, il n’y en a pas deux ou trois pour tenir la maison. En même temps, nous choisîmes notre sort et n’avons pas le droit de nous plaindre. Pas grave, nous avions repéré une maison abandonnée près du concessionnaire Peugeot en ruine, sur la route. C’était assez confortable, nous y trouvâmes même de la moquette à l’étage. Nous passâmes une bonne nuit, sans déconner, nous eûmes à peine froid. Nous avons une journée à tuer. Un bon chocolat chaud, un jus de fruits et nous pensons visiter le centre.

12h25.

Nous croyons dans le Café de la Tour avoir trouvé notre Rotonde. L’ambiance est ici médiévale, rien à voir avec le bar aixois mais si nous vivions ici, nous y passerions probablement beaucoup de temps ! En sortant du bar à 11 heures, nous fîmes un peu de shopping. Nous achetâmes une nouvelle paire de chausses, des Dr. Martens – ô joie ! – puis nous nous installâmes ici pour dîner. Nous nous faisons plaisir ! Au menu : salade chevalière (magret de canard, foie gras) et une pinte de blonde. Cela n’arrive pas plus tous les jours, dégustons avec retenue et finesse !

13h27.

Pour dessert : far breton sur coulis caramélisé ; un régal naturellement ! Ce lieu est si agréable que nous allons en profiter pour écrire quelques lettres devant un café, de l’autre côté, sur l’un des fauteuils. Ce sera toujours mieux que de nous geler dehors à visiter des vieilles pierres et des horloges.


20 novembre 2005

Ploërmel (Armorique, France), 16h20.

Laissons les abrutis claquer leur peu de fric paysan dans les excités de la cravache à Auteuil et intéressons-nous plutôt aux derniers événements – et pas des moindres – intervenus dans notre petite vie.
En fin d’après-midi, hier, nous entendîmes la cloche de l’église annoncer une messe et décidâmes de nous y rendre puisque nous n’avions rendez-vous avec Cyril que vers 20 heures. L’homélie fut particulièrement absurde, le père se contentant d’expliquer à son troupeau le nouveau déroulement de la communion, donnée dans l’allée centrale uniquement, celles de droite et de gauche étant réservées pour regagner sa place. Voilà neuf ans qu’ils distribuent l’hostie ici dans un bordel monstre – premier arrivé, premier servi ! Tu t’en fous sans doute, Fidèle, mais nous non ! Nous nous disons que nous aurions bien voulu voir cela : l’illustration parfaire du berger distribuant le grain à ses brebis affamées de rédemption. En ce jour de célébration du Christ-roi, il appela cela : « mieux servir le Seigneur ». Pff ! Tu nous en diras tant ! Le chant de la chorale aussi était assez marrant. En gros, un bon catho est un catho qui n’attend qu’une chose : mourir pour rejoindre son Roi ! Nous nous demandons s’ils ont conscience des conneries qu’ils chantent parfois… Nous fûmes enfin impressionné par les enfants qui reçurent la robe en ce jour pour servir l’Autel – ils étaient nombreux. Pauvres enfants, si vous saviez ! Aimez votre prochain, oui, mais ne leur donnez pas votre existence non plus, faut pas déconner ! Tout cela n’enleva rien au fait qu’ils étaient trop mignons, ces petits bouts d’humain et que, très objectivement, leur bourrer le crâne de bondieuseries si tôt est clairement de la maltraitance. Tout être devrait avoir le droit de choisir ce en quoi il croit à un âge de raison. Là, tout juste sortis du berceau, pour ainsi dire, les parents clouent leurs gosses au catéchisme ; c’est scandaleux, conviens-en, Fidèle ! Nous sortîmes après la communion sans attendre la fin car la messe s’éternisait et qu’un concert valait bien mieux. Incroyable hasard, Cyril descendait la rue de la gare en même temps et nous prit au passage. Nous passâmes un instant à La Forge à Miston avant de rejoindre Saint-Abraham, le Charleston, Lyse. La salle était petite, il n’y avait pas encore beaucoup de monde à 20 heures et le groupe n’était pas encore installé. Le bar offrait l’apéritif ; un punch qui ne dura pas trois gorgées et qui nous obligea à commander une autre blonde – nous n’en bûmes que deux litres dans la soirée, raisonnable. L’ambiance s’installa, timide, nous ne vîmes alors personne à notre goût et parlâmes au bar avec Cyril, Lee, une connaissance à lui, un anglais au look de routard qui avait parcouru le monde et Ben, un sympathique garçon de 17 ans, anglais lui aussi, qui l’accompagnait. Pendant ce temps, Lyse accordait basse, guitare, voix et pour la première fois depuis que nous parcourions l’Armorique, nous vîmes un mec à notre goût : le bassiste au t-shirt blanc. Lorsqu’il passa plus tard derrière la batterie pour jouer et chanter du Radiohead, nous tombâmes sous le charme (avec modération toutefois). C’est son regard plus que le reste qui nous attira. Cela n’alla pas plus loin cependant, puisque nous sympathisâmes avec Lee et nous laissâmes emporter par le son, notre verre, notre roulée. Lee, d’ailleurs, était completely drunk, Ben cuvait dans la voiture et Cyril parlait, parlait, parlait encore au bar. Quant aux autres (la salle s’était remplie), ils n’avaient de rythme qu’un frêle balancement et des sifflets ou « Whoouhou ! » à chaque fin de titre, exceptés quelques jeunes bien imbibés déjà. Nous, de notre côté, n’arrivions pas à nous saouler et Lee nous invita à boire du whisky dans sa voiture. Rien n’y fit, nous restâmes quasi-sobre. Cela ne nous empêcha pas heureusement de bien nous amuser. Nous retournâmes au bar jusque vers 1 heure et Lee nous proposa de nous héberger pour la nuit chez lui, où Ben résidait déjà depuis deux ou trois semaines. Nous acceptâmes volontiers, le dîmes à Cyril et chargeâmes nos sacs dans sa voiture. Il fallut réveiller Ben qui dormait au volant ; difficile. Lee ne tenait pas droit – oh non ! – quand il démarra. En roulant un brin trop vite, dirons-nous avec un peu d’euphémisme, il parvint quand même à tenir plusieurs kilomètres sur la petite route de campagne avant de nous planter dans le fossé. Le choc fut net, brutal ; nous prîmes la tête de son siège en plein œil malgré la ceinture – nous nous étions penché pour participer à la conversation.

Ben . Lee! You suck! Three times you’ve crashed this fucking car!

Visiblement, il n’en n’était pas à son coup d’essai… Nous sortîmes voir les dégâts : le pare-choc et un phare niqués, l’avant de la voiture enterré dans le talus ; impossible de la sortir ! Trois voitures passèrent sans pouvoir aider puis arrivèrent des gars que nous avions croisés déjà au Charleston, bien imbibés également. Ils allèrent chercher le paysan sympa du coin, Hubert, et son tracteur. En deux deux, la voiture fut de nouveau sur le circuit la route et Lee nous ramena, un peu choqué, sans autre dommage. Nous, trouvâmes cela fun. Une fois chez lui, un mobile home réaménagé par ses soins à côté de la maison qu’il réhabilitait, nous parlâmes un moment devant une bière et mîmes Trainspotting* en VO à la télé. Ben s’endormit devant, Lee et nous-même à la fin ; il était 5 heures. Le réveil à 10h30 fut difficile, forcément. Nous ne fîmes rien de la matinée à part un peu de vaisselle après l’egg on bread au petit-déjeuner ; nous zonâmes. Ben devait rentrer chez lui sur Redon, Lee visiter une amie à lui et nous devions continuer notre chemin. Lee nous déposa donc avec sa voiture qui n’avait plus ce petit bruit bizarre de la veille à Monterrein et nous rejoignîmes Ploërmel à pattes. Buvez, jeune gens, buvez !


24 novembre 2005

Saint-Malo (Armorique, France), 17h37.

Que d’événements ces quatre derniers jours ! Nous ne pouvions les relater que devant deux galettes et une crêpe arrosées d’un litre de cidre brut au Petit Malouin pour signer cette dernière nuit en Armorique. Nous voulions pousser jusques au Mont Saint-Michel, tout proche, mais cela ne se fera pas.
Dimanche soir, en sortant du Thy’roir à Ploërmel, nous passâmes devant l’église sans nous y arrêter malgré la soirée dédiée au Secours Catholique car nous étions fatigué et que nous savions la journée à suivre longue ; il était 18 heures. Nous rejoignîmes notre squat près du concessionnaire Peugeot et y dormîmes plus ou moins bien. Au matin, nous prîmes notre petit-déjeuner au bar Le Bretagne, comme samedi, puis la route de Tréhorenteuc. Nous arrêtant ici et là au gré de nos envies, il nous fallut la journée ou presque pour y arriver. Le soleil, cet ami cher et présent depuis le marécage du Pas-du-Houx, montrait déjà fatigue. Nous nous renseignâmes pour un abri auprès de l’office du tourisme mais il n’y avait rien. Nous nous dîmes que, quitte à dormir dehors, autant le faire en terre consacrée et grimpâmes jusques au Val-Sans-Retour, le repère de Morgane. Le Miroir aux fées était asséché pour cause de travaux mais le site restait grandiose. Une fois au sommet, nous nous installâmes, roulâmes une clope, puis deux, en contemplant le couché du soleil derrière la colline, Feel* dans les oreilles ; nous planions et n’avions pourtant que du tabac ! La nuit s’annonçant, nous résolûmes de la passer dans les toilettes publiques, propres et spacieuses fort heureusement en cette saison touristique sèche. Nous y dormîmes mal, très mal, trop peu.
Mardi matin, nous avions donc la tête dans le cul et continuâmes notre chemin sans grande inspiration pour Mauron. De folles pensées allumaient nos réflexions. Nous nous disions : « Pauvre Louis, comme vous semblez paumé, comme vous avez froid ! Êtes-vous convaincu de l’utilité de votre parcours ? » Nous ne l’étions pas le moins du monde. Nous nous demandions même s’il fallait continuer, si nous ranger dans une vie stable, une de celles que nous abhorrons, n’était pas mieux venu ! Nous nous persuadâmes enfin, après avoir constaté le trou la gigantesque faille dans notre bourse et notre désorientation, que nous DEVIONS nous poser et supporter le souffle timoré de l’inspiration collective et observée. Nous en étions là, abattu, en sortant de Mauron, quand un énorme 4x4 gris métallisé nous coupa le bord de route et une voix connue nous interpella.

Monsieur Chamaillard . Ah bah ça ! C’est pas croyable ! Je pensais bien t’avoir reconnu !
Nous . Monsieur Chamaillard !! Vous ici ?!
Monsieur Chamaillard . Où vas-tu comme ça, du mauvais côté de la route ?
Nous . Je ne sais pas, par là-bas ! Je comptais faire du stop un peu plus loin.
Monsieur Chamaillard . Allez, monte !

Et oui, pour la seconde fois, l’intervention de ce sympathique monsieur nous sauva de bien tristes réflexions. Nous montâmes et il reprit sa route. Il allait voir un client mauvais payeur à cent kilomètres de chez lui, déjà, mais il nous proposa de nous déposer à Dinan, notre destination s’il en était une. Ni lui ni nous-même n’en crûmes nos yeux de nous retrouver ainsi ; il en appela même sa charmante épouse pour le lui raconter. Nous n’en revenons toujours pas ! Ce genre d’informels nous fait croire en notre bonne étoile… En nous déposant à Dinan, devant la mairie, il nous donna vingt euros.

Monsieur Chamaillard . Tu pourras te payer un bon repas comme ça ce soir !
Nous . Vraiment, monsieur, vous me sauvez encore ! Je suis un rescapé perpétuel.

À Dinan, la mairie nous envoya au CHRS, 12 rue du capitaine Lesry, derrière la gare SNCF. Joël, le responsable en présence, nous accueillit dans le bureau et par chance – cela semble nous être toujours dévolu – une chambre s’était-elle libérée pour la nuit. Nous n’avions rien à y faire car la mairie aurait dû nous envoyer au numéro 10, le Samu Social à côté, mais il consentit à nous héberger. Nous pûmes dîner dehors dans une sandwicherie grâce à l’argent de Monsieur Chamaillard, prendre une douche, faire une lessive et dormir, enfin, dans un vrai lit confortable et bien chaud. Nous nous sommes habitué au froid depuis notre départ mais nous reconnaissons qu’un chauffage et deux couvertures sont plus appréciables qu’un duvet, tous les vêtements qui bourrent notre sac à dos et passer la nuit, inerte, dans l’espoir de nous réveiller sans le gel aux narines. Nous aurions apprécié nous accorder dans ce centre une affinité mais les jeunes rencontrés avaient – de toute évidence puisqu’ils étaient ici – d’autres chats à fouetter. Nous y passâmes donc la nuit sans nous attarder au matin, visitâmes la tombe de nos arrières grands-parents au cimetière – un vœu de notre mère – et continuâmes notre chemin. Dans notre esprit, nous avions idée de rejoindre Dinard puis Saint-Malo mais pas à pattes ! Il nous fallut faire du stop, pour la seconde fois de ce périple, ne nous attardant pas comme une pute sur les bords de route en général – non, non, nous te l’assurons, Fidèle ! Il se fait tard, nous continuerons ce récit plus tard car demain nous nous levons tôt pour prendre notre TGV : nous rentrons en Provence.


7 décembre 2005

Aix-en-Provence (France), 19h58.

Adieu incontrôlables frissons ! Adieu faim et sommeil léger ! Bonjour olivades pour dix à quinze jours ! Retour en Provence donc, après quarante-six nuits d’errance à travers French Riviera et Armorique ; quarante-six nuits dehors à nous peler le cul pour ne rencontrer au final que des gens extraordinaires avec leurs visions très éclectiques. Quelques connards également mais n’y pensons plus. Pourquoi ce retour au pays ? C’était inattendu, notre frère nous ayant invité lorsque nous étions à Saint-Malo. Venu de Floride pour quelques jours, il nous proposa de descendre pour visiter notre mère au château. Nous y restâmes un peu, après une vingtaine de cassages de gueule sur la piste verte – la honte ! – de Mont-Genèvre avec notre nièce, notre neveu et lui. De passage, notre sœur nous invita chez elle à Bouc-Bel-Air puis Nanou au pied de la Sainte-Victoire pour les olivades. Nous allons y rester jusques au dernier arbre peigné. Les fêtes approchent, ce sera en famille au château. Passées, nous verrons le programme à ce moment-là.
Il fait chaud au Happy Days, Pink Martini met l’ambiance. Nous n’avons pas choisi ce bar innocemment ; il est gay, les serveurs sont parfois mignons, toujours sympathiques. Il n’y avait rien de mieux pour nous ressourcer. De toute manière, nous n’allons pas nous réinstaller ici ; quoi que… Non ! N’y pensons pas en fait ! Un ex propriétaire alcoolique, crétin et impulsif, des anciens à éviter (difficile dans les petites rues aixoises), la vie chère (bah ouais, nous restons vagabond encore !), des pensées méphistophéliques évaporées, une vie passée, tout simplement. Nous ne sommes pas mécontent toutefois ; nous pûmes revoir Alexandra, Morgan, la fontaine de la mairie, les rues de la verrerie et de l’école, le tabac Au Khédive ; que de souvenirs ! Deux années passées au service de la concupiscence, de l’aisance, de la décadence, de l’éthylisme pour toi, Fidèle. Non, pour NOUS, évidemment ! Nous pensais-tu ego-narcissique ? Mais oui, absolument, nous le fûmes, sommes et serons sans doute encore jusques à notre cirrhose dans onze ans. Nous ne devons pas tarder ; Nanou, même si elle nous dit le contraire en nous lâchant aux Arts et Métiers, doit s’inquiéter et ne fermera pas l’œil avant notre retour, nous en sommes convaincu. Ensuite, nous sommes habillé comme quelqu’un qui a passé légitimement sa journée dans un arbre chargé, Despe dans une main, griffe dans l’autre. Six ou huit kilomètres de marche nous attendent enfin. Nous sifflons notre demi et nous mettons en chemin.


16 décembre 2005

Aix-en-Provence (France), 20h03.

Pourquoi faut-il absolument que nous nous retrouvions dans un bar pour écrire ? Parce qu’il faut nécessairement pouvoir nous retrouver quelque part !
Nous avons une heure à tuer avant d’aller au Med Boy, lieu culte dont tu as déjà lu, Fidèle, quelque description dans notre précédent carnet. Il s’agit ici de retrouver notre ancien – mais pas si lointain, avouons-le-nous – rythme de vie. Nous passâmes cette journée venteuse à Marseille, dans les boutiques de la rue de Rome, pour un shopping indispensable en ces jours de fêtes que nous ne portons pas particulièrement dans notre cœur. Il nous fallait absolument un t-shirt à manches longues et à capuche, histoire de liquider notre pull Ralph Lauren trop encombrant mais cependant bien chaud. Nous vidons les marques de notre sac à dos petit à petit – le sacrifice est horrible et difficile ! Dans le TER de Marseille à Aix-en-Provence, nous fûmes annulé en chemin pour trois malheureux resquilleurs. Naturellement, tout le monde sur la voie se plaignit mais impossible de faire rembourser notre billet à l’arrivée – les timbres auraient coûté plus cher. Nous avions dîné aux Danaïdes un gin, une demie bouteille de rosé pas mauvais et une salade italienne ; le fait, naturellement, nous parut moins grave. Après mûre et imbibée réflexion, étrangement, nous nous en foutons toujours autant. Demain, massage en Ardèche pour le week-end ; lundi, retour probable au château ; en janvier, agenda vide pour le moment. Tout semble parfait, et pourtant… Nous avons un mois à combler et nous ne savons qu’y mettre. Partir nous est exclu puisque nous devons répondre « Présent ! » en février dans les Basses-Alpes où notre frère veut construire une maison. Alors que faire ? Une idée peut-être as-tu, Fidèle ? De notre côté, nous séchons… Le plus mordant dans cette histoire est que pour une fois nous avons un peu de fric sur nous à dépenser grâce aux olivades – fait rare ces derniers mois, certes, nous te l’accordons. Cette introspection inutile passée, il ne nous reste qu’à rouler une clope.


19 décembre 2005

La Rotonde, Aix-en-Provence (France), 15h08.

Nous sommes, inextricablement, un être de la nuit. Avant elle, nous avons la tête dans le cul ; nous ne comprenons pas, notre tempérament sans doute. Nous devrions nous sentir éveillé comme tout le monde – il fait un temps superbe en plus – mais non, cela ne semble pas nous appartenir. L’effet du week-end consommé ne nous aide pas non plus, nous devons bien l’avouer. Massage en Ardèche : deux jours de pétillement uranique dont nous nous remettons avec peine. Une seule pensée : nous reposer encore, encore et encore ! Notre Bloody Mary nous encourage à vaquer au soleil et nous perdre dans de saines et relaxantes pensées mais le peuple anciennement familier d’ici nous demande d’y renoncer et de nous consacrer à sa critique, mainte fois reconnue. Nous sentons notre verve sure renaître ; quel délice ! Il y a ces Aixois à la consistance vaine, la personnalité blafarde. Attardons-nous par exemple sur le troupeau à main gauche dans le petit salon. Sur le jeune, le pantalon est tombant, la botte 70’s épineuse, la ceinture électrique, la coupe affreuse, la frange cisaillée, l’origine commune, l’esprit trop sobre, la cigarette volante et le tout sans grand intérêt. Jeunesse dorée ? Non, plaquée or. Et puis il y a le jeune barman… Les cheveux bruns, raides, naturels, la peau matte, le regard clair, la mâchoire masculine, le sourire percutant, l’intérêt propre, divin couronné de pourpre – tout ce que nous aimons, ne sommes pas. Sans s’en rendre compte, du fait de leur suffisance, les autres l’élèvent. Nous aimerions le lui signaler mais comment ? Recommander et ajouter au serveur une note ne serait-il pas risqué ? Si, quand même un peu ! Passer derrière le bar, l’embrasser longuement et lui glisser notre numéro de téléphone dans la poche arrière de son jean après quelque attouchement révélateur ? Non plus, trop direct ! Nous ne sommes vraiment pas doué pour le théâtre. Nous n’avons qu’à nous convaincre que nous ne sommes pas assez bien pour lui, voilà tout !

Nous-même . Lâche, romantique timoré !
Nous . Peut-être…
Nous-même . Pucelle théocratique frustrée !
Nous . Oh, ça va quand même ! Un peu de respect, salope ! Tranchons : nous fondons sur son regard seulement, nous sommes un romantique frustré. Maintenant, petite voix castratrice, ferme-la et laisse-nous contempler l’Olympe en silence !


29 décembre 2005

La Rotonde, Aix-en-Provence (France), 9h10.

Nous avions froid dans les Basses-Alpes – -20°C à Barcelonnette ce matin – et nous décidâmes de descendre un peu. Ici, il fait -5°C, juste assez pour nous désaltérer devant un Bloody Mary, le temps que les boutiques ouvrent leurs portes. Nous avons, avant de reprendre la route début janvier, des emplettes à faire : une nouvelle besace, un nouveau sac à dos plus fonctionnel, peut-être plus léger aussi, des fringues. Papa Noël fut généreux avec nous cette année et au-delà de cela, une chambre à l’hôtel des Augustins nous est réservée pour la nuit ; un habitué. Nous évitâmes de nous trop vêtir, nous eûmes tort et la pharyngite guette. Le soleil nous réconforte à travers la baie vitrée mais cela n’est pas suffisant ; nous joindrons la côte pour nous guérir. L’espace d’un instant, dans le bus au niveau de Manosque, nous crûmes à la résurrection en apercevant l’astre orangé au-dessus de l’horizon flamand mais tout n’était qu’illusion. Le reste du théâtre dans la vallée chantait la mort hiver. Nous l’aimons aussi mais ne l’attendons pas. Nous avons besoin de suer pour apprécier les jours ; nous rêvons de tropiques, de lagons magiques, d’eau turquoise et de sable blanc, de vahinés musclés et bien montés, de transat et de spa ; nous attendons une proposition qui ne vient pas, nous désespérons ! En même temps, nous rêvons de steppes, de cosaques guerriers, de conquêtes ; nous rêvons de flibustes, de large, de pavillons dorés ; nous rêvons beaucoup trop, c’est à craindre ! Nous vivons plus en esprit que nous le devrions pour être heureux mais qu’y faire sinon subir l’état magnifique de la pensée sceptique ? Laissons cela, nous voyons bien que tu t’ennuies avec notre poésie romantique. Qu’en est-il de toi d’ailleurs, Fidèle ? Et de vous, mornes hommes satisfaits ? Êtes-vous heureux ou vous contentez-vous de le paraître ? Assurément, vous vous leurrez ; reformulons ! Vous plaît-il de paraître ou vous posez-vous de temps à autres les questions primordiales des origines ? Nos yeux d’or inspecteurs vous mettent à nu, nous perçons vos secrets, avouez donc ! Votre existence futile vous plaît, nous en sommes convaincu. Et bien, dans ce cas, souffrez que jamais nous ne nous taisions ! Nous serons contenté, nous, lorsque votre fondement sera révisé, lorsque vos désirs seront réglés, lorsque enfin nos visions ne seront plus vouées à l’ironie blasphématrice. D’ici là, nous jouerons à être fou et mal venu car cela te plaît, Fidèle, et que nous te savons masochiste.


5 janvier 2006

Aix-en-Provence (France), 9h09.

Levons notre verre à ce jour qui n’a rien de particulièrement exceptionnel mais que nous avons la chance, tout de même, de vivre ! Le temps qu’il fait aujourd’hui redevient notre seul préoccupation ; nous revoilà vagabond. Nous ne quittâmes jamais véritablement notre complet, l’échangeant sagement contre une belle bouteille bleue et le confort familial, mais ce jour signe un nouveau départ (énième, certes !) et cela nous enchante et se fête, tout comme l’année qui vient et s’écoulera, ne nous mentons pas, comme les autres. Ainsi, depuis La Rotonde, te souhaitons-nous joyeux et bel an à toi, Fidèle, qui nous lis avec intérêt ! Pour le célébrer, nous visiterons ce midi les Danaïdes, leur exquise salade Morgane et deux ou trois verres de gin, évidemment. Nous partons pour de plus cléments cieux : la côte ! Arriverons-nous cette fois-ci jusques en Calabre ? Si nous ne sommes pas détourné par quelque nostalgie bretonne, il se peut en effet que nous y parvenions après maintes et maintes tribulations dont nous avons le secret. Profitons ! Profitons de ce jour et des autres ; ils ne nous méritent pas mais nous leur accorderons cependant un regard ouvert, juste et le moins vaporeux possible. Souffrons enfin de la pénurie du tout ; n’importe ! Si nous trouvons sur notre chemin un compagnon avec qui la partager, nous nous en contenterons. Cela est bon, cela est beau et c’est ce que nous nous souhaitons ! Quant à toi, Fidèle, désireux de nous ne savons quoi, que l’avenir te réserve le sourire que te mérites, qu’il te soit lumineux de bon sens, qu’il ne te promette rien mais qu’il fasse, seulement, ce que tu attendes de lui ! Santé !

Marseille (Provence, France), 16h05.

Jamais encore n’avions-nous écrit depuis la cité phocéenne ! Nous sommes un brin pinté mais nous ne pouvions passer à côté de la majesté du vieux port sans nous attarder un instant. Alors sautâmes-nous au Suffren, le premier bar venu, le plus évidemment à notre convenance. Le Bloody Mary fait ici trop potager (trop de tomate, trop peu de vodka) mais la vue est superbe et la musique sympathique. Si l’on omet la circulation excessive et la tour de fond qui hache le paysage, l’arrêt vaut le coup ; fais donc halte à l’occasion, Fidèle ! Les cieux se dégagent, laissant plonger quelques rayons bienvenus sur les mâts des vieilles embarcations. Qu’il est bon de retrouver la mer ! À ce théâtre, notre cœur se lève et notre esprit s’exclame : « Pourvu qu’ça dure ! » Ô plaisirs intenses et narcotiques, quels sont ces hommes qui passent sans observer telle lumière ? Quel est ce fort qui accueille les marins éreintés par leur course homérique ? Quel impuissant pourrait nous donner un coup derrière le crâne pour que nous cessions d’écrire autant de conneries ? Nous venons d’apprendre que le 13, jour de péril, nous sommes invité sur la capitale pour cas d’uranisme et que de ce fait nous ne pouvons nous éparpiller bien loin. Qu’allons-nous pouvoir inventer pour tenir une semaine ? Laissons cela, joignons la gare et tâchons de trouver un wagon lui aussi à notre convenance.

Aix-en-Provence (France), 21h10.

De retour à La Rotonde donc. Nous convînmes qu’il était préférable de définitivement placer cette journée sous le signe de la langueur éthylique. Un double gin, quatre toasts de foie gras, un paquet de clope neuf ; ce soir, Fidèle, appelle-nous Brigitte Fontaine ! Il nous faudra bien une journée entière pour réaliser que nous avons creusé notre bourse plus que de coutume et cuver mais qu’importe, à dire vrai ; savoir dire stop n’est pas de notre faîte lorsque nous parlons de beuverie solitaire. Nous irons nous achever au Med Boy chez Michel à qui nous achetâmes un cadeau pour le nouvelle an : Maktoub de Paulo Coelho. Ah ! Michel. Célébrons l’office, Radiguet bienveillant soutenant ce soir cette prose improvisée à 43°C. Divin mystique aux yeux d’enfant pervers, Michel tu nous attires. Non que nous voulions ouvrir le bal du comte d’Orgel avec toi ou plus librement forniquer mais nous t’aimons bien ! Un essaim s’est formé autour du bar central. Nous voyons double, ne reconnaissons personne. La soirée sera absolue lorsque nous aurons rejoint Baudelaire et ses aveugles. L’écriture est déjà frénétique, cela ne saurait donc tarder. Il nous vint, alors que nous remontions la Canebière, chanson de pute dans les oreilles, l’envie de gravir cette nuit la Sainte-Victoire. Du haut de sa croix, au matin, nous toiserons la vallée et le petit peuple aixois sans qu’il s’en doute. Il est tard, nous bûmes beaucoup tout le jour, comprends ce que tu peux à ce récit. À Paris, nos fesses seront douces ; ici, nous enculons et ne te donnons pas le choix.


8 janvier 2006

Principauté de Monaco, 13h58.

Le mec assis à-côté de nous débite de ces conneries à la femme qui l’accompagne ; c’est à pleurer de rire ! Il n’arrête pas de blablater et d’étaler sa fausse culture de trop pensant qui se figure plus de choses qu’il n’en sait. À notre avis, il veut la sauter ce soir ! Nous nous faisons plaisir (encore) en ce beau dimanche ensoleillé : Bombay Sapphire à foison, salade exotique (saumon fumé, avocat et ananas), un demi ananas pour dessert ; c’est jour de fête. Lequel ? Aucune importance, nous le décrétâmes ce matin en nous réveillant dans les douves du Fort Carré d’Antibes. Cet endroit nous fut conseillé la veille par deux jeunes vagabonds sur la plage de la Gravette. Eux dormaient sur le sable, nous proposèrent de rester mais nous sommes un incurable solitaire qui recherche uniquement son idéal surréel. Le gin monte, monte mais nous ne pouvons l’accompagner à cause de la salope gentille madame d’à-côté (celle qui va se faire sauter ce soir) car elle ne supporte pas la fumée. En face de nous, deux familles dînent ensemble et parmi elles, un enfant d’environ 10 ans attire nos yeux d’or. Blond, un regard bleu éveillé, un air coquin ; instant nostalgique ! Le Quai des Artistes s’est habillé aux couleurs du cirque. Ce panache rouge et blanc n’a rien à voir avec l’ode à la Tour de la dernière fois mais reste cependant assez crédible.
Jeudi soir, nous quittâmes le Med Boy vers minuit mais ne trouvâmes ni le courage ni la force d’atteindre la croix de la Sainte-Victoire ; nous étions complètement mort. Nous nous arrêtâmes sous ses jupons, au bord des lèvres, mais elles étaient trop venteuses, il y faisait très froid, nous étions trop fatigué. 4 heures sonnaient et il nous en fallut quatre de plus pour redescendre jusques à Aix-en-Provence Nous évoluions comme un vrai zombi alors nous payâmes-nous une chambre dans un motel miteux où nous zonâmes jusques au soir. Niko nous proposa enfin de sortir, chez Michel, évidemment. Nous eûmes mal au crâne au réveil ; deux jours trop chargés, même pour nous.
Hier fut donc une journée difficilement supportable et c’est pourquoi nous appréciâmes le confort tout relatif des douves. Il fait ici moins froid qu’à Aix-en-Provence, nous pensons y rester jusques à jeudi où nous monterons sur Paris.


10 janvier 2006

Antibes (Provence, France), 14h33.

Voilà trois mois, jour pour jour, nous entrâmes dans la légende des grands fous en quittant Aix-en-Provence, sac sur le dos, pour une aventure dont ne savions rien et n’étions que peu préparé ; nous sommes encore en vie ! Nous passâmes la nuit dernière près de Trans-en-Provence la bien nommée pour cas d’uranisme, nous nous produirons également ce week-end à Paris mais aujourd’hui, c’est torse nu sur le plage de la Gravette à Antibes, colonie anglophone de la French Riviera et port d’hivernage des plus beaux yachts de la Méditerranée que nous travaillons notre bronzage… Le peux-tu croire, Fidèle, un 10 janvier ? Le soleil est chaud, la brise légère, la mer calme et le sable vide de touristes bruyants. On nous demande à l’instant deux feuilles à rouler, nous propose de la weed ; la vie n’est pas belle mais on s’y amuse quand même, n’est-ce pas ? Profitons toujours de nos instants, ne les abandonnons pas pour quelques futilités. Sans foie ni loi, toujours, telle est pour ce jour et ceux à venir notre devise !

Cannes (Provence, France), 23h06.

La baraqua n’est décidément pas avec nous ce soir ! Nous n’étions pas assez habillé pour entrer aux tables du casino Les Princes (vagabond oblige) alors nous contentâmes-nous d’étudier un peu les loosers des machines à sous dont ce soir exceptionnellement nous faisons partie. Il semblerait que le bruit des jetons qui coulent ne nous atteigne pas mais, toutefois, que nous aimerions bien être à la place de ce vieux au cigarillo pendant qui doit être bien malheureux en amour. Pourquoi sommes-nous ici ? En voilà une question intelligente ! Nous nous payâmes une chambre au Majestic Barrière avec vue sur la mer pour la nuit, tout simplement. Une aventure pour entrer dans un palace lorsque l’on est vagabond, tu t’en doutes, Fidèle – ou pas, que pourrais-tu bien savoir en fait ? Pour changer, ayant perdu tous nos jetons en quelques minutes de frénétique modération, nous sommes assis au bar. De l’autre côté de la salle, certains crient leur joie éphémère, d’autres plus réservés, pleurent. Pour nous, pauvre désenchanté, les coupes sont offertes et complètent la bouteille déjà morte qui trône sur le bureau de notre chambre. Peu de peuple, nous sommes mardi. C’est triste et nous manquons cruellement d’avances. De toute évidence, il n’y a rien ni personne à notre mesure. Ici n’est pas Enghien-les-Bains ; ici, c’est Cannes un 10 janvier… Les caméras au plafond ne manquent pas mais les milliardaires russes si, hélas pour nous ! Minuit sonne, notre plume s’agite. Allons-nous rentrer nous mettre un porno sur la chaîne payante ou lire le Nouveau Testament dans la table de chevet ? Ferons-nous la promenade du romantique frustré sur la Croisette, clope au bec et esprit sur les vagues ? Commanderons-nous une autre coupe ? Trois questions auxquelles nous n’apportons pas de réponse.

L’hôtesse . Un whisky, c’est pour Monsieur S. !

Sous-entends : « Tasse le bien, il jouera davantage ! » Allons, rentrons ! Un bain au sel nous attend et avec lui notre bar.


11 janvier 2006

Cannes (Provence, France), 9h43.

Le Majestic Barrière fut, pour être franc, notre second choix et bien que nous portions notre préférence en général sur ce cher Lucien, nous essayâmes d’abord le Carlton, mieux exposé. Tout se passait bien, nous allions avoir notre chambre avec vue sur mer quand l’hôtesse nous demanda une carte de crédit, sinon un deposit de trois fois la somme de la chambre – neuf-cents euros tout de même ! Exclu de ce mythe tant que nous n’aurons pas notre premier milliard, nous nous rabattîmes sur le Majestic Barrière, plus bas. Nous abordâmes cette fois l’hôtesse différemment.

Nous . Bonsoir !
L’hôtesse . Bonsoir, Monsieur !
Nous, d’un souffle . J’ai toujours eu envie de m’offrir une chambre dans un palace sur la Croisette avec vue sur la baie ! Hélas pour moi, je n’ai pas de carte de crédit, uniquement du liquide et j’aimerais savoir si vous demandez comme au Carlton un deposit et une carte de crédit, s’il vous plaît ?

Nos yeux d’or firent le reste ; elle nous surclassa, nous offrit le petit-déjeuner, le champagne aux casinos Croisette et Les Princes. Notre clef imprimée, son assistante en formation nous accompagna dans la chambre où nous passâmes donc la nuit dernière, coupe de champagne toujours à portée de main. Tout est classe ici, les gens sont bons et fréquentables, la vie princière (ducale en fait), la vue splendide, l’imagination s’envole et pourtant nous en foutons-nous comme de l’an 450 ! L’expérience est intéressante mais ne nous contente guère. Le pouvons-nous être déjà ? Non, c’est à craindre ! Ainsi, palace aujourd’hui, douves du Fort Carré demain, Paris ce week-end ; seul le paradoxe nous amuse-t-il encore !

Principauté de Monaco, 17h01.

Intéressant de retrouver Olivier, le serveur, qui nous apporte notre Bloody Mary, quelques tapas et nous demande des nouvelles. La dernière fois en effet, nous partîmes sans prévenir alors que nous venions ici pratiquement tous les jours. Des ancres nous maintiennent quand même un peu sur cette fichue Terre et le Quai des Artistes en est une tout particulièrement symbolique puisqu’il fut, pour ainsi dire, notre première escale éthylique. Nous nous demandons ce que nous foutons à Monaco et si nous allons vraiment monter à Paris ; notre PMO tarde à venir. Devons-nous nous risquer à faire du stop demain ou devons-nous attendre la certitude ? À Dieu ces questions raisonnables, à Diable l’impulsion du moment ! Nous verrons demain matin si, nous réveillant dans les douves du Fort Carré, nous trouvons le courage nécessaire à telle expédition. Il fait chaud, le temps est toujours aussi clair. En fait, nous en avons notre claque de faire comme si notre quotidien avait de l’importance. À quoi bon écrire le bien-être pour les autres, les excentricités du vagabond paumé que nous sommes et qui ne désire plus rien sinon la parfaite tranquillité si nous-même n’en sommes pas convaincu ? Un milliard ? Et après, qu’en ferions-nous ? Nous pourrions tout nous permettre, aller où bon nous semblerait, poursuivre notre quête et tenir ce stupide carnet de vie pour finir par être célébré en génie mais n’importe, nous ne ferions que nous mentir à nous-même une fois encore. Tu célébrerais toi la réussite d’une œuvre et nous l’échec d’une vie ! Que de perdition ce soir, que de doutes ! Où cela va-t-il nous mener ?!


12 janvier 2006

Aix-en-Provence (France), 16h47.

Comme pour nous consoler de notre peine et nos doutes hier après-midi à Monaco, notre bonne étoile bienveillante nous offrit le soir au Med Boy à Aix-en-Provence le privilège d’une belle et enrichissante rencontre. Confortablement installé devant un verre à La Rotonde, expliquons-nous.
Nous décidâmes tout d’abord en sortant du Quai des Artistes de sauter dans le premier train pour Marseille car nous ne voulions pas passer une nuit de plus dans les douves du Fort Carré d’Antibes. Nous avions besoin de boire et de nous changer les idées ; quel endroit était plus indiqué que le Med Boy ? Après quatre heures d’un voyage plus fatiguant qu’autre chose, nous arrivâmes en gare d’Aix-en-Provence ; il était tout près de minuit. Dans le TER, nous tapâmes la discussion avec un vagabond d’une trentaine d’années, hongrois à ce qu’il nous sembla, et sa guitare. Le wagon était fumeur et nous échangeâmes avec lui, sous un nuage de weed, quelques expériences personnelles dans un franco-hispano-anglais pour le moins approximatif. Il s’appelait Jimmy, nom de scène. Nous le conduisîmes rue de la verrerie, seule rescapée de la fraîche nuit, car il voulait gratter un peu sur un trottoir devant un public alcoolisé et généreux, puis nous joignîmes le Med Boy. Un mec dont nous oublions à chaque fois le prénom nous ouvrit, nous saluâmes Michel d’un baiser, déposâmes notre sac dans la réserve et la soirée débuta vraiment. Le bar était relativement vide, moins bondé que la fois précédente, et nous ne croisâmes qu’un regard déjà vu nous ne savons où. Nous restâmes à l’écart, clope au bec et pinte en main un petit moment et il descendit faire un billard, seul. Nous nous ennuyions en haut à écouter les derniers cancans de Pédéville et puis nous avions envie de jouer alors descendîmes-nous également.

Nous . On fait une partie ?
Jérémie . D’accord !

Nous fûmes vaincu comme de coutume mais pûmes faire plus ample connaissance avec lui. Spontanément et sans arrière-pensée, il nous proposa de nous héberger pour la nuit chez lui. Nous étions à la rue, il nous attirait, une telle aubaine ne pouvait se refuser. Ce fut une nuit bercée par des sons inconnus de nous comme Susheela Raman, d’autres communs et peu connus des autres. Le matin, quant à lui, fut tout simplement excellent – instant privé. Cela faisait longtemps que nous n’avions éprouvé tel plaisir à rencontrer quelqu’un ! L’informel conspué par beaucoup, comprends, Fidèle, que sans lui nous ne serions rien.


16 janvier 2006

Paris (Île-de-France, France), 8h27.

C’est bon, deux euros cinquante l’espresso, nous sommes bien à Paris là ! Nous y débarquâmes vendredi à 12h30. Il était prévu que nous arrivions plus tôt mais Jérémie avait de meilleurs arguments… En fait, nous y serions volontiers resté un peu plus longtemps si nous n’avions eu d’obligation ici ; deux nuits exceptionnelles sur un parcours pour le moins chaotique ne nous laissèrent en effet pas indifférent. Morgan désormais installé là-bas ; Niko, bon copain ; Michel et le Med Boy toujours les mêmes ; de nouvelles têtes et pas les moins intéressantes : Aix-en-Provence nous manque et nous n’osons toujours pas l’admettre. Il n’y a rien à faire, c’est notre pays, nous y sommes inéluctablement attaché. L’idéal du moment pour nous serait la reconversion, un loft dans le centre-ville, des moyens pour financer nos expéditions, des déplacements fréquents. Des rêves, toujours des rêves… Laissons cela !
Lorsque nous descendîmes du TGV, vendredi, le temps était comme aujourd’hui, gris, maussade, parisien ; le peuple grouillait, se percutait dans l’escalator du métropolitain ; la vie prenait sa place. Nous avions la tête dans le cul, une faim de louve, besoin d’un verre. Nous appelâmes Élodie, une jeune amie d’ici, pour savoir où elle était et manger un bout avec elle à Saint-Germain-des-Prés. En sortant, nous nous sentions mieux ; le Bandol rosé avait agi sur nous comme autant de molécules réparatrices ! Nous continuâmes avec un gin au Dôme, dans le Marais, où nous rédigeons ce carnet aujourd’hui, puis nous accordâmes quelques menues emplettes aux Halles. Nous n’avions rien à porter pour la salle de sport hormis notre complet de vagabond. Chez H&M, nous réquisitionnâmes un vendeur, le plus gay naturellement.

Nous . Bonjour ! Vends-tu par hasard des pantacourts, des débardeurs et des Vans, s’il te plaît ?
Le vendeur . Hélas, non ! Ce n’est pas tellement la saison en fait. Peut-être les pantacourts, viens voir !

Il nous conduisit et conseilla. Nous l’avions seulement pour nous.

Nous . Tu n’as rien de plus sport par hasard ? C’est juste pour aller en salle ce soir et je n’ai vraiment rien à me mettre !
Le vendeur . On peut aller voir chez les femmes si tu veux.
Nous . Aucun problème !

Il nous proposa une série de pantalons et nous fit passer devant tout le monde pour les essayer.

Le vendeur, entrant dans la cabine . Alors, ça va ?
Nous, à moitié à poil, enfilant un premier pantalon blanc . Je sais pas, attends… Voilà ! Tu en penses quoi ? C’est pas mal, non ? Je prends celui-ci !
Le vendeur, reluquant notre cul, pour la taille évidemment… . OK !
Nous . Pas de Vans ici alors ?
Le vendeur . Non mais tu peux essayer chez Shoes-Up aux Halles, ils auront sans doute ce qu’il te faut !
Nous . Nickel ! Autrement, pour me rendre à Univers Gym d’ici, je fais comment ?
Le vendeur . Ah ! La salle à brûlé en janvier et c’est pas encore rouvert… Tu étais venu que pour ça ?
Nous . Merde ! On m’a donné un pass à Aix-en-Provence et comme je suis à Paris et que je n’ai rien à faire jusques à 22 heures, je pensais y faire un tour, oui !
Le vendeur . Si tu veux, il y a Sun City. C’est plus grand, plus sympa ; la déco et l’ambiance sont indiennes et c’est à côté aussi.
Nous . Alors c’est parfait, j’irai là-bas !

Nous payâmes notre pantalon blanc, allâmes acheter des Globe à la boutique indiquée, deux t-shirts noirs classiques chez Levis et nous mîmes en quête de Sun City sur le boulevard Sébastopol ; quinze euros l’entrée plus deux euros de caution. Nous étions un peu pinté et malgré toute notre bonne volonté, nous ne parvînmes qu’à faire trois kilomètres sur le tapis et soulever quelques poids. Nous préférâmes rapidement le bar et la piscine au second sous-sol. Nous avons encore la tête dans le cul aujourd’hui et pensons être malade de surcroît ; pas drôle du tout ce week-end… Il fallut nous changer, nous étions trop habillé pour la piscine, trop habillé tout court. Seule tenue crédible dans pareil endroit : une serviette, un bracelet avec clef, capote et gel dedans. Nous aurions pu éviter de nous ruiner aux Halles en fin de compte… Alors que nous fouillions notre casier à la recherche d’un peu de place pour ce surplus, un mec d’une quarantaine d’années nous aborda avec son plan drague foireux.

Le looser . Bonsoir !
Nous . Salut !
Le looser . C’est la première fois que je te vois ici ; tu viens souvent ?
Nous . Je suis de passage à Paris et on m’a conseillé ce club pour me détendre.
Le looser . Tu es là depuis longtemps ?
Nous . Ce midi.
Le looser . Ah ! Tu as déjà fait des rencontres alors !?
Nous . À Paris depuis ce midi ; ici, je viens d’arriver !
Le looser . Si je peux me permettre, tu as l’air d’avoir vraiment un joli cul !
Nous, désabusé . Si je peux me permettre, tu n’es pas le premier à me le dire.
Le looser . Tu as le temps pour un verre ? On va s’asseoir ?
Nous . Pourquoi pas !

Et nous entamâmes notre récit de vagabond désenchanté qui ne cherche rien et surtout pas à se faire sauter dans une cabine de sauna par un vieil inconnu qui, de son côté, nous baratina avec des conneries, se vanta de sa situation de journaliste (dans une feuille de choux probablement) et nous invita à son hôtel.

Nous . Je sais déjà où passer la nuit pour le week-end. Je suis juste venu ici pour me détendre et pourquoi pas faire des rencontres, mais rien de sexe là-dedans.
Le looser . C’est vraiment dommage. Je suis sûr que tu dois aimer te faire limer !

Se faire limer, du verbe limer, employé à Pédéville sans doute pour signifier qu’on veut t’arrondir les angles… Quelle culture franchement ! Nous imaginons mal Roméo demander à Juliette ou Titus à Bérénice s’il peut la limer comme une pute… Hélas notre siècle n’est-il pas poétique, tout juste expéditif ; adaptons-nous !

Nous . Oui, j’adore me faire limer mais par des mecs mignons de mon âge, sinon je suis escort.
Le looser . On peut s’arranger alors !
Nous . Non, je ne suis vraiment pas intéressé, désolé !
Le looser . Bon, je n’insiste pas mais c’est vraiment dommage !
Nous . Sans doute, la vie est bien dure.

Ce con nous lâcha enfin et nous pûmes continuer en paix notre relaxation solitaire. De retour aux vestiaires, nous le vîmes de nouveau et alors que nous enlevions notre pantacourt pour passer une serviette sèche, il continua en s’approchant de nous.

Le looser . Je confirme, tu as vraiment un très joli cul ! Je peux toucher ?
Nous . Bien sûr !

Il s’en donna à cœur-joie. À son grand dam, nous refusâmes une nouvelle invitation à son hôtel.

Nous . Je suis déjà pris jusques à lundi.
Le looser . Je n’en crois pas un mot mais tant pis, comme tu veux, c’est dommage encore.
Notre pensée profonde . On se console comme on peut, vieux pervers ! Lâche-nous, trouve-toi une cabine et branle-toi en pensant à notre cul !

Eurk ! On nous faisait la réflexion jeudi que cela n’arrivait pas souvent de se faire aborder mais pas pour nous et parfois, ça saoule ! Nous regardions Pretty Woman la nuit dernière en rêvant n’être plus considéré comme un cul à limer. Peine perdue : pute un jour, pute toujours ! Nous quittâmes Sun City à 22 heures pour rejoindre notre client dans le XIIe. Deux jours qui ne concernent pas ce présent carnet.
Aujourd’hui, nous sommes fatigué, malade et ne désirons que nous blottir dans les bras d’un garçon rencontré par hasard jeudi et dont nous savons si peu de choses. Nous caser nous est exclu mais la sincérité nous manque… Jouer pour plaire, maquiller nos profondeurs, tout cela est devenu tellement facile que nous sommes perdu hors de ce théâtre. Et tu sais quoi, Fidèle ? Nous aimons être perdu, c’est peut-être cela le pire ! Une semaine chargée en émotions contradictoires ; un avenir toujours incertain sur lequel nous réfléchissons beaucoup et duquel nous attendons sans doute trop ; la maison promise dans les Basses-Alpes n’est plus ; tout fout le camp ! Déjà cinq – non, six – clopes dans un cendrier qui pue la désolation, trois espresso pour un constat récurrent. Triste finalité pour ce début d’année.

15h13.

Nous ne pouvions quitter la capitale sans nous attarder à critique à Sun City. Non que les fesses flasques du vieux au bouc brun qui passe le bac à pieds avant d’aller tripoter du jeune dans le jacuzzi nous inspire particulièrement mais cela nous plaît simplement, à nous qui ne savions où aller après le cybercafé ce midi. Et puis, dehors, il fait gris alors qu’ici le temps est tropical, voire moite – il le serait si nous étions bien accompagné… Cela enfin est bon pour ce que nous avons. Les thons et les vieux qui tournent ne manquent pas et, à en juger par l’énorme tsunami qui vient d’inonder le bord de la piscine, les baleines non plus ; un véritable zoo ! Nous sommes attablé dans le petit salon du bar, Aznavour chante, la Marlboro fume, un verre de gin nous comblerait. Nous sommes assis au fond et notre champ d’étude ne manque pas d’intérêt. Franchement, viens à Sun City, Fidèle, c’est tout simplement génial ! Certes, le gros qui se promène en serviette ras le cul en tenant sa virilité tombante à la main ou le black à lunettes qui nous observe ne sont guère ragoûtants mais l’ambiance reste sympathique et décontractée – sauf dans les cabines où se jouent sans le moindre doute d’orgiaques parties de boules. Autrement, quitte à prendre un verre dans un bar, autant venir ici ; il n’y a pas que des bites ambulantes, tout de même ! Nous n’espérons pas y trouver l’âme frère, ni même un plan défonce – oh putain non ! – mais peut-être avec un peu de chance un contact, jeune et mignon, avec qui entretenir une relation saine, amicale… « De p’tits trous, des p’tits trous, encore des p’tits trous… » C’est quoi cette musique de merde ? Elle vient d’où ? Très indiquée, très fine… Quand nous écrivions que ce siècle n’était pas poétique, nous étions loin de la vérité ! Ah ! voilà qui est mieux.

Brigitte . L’amour, c’est du pipeau, c’est bon pour les gogos !*

Nous commençons à le croire en effet… Tiens ! Voilà à l’instant un vieil ours qui passe et expose sa fourrure abdominale. Il ne reste pas, n’ayant pas trouvé dans la piscine de jeune et frétillant saumon à faire sauter. Déplorable ! Il y en a bien ici qui doivent se dire en sortant : « Quelle merde ! J’ai pas niqué aujourd’hui ; dix-sept euros foutus en l’air ! » Quelle honte pour nous, pauvre âme en perdition qui ne vînmes ici que pour nous détendre (l’esprit) ! Ne nous crois pas farouche pour autant, Fidèle, oh non ! Nous sommes simplement trop sélectif et notre idéal ne traîne pas ici ; il vogue probablement à mille lieues dans les cieux à la recherche d’un espoir pour nous, désolé de nous observer dans pareil endroit à perdre et notre temps et notre plume. Mais qu’y pouvons-nous ? Ici, nous oublions sans véritablement nous amuser que nous sommes ce que nous sommes. Pourquoi faut-il que lorsque deux jeunes entrent ici, ils soient accompagnés d’un vieux ?! Admettons pour le vieux, cela fait grec mais, Diable !, dans la Grèce antique, ils étaient bien foutus, eux ! Nous montâmes à la salle de sport en arrivant, faire quelques kilomètres sur le tapis ; il n’y avait personne, la salle pleurait le vide, sentait le neuf. Le corps est important aussi, merde quoi ! Nous pourrions également nous énerver contre le barman qui sniffe du poppers, pensant que personne ne le voit, mais nous nous mettons à sa place : il nous faudrait au moins cela pour supporter le défilé de coqs devant son bar. Recommandons et concluons cette symphonie en précisant que le jour où nous en aurons les moyens, ce sera à Sun City que nous organiserons une soirée – d’ailleurs, ils le font : soirée fist-fucking le 20 janvier prochain ; charmant ! Nous imaginons la gueule des transats couverts de crisco, après ça. Non ! Nous serons plus soft, plus sophistiqué, nous n’inviterons que des VIP de nos connaissances, nous célébrerons le comte de Villermont et Miss Gin, Ganesh et les arts lyriques, les autres et nous-même. Pensons-y, c’est à faire !


17 janvier 2006

Biarritz (Aquitaine, France), 8h15.

Nous . Bonsoir ! Un aller simple dans un train de nuit pour le plus loin possible avec cinquante euros maximum, s’il vous plaît !
La vendeuse . Heu… Oui… Vous n’avez rien de plus précis ? Nice peut-être ?
Nous . Ah non, surtout pas Nice, merci !
La vendeuse . Bon… Essayons la côte basque… Un départ pour Biarritz à 23h14 depuis la gare d’Austerlitz pour quarante-huit euros soixante, ça vous irait ?
Nous . Parfait ! Je prends !

Et nous voici, ce matin, aux pieds d’un autre casino Barrière, à contempler l’horizon ouvert ! La plage blanche est solitaire ; les vagues hautes sifflent la rumeur de l’océan ; le soleil fait son entrée dans ce théâtre séculaire ; la lune, quant à elle, joue la petite lumière qui annonce la journée belle ; The Verve, enfin, chante une Bitter Sweet Symphony* ; c’est simplement superbe ! Nous sommes loin des bruits tapageurs de la capitale et pourtant si proche en même temps. Notre esprit est un tambour et nous questionne toujours. Chercher une réponse dans les effluves, salées ou éthyliques, ne fonctionne visiblement pas… Antibes, Trans-en-Provence, Cannes, Monaco, Aix-en-Provence, Paris, Biarritz ; depuis sept jours, nous n’espérons plus la trouver de toute manière. Rien d’autre à ajouter, nous verrons ce que la côte nous réserve cette fois-ci.


18 janvier 2006

Madrid (Espagne), 11h24.

Nous ne restâmes finalement pas sur la côte comme nous l’avions prévu. En même temps, les prévisions et nous… Nous marchâmes jusques à Saint-Jean-de-Luz et, par pur manque d’idée, montâmes dans le premier train de nuit pour nous rendre compte une fois dans la capitale espagnole ce matin que nous étions paumé, encore ! Notre dernier beau billet vert cassé pour un aller simple, nous voici désormais sans fric, sans contact ou point de chute, sans possibilité de retour ; cela nous rappelle un certain 14 janvier 2003… Aurons-nous autant de chance qu’à l’époque ? Nous en doutons ferme ! Quoi qu’il en soit, nous sommes dans la merde, encore, et ne pensons qu’à nous évader, toujours. Autrement, à part cela, il fait bon vivre ici ! Nos cours d’espagnol datent du collège mais remontent doucement à la surface. Venant de débarquer, nous n’avons rien de transcendant à conter.


20 janvier 2006

Madrid (Espagne), 14h30.

Madrid est LE bon endroit pour s’éclater toute la nuit si tu as du fric, Fidèle – quatre euros cinquante la pinte de bière au O’Neill Irish Pub tout de même, c’est plus cher qu’à Aix-en-Provence ! Comme cela n’est hélas pas notre cas, hier soir, nous nous fîmes chier dans ce qui est sans doute le quartier le plus vivant de la ville. Le problème est que nous sommes désespérément seul et que si rentrer dans un café n’est pas compliqué, se faire aborder l’est davantage, à moins que le café en question ne soit gay évidemment. Nous avions avant cela un besoin urgent de prendre une douche et il n’était pas question de revisiter le banc de l’arrêt Bilbao sur la ligne 1 du métropolitain. Nous voulions descendre dans un premier temps au Gay Hostal Puerta del Sol mais la nuit à trente euros nous était exclue alors marchâmes-nous à la recherche de mieux ; il devait être un peu plus de 23 heures. À l’hôtel Astoria, perché au cinquième étage d’un vieux bâtiment de la carrera de San Jerónimo, le jeune et charmant réceptionniste nous conseilla de visiter la Posada de las Huertas. Si la chambre n’avait pas coûté quarante-cinq euros minimum, nous aurions bien aimé faire plus ample connaissance avec lui… Nous nous rendîmes donc à l’auberge et obtînmes un lit pour seulement dix-sept euros. Une douche réparatrice et quelques minutes plus tard, nous étions devant notre pinte au O’Neills, un immense établissement blindé de monde sur la calle Príncipe. Seul le serveur attira notre regard mais il bossait et nous n’étions pas certain qu’il fût gay – putains de métrosexuels, on sait plus à force ! Il nous reste encore onze nuits à tenir avant notre vol. Ah ! Tu n’es pas au courant, Fidèle ? Étrange… Aurions-nous omis de te dire que nous passerons le mois prochain à nous faire bronzer la pilule sous le soleil marocain ? Nous accompagnerons Hubert pour l’aider à chercher son hivernage.


23 janvier 2006

Madrid (Espagne), 23h12.

Nous approchons du fond. Nous nous demandons encore pourquoi nous continuons à marcher ; nous n’allons nulle part et nulle part nous n’avons à trouver quelque chose. Il nous reste quatorze euros en poche, le tabac constitue notre principale source de nourriture, nous avons froid la nuit et devons marcher, de place en place, de métropolitain en métropolitain, de rame en rame. Nous allâmes même la nuit dernière en sortant du cybercafé à Barajas, puis à l’aéroport, pour nous rendre compte que notre roulée avait le même goût partout. Finalement, nous trouvâmes un parc en construction parsemé de quelques tables et nous nous installâmes sur l’une d’elles pour dormir entre grelots incontrôlables et pensées malsaines. Au matin, vers 6 heures, nous n’étions ni reposé ni moins harcelé. Il faisait étrangement froid et ce n’est qu’avec mal que nos mains replièrent notre modeste camp fait d’une bâche et d’un duvet en plumes d’oie. Enfin, toute la journée durant, c’est en zombi que nous nous présentâmes aux yeux du monde, hallucinant sur le moindre mouvement, tourmenté par la moindre étincelle. Nous avions élaboré un budget : deux euros par jour pour tenir. Nous le crevâmes ce soir ; nous avions trop faim ! Un sandwich au salami hier, un kebab aujourd’hui, notre estomac s’habitue à cette diète forcée. Ajoute à cela la fatigue et le manque de douche, Fidèle, tu auras le parfait vagabond sans son ami le chien dans toute sa splendeur ! Pour étayer ce magnifique tableau bruegélien, ne sors pas trop de couleurs car nous sommes seul et de noir vêtu. Le deuil nous marque (l’exagération aussi apparemment) et les scènes ne changent guère : métropolitain, cybercafé, rues noires et désertes la nuit. Des jours et des jours que nous n’avons pris quelqu’un dans nos bras en le désirant vraiment, depuis deux instants trop peu prolongés à Aix-en-Provence. Comment expliquer tel gouffre en si peu de temps ?
Hors la nuit dernière, nous dormîmes les trois d’avant à la Posada de las Huertas. Hier matin, nous réussîmes même à aborder un mec, chose qui ne nous arrive vraiment pas souvent car nous préférons nous faire désirer. Nous apprîmes qu’il était étasunien, habitait Chicago et en visite à Madrid où un ami à lui faisait ses études. Et puis rien d’autre… L’inspiration avait déjà filé. Jusques où nous faudra-t-il donc creuser pour atteindre la source de tous nos maux ? Combien de temps devrons-nous nous confiner dans la triste réalisation d’une œuvre solitaire qui finira par nous complètement détruire ? Huit nuits ! Huit nuits à tenir avant de monter dans l’avion. Nous espérons trouver là-bas bonheur mais c’est peine perdue… Au moins le soleil marocain nous changera-t-il et pourrons-nous pousser nos horizons plus loin vers les dunes. Nous avons besoin d’espace, pour voler et crier ; nous avons besoin que notre écho nous réponde.


26 janvier 2006

Madrid (Espagne), 15h05.

C’est entre deux étaux que nous rédigeons ce billet ; hier, nous bûmes trop ! Nous résolûmes tout d’abord nos soucis financiers par un courriel salvateur (« Dear Brother, … ») dont tu imagines facilement la suite, Fidèle. Nous pourrons ainsi tenir au chaud jusques à notre proche départ. Ainsi réservâmes-nous, mardi soir, à la Posada de las Huertas, un lit dans la chambre 209 prévue pour six. Lorsque nous entrâmes, nous fûmes accueilli par un « Hey ! What’s up ? » plutôt mignon. Nous ne parlâmes pas beaucoup avec lui cette première nuit car nous étions vraiment trop fatigué mais le lendemain, il nous accompagna manger au Mac Donald’s de Puerta del Sol et nous à la FNAC. Au passage, ce n’est toujours pas là-dedans qu’il faut aller si tu espères trouver un bon bouquin ! En fin de journée, nous le retrouvâmes dans la chambre après une course importante : une bouteille de Bombay Sapphire pour seulement dix euros cinquante ! Nous ne pûmes résister. Imbibées, les langues se délièrent et la communication reprit sa digne place. Il s’appelle Ryan, a 18 ans et vient ici environ une fois par an pour prendre des cours de flamenco. Nous l’espérions gay mais non, même pas ! Il est chrétien (au point d’en avoir le Christ tatoué entre ses deux omoplates), ses films préférés figurent parmi les plus spectaculaire…ment pauvres en réflexion (Lord of the rings, Matrix, Indiana Jones, etc.), il lit du Dan Brown et pour conclure, il a une copine éplorée qui l’attend chez lui, à Santa Barbara, Californie. Mais, Diable !, il est aussi jeune, bien foutu, sympa et il découvrit récemment Requiem for a dream* qu’il trouve génial. Par ailleurs, un hétérosexuel n’a-t-il jamais été pour nous qu’un défi ! Nous ne désespérons donc pas de le convertir à d’autres plaisirs d’ici cinq nuits. Enfin, cela était ce que nous pensions avant qu’un Brésilien n’entrât alors que nous avions déjà vidé la moitié de la bouteille à nous seul. Lui voyage, arrive de Londres et s’arrête ici avant de passer en Allemagne et d’enfin rejoindre son pays. Il ne nous intéresse pas, nous préférons étrangement l’Étasunien friqué et matérialiste au possible mais ne pouvons plus, au pire le rejoindre dans son pieu pour mater l’un de ses films, au mieux l’inviter dans le nôtre pour mater autre chose ; nous devrons aviser et tu en seras le premier averti si nous y parvenons !
Nous prîmes également mardi une décision importante : après le Maroc, nous rentrerons, chercherons un taff et un logement si nous le pouvons. Nous aimerions nous installer sur Paris ou Aix-en-Provence mais vu les dettes qui nous collent au cul, c’est ailleurs qu’il faudra s’établir. Nous remplissons tout de même la liste noire de la Banque de France, de BNP-Paribas, de la Poste, du GIE Preventel, de l’EDF, de la SNCF, du Trésor Public, de France Telecom, de Free Telecom, de Orange, de la CAF, des ASSEDIC et celle d’autres organismes sans doute comme le CHU d’Aix-en-Provence ; difficile avec cela de revenir tout sourire pour demander un appartement, tu en conviendras ! À ce stade, seul le changement de notre nom légal nous sauverait…

19h09.

Le Colby, un urban restaurant sur une calle quelconque de Chueca, quartier gay. La musique est calme, le rouge éclate. C’est une soirée qui débute et la vie prend son pied. Chacun sait ou ne sait pas ce qui l’attend en sortant ; ici, détente sans frasque ! Nous marchâmes deux bonnes heures à nous imprégner de la cité, nous inquiéter de ses humeurs, sans intention, toujours, d’aller quelque part. Nous voulions voir et sentir, nous perdre avant de trouver, peut-être, Ryan dans notre lit, ouvert à mille plaisirs, bandant avec malice. Il nous arrive de divaguer dans notre prose, sans doute l’as-tu noté, Fidèle, mais cela ne résulte que de notre mesure à apprécier les petits moments de rêverie qui jalonnent notre existence. Le Bloody Mary comme muse a laissé place à la cerveza couleur de pisse ; l’effet n’est pas superbe mais suffit et Madrid orgasmique, lancée sur notre chemin par hasard, nous convient aujourd’hui. Ses sonorités résonnent comme autant de pas de danse que nous maîtrisons encore mal ; le sentiment est neuf, notre envie de découvrir jeune et impétueuse. Deux mecs passent devant la vitrine, bras dessus bras dessous ; ici, la norme n’existe pas plus que la parade du Marais. Rachitique ou obèse, jeune ou âgé, gothique ou fashion, homo ou mal baisé, tous se fondent dans un ensemble qui trouve sa cohérence malgré tout. Le temps lui-même semble vouloir oublier Madrid en ce début de soirée où la vie prend son pied !


28 janvier 2006

Madrid (Espagne), 15h37.

Tout était prévu pour une soirée parfaite : une bouteille de Bacardi, une autre de Bombay Sapphire, un pack de Coronitas, des nachos et du guacamole. Ryan avait mis The Return of the King (qui passerait presque pour un chef-d’œuvre après quelques bouteilles), nous étions installé torse nu sur une couverture à même le sol, il n’avait pas l’habitude de boire et se détendit rapidement. Nous ne pressâmes rien, nous passions un bon moment entre roommates quand vers minuit la porte s’ouvrit et le Brésilien entra ; et merde ! À ce rythme là, nous n’arriverons jamais à le convertir le petit Ryan ; il nous faudrait un mois alors que nous ne disposons plus que de deux nuits à l’auberge. Nous rêvions d’être au matin enlacé et collé par la concupiscence mais en fin de compte, seul le gin nous avait baisé : six cachetons plus tard, le clair réapparaît seulement.

17h46.

Nous avions le choix : rester en chambre où depuis ce matin il est interdit de fumer et boire – vas donc, Fidèle, deviner pourquoi… – et nous autoriser une seconde tentative avec Ryan ou sortir prendre l’air dans Chueca à la recherche de quelque inspiration. Nous préférâmes sortir mais l’inspiration, cette chienne, est complètement noyée dans les trois autres cachetons absorbés à l’instant. En fait, nous nous demandons comment réunir un peu de fric en deux jours. Se loger à Marrakech n’est pas excessif mais vingt-sept nuits, tout de même, sont quelque chose ; il nous faut absolument une auberge, un riad où séjourner ! Nos lignes ne nous coûtent rien, ni même le papier et la plume qui les dépose mais les lieux que nous fréquentons, par pure bonne éducation, eux, ne s’apitoient guère sur les besoins hautement matériels du paumé que nous sommes. Pourquoi pensons-nous à cela ? Hubert, lors de ce voyage, subviendra à nos besoins, alors… ? Par souci d’indépendance fort probablement. L’argent, l’argent, toujours l’argent ! Soyons réaliste, nous n’en gagnerons jamais autant qu’il nous en faut. Deux solutions toutefois : l’héritage ou la donation ! Attendons de voir…



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